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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon - Tradition et « inconscient ».

Gauche : C.G. Jung dans sa « tour de Bollingen » - Droite : René Guénon dans sa maison au Caire.

Gauche : C.G. Jung dans sa « tour de Bollingen » - Droite : René Guénon dans sa maison au Caire.

Nous avons déjà exposé ailleurs le rôle de la psychanalyse dans l’œuvre de subversion qui, succédant à la « solidification » matérialiste du monde, constitue la seconde phase de l’action antitraditionnelle caractéristique de l’époque moderne tout entière (1). Il nous faut encore revenir sur ce sujet, car, depuis quelque temps, nous constatons que l’offensive psychanalyste va toujours de plus en plus loin, en ce sens que, s’attaquant directement à la tradition sous prétexte de l’expliquer, elle tend maintenant à en déformer la notion même de la façon la plus dangereuse. À cet égard, il y a lieu de faire une distinction entre des variétés inégalement « avancées » de la psychanalyse : celle-ci, telle qu’elle avait été conçue tout d’abord par Freud, se trouvait encore limitée jusqu’à un certain point par l’attitude matérialiste qu’il entendit toujours garder ; bien entendu, elle n’en avait pas moins déjà un caractère nettement « satanique », mais du moins cela lui interdisait-il de prétendre aborder certains domaines, ou, même si elle le prétendait cependant, elle n’en atteignait en fait que des contrefaçons assez grossières, d’où des confusions qu’il était encore relativement facile de dissiper. Ainsi, quand Freud parlait de « symbolisme », ce qu’il désignait abusivement ainsi n’était en réalité qu’un simple produit de l’imagination humaine, variable d’un individu à l’autre, et n’ayant véritablement rien de commun avec l’authentique symbolisme traditionnel. Ce n’était là qu’une première étape, et il était réservé à d’autres psychanalystes de modifier les théories de leur « maître » dans le sens d’une fausse spiritualité, afin de pouvoir, par une confusion beaucoup plus subtile, les appliquer à une interprétation du symbolisme traditionnel lui-même. Ce fut surtout le cas de C.G. Jung, dont les premières tentatives dans ce domaine datent d’assez longtemps déjà (2) ; il est à remarquer, car cela est très significatif, que, pour cette interprétation, il partit d’une comparaison qu’il crut pouvoir établir entre certains symboles et des dessins tracés par des malades ; et il faut reconnaître qu’en effet ces dessins présentent parfois, avec les symboles véritables, une sorte de ressemblance « parodique » qui ne laisse pas d’être plutôt inquiétante quant à la nature de ce qui les inspire.

(1) Voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXIV.

(2) Voir à ce sujet A. Préau, La Fleur d’or et le Taoïsme sans Tao.

Ce qui aggrava beaucoup les choses, c’est que Jung, pour expliquer ce dont les facteurs purement individuels ne paraissaient pas pouvoir rendre compte, se trouva amené à formuler l’hypothèse d’un soi-disant « inconscient collectif », existant d’une certaine façon dans ou sous le psychisme de tous les individus humains, et auquel il crut pouvoir rapporter à la fois et indistinctement l’origine des symboles eux-mêmes et celle de leurs caricatures pathologiques. Il va de soi que ce terme d’« inconscient » est tout à fait impropre, et que ce qu’il sert à désigner, dans la mesure où il peut avoir quelque réalité, relève de ce que les psychologues appellent plus habituellement le « subconscient », c’est-à-dire l’ensemble des prolongements inférieurs de la conscience. Nous avons déjà fait remarquer ailleurs la confusion qui est commise constamment entre le « subconscient » et le « superconscient » : celui-ci échappant complètement par sa nature même au domaine sur lequel portent les investigations des psychologues, ils ne manquent jamais, quand il leur arrive d’avoir connaissance de quelques-unes de ses manifestations, de les attribuer au « subconscient ». C’est précisément cette confusion que nous retrouvons encore ici : que les productions des malades observés par les psychiatres procèdent du « subconscient », c’est là une chose qui assurément n’est pas douteuse ; mais, par contre, tout ce qui est d’ordre traditionnel, et notamment le symbolisme, ne peut être rapporté qu’au « superconscient », c’est-à-dire à ce par quoi s’établit une communication avec le supra-humain, tandis que le « subconscient » tend au contraire vers l’infra-humain. Il y a donc là une véritable inversion qui est tout à fait caractéristique du genre d’explication dont il s’agit ; et ce qui lui donne une apparence de justification, c’est qu’il arrive que, dans des cas comme celui que nous avons cité, le « subconscient », grâce à son contact avec des influences psychiques de l’ordre le plus inférieur, « singe » effectivement le « superconscient » ; c’est là ce qui, pour ceux qui se laissent prendre à ces contrefaçons et sont incapables d’en discerner la véritable nature, donne lieu à l’illusion qui aboutit à ce que nous avons appelé une « spiritualité à rebours ».

Par la théorie de l’« inconscient collectif », on croit pouvoir expliquer le fait que le symbole est « antérieur à la pensée individuelle » et qu’il la dépasse ; la véritable question, qu’on ne semble même pas se poser, serait de savoir dans quelle direction il la dépasse, si c’est par en bas comme paraîtrait l’indiquer cet appel au prétendu « inconscient », ou par en haut comme l’affirment au contraire expressément toutes les doctrines traditionnelles. Nous avons relevé dans un article récent une phrase où cette confusion apparaît aussi clairement que possible : « L’interprétation des symboles… est la porte ouverte sur le Grand Tout, c’est-à-dire le chemin qui conduit vers la lumière totale à travers le dédale des bas-fonds obscurs de notre individu. » Il y a malheureusement bien des chances pour que, en s’égarant dans ces « bas-fonds obscurs », on arrive à tout autre chose qu’à la « lumière totale » ; remarquons aussi la dangereuse équivoque du « Grand Tout », qui, comme la « conscience cosmique » dans laquelle certains aspirent à se fondre, ne peut être ici rien de plus ni d’autre que le psychisme diffus des régions les plus inférieures du monde subtil ; et c’est ainsi que l’interprétation psychanalytique des symboles et leur interprétation traditionnelle conduisent en réalité à des fins diamétralement opposées.

Il y a lieu de faire encore une autre remarque importante : parmi les choses très diverses que l’« inconscient collectif » est censé expliquer, il faut naturellement compter le « folklore », et c’est un des cas où la théorie peut présenter quelque apparence de vérité. Pour être plus exact, il faudrait parler là d’une sorte de « mémoire collective », qui est comme une image ou un reflet, dans le domaine humain, de cette « mémoire cosmique » qui correspond à un des aspects du symbolisme de la lune. Seulement, vouloir conclure de la nature du « folklore » à l’origine même de la tradition, c’est commettre une erreur toute semblable à celle, si répandue de nos jours, qui fait considérer comme « primitif » ce qui n’est que le produit d’une dégénérescence. Il est évident en effet que le « folklore », étant essentiellement constitué par des éléments appartenant à des traditions éteintes, représente inévitablement un état de dégénérescence par rapport à celle-ci ; mais c’est d’ailleurs le seul moyen par lequel quelque chose peut en être sauvé. Il faudrait aussi se demander dans quelles conditions la conservation de ces éléments a été confiée à la « mémoire collective » ; comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire*, nous ne pouvons y voir que le résultat d’une action parfaitement consciente des derniers représentants d’anciennes formes traditionnelles qui étaient sur le point de disparaître. Ce qui est bien certain, c’est que la mentalité collective, pour autant qu’il existe quelque chose qui peut être appelé ainsi, se réduit proprement à une mémoire, ce qui s’exprime en termes de symbolisme astrologique, en disant qu’elle est de nature lunaire ; autrement dit, elle peut remplir une certaine fonction de conservation, en quoi consiste précisément le « folklore », mais elle est totalement incapable de produire ou d’élaborer quoi que ce soit, et surtout des choses d’ordre transcendant comme toute donnée traditionnelle l’est par définition même.

L’interprétation psychanalytique vise en réalité à nier cette transcendance de la tradition, mais d’une façon nouvelle, pourrait-on dire, et différente de celles qui avaient eu cours jusque-là : il ne s’agit plus, comme avec le rationalisme sous toutes ses formes, soit d’une négation brutale, soit d’une ignorance pure et simple de l’existence de tout élément « non humain ». On semble au contraire admettre que la tradition a effectivement un caractère « non humain », mais en détournant complètement la signification de ce terme ; c’est ainsi que, à la fin de l’article que nous avons déjà cité plus haut, nous lisons ceci : « Nous reviendrons peut-être sur ces interprétations psychanalytiques de notre trésor spirituel, dont la « constante » à travers temps et civilisations diverses démontre bien le caractère traditionnel, non humain, si l’on prend le mot « humain » dans un sens de séparatif, d’individuel. » C’est peut-être là ce qui montre le mieux quelle est, au fond, la véritable intention de tout cela, intention qui, d’ailleurs, nous voulons le croire, n’est pas toujours consciente chez ceux qui écrivent des choses de ce genre, car il doit être bien entendu que ce qui est en cause à cet égard, ce n’est pas telle ou telle individualité, fût-ce même celle d’un « chef d’école » comme Jung, mais l’« inspiration » des plus suspectes dont procèdent ces interprétations. Il n’est pas besoin d’être allé bien loin dans l’étude des doctrines traditionnelles pour savoir que, quand il est question d’un élément « non humain », ce qu’on entend par là, et qui appartient essentiellement aux états supra-individuels de l’être, n’a absolument rien à voir avec un facteur « collectif » qui, en lui-même, ne relève en réalité que du domaine individuel humain, tout aussi bien que ce qui est qualifié ici de « séparatif », et qui de plus, par son caractère « subconscient », ne peut en tout cas ouvrir une communication avec d’autres états que dans la direction de l’infra-humain. On saisit donc ici, d’une façon immédiate, le procédé de subversion qui consiste, en s’emparant de certaines notions traditionnelles, à les retourner en quelque sorte en substituant le « subconscient » au « superconscient » l’infra-humain au supra-humain. Cette subversion n’est-elle pas bien autrement dangereuse encore qu’une simple négation, et pensera-t-on que nous exagérons en disant qu’elle contribue à préparer la voie à une véritable « contre-tradition », destinée à servir de véhicule à cette « spiritualité à rebours », dont, vers la fin du cycle actuel, le « règne de l’antéchrist » doit marquer le triomphe apparent et passager ?

* [Voir Le Saint Graal.]

[René Guénon, Tradition et « inconscient », Études Traditionnelles, juill.-août 1949. Article repris dans le recueil posthume Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée.]

ANNEXES I - Extraits de lettres de René Guénon.

Lettre à A.K. Coomaraswamy, 9 décembre 1938 : « Au sujet de la « Presse Médicale », il m’est arrivé une assez singulière histoire il y a quelques mois : la direction de cette publication avait demandé à Chacornac mes articles sur la psychanalyse ; puis, après quelque temps, elle les lui a renvoyés en disant qu’on les lui avait signalés comme traitant la question au point de vue médical, mais que, comme il n’en était pas ainsi, il ne lui était pas possible d’en parler. Nous n’avons jamais su ce qui c’était passé en réalité, mais il est à supposer que quelques psychanalystes influents ont dû intervenir pour qu’on fasse le silence là-dessus ! »

Lettre à Louis Cattiaux, 20 février 1950 : « Pour en revenir à votre livre, le refus de la maison Desclée ne m’étonne pas autrement ; quant au Père Bruno, je crois que son plus grand défaut est un certain manque de jugement ; sans cela comment pourrait-il accueillir favorablement des choses telles que la psychanalyse ? »

ANNEXES II - Extraits de comptes-rendus de René Guénon parus dans la revue Études Traditionnelles.

1938 : « – La Nouvelle Revue Française (n° d’août) publie un assez singulier article de M. Gaston Bachelard, intitulé La psychanalyse du feu ; l’auteur a parfaitement raison de critiquer comme il le fait des tentatives d’explication rationnelle des mythes et des légendes, qui ne sont même pas seulement faibles et insuffisantes comme il le dit, mais parfaitement insignifiantes et nulles en réalité ; seulement, le genre d’explication qu’il propose d’y substituer ne vaut certes pas mieux, quoique d’une autre façon et pour d’autres raisons. Tout lecteur impartial et non prévenu trouvera sans doute bien forcée et peu convaincante cette façon de faire intervenir, à l’origine des « découvertes préhistoriques » comme celle du feu, prise ici pour type, les trop fameux « complexes » des psychanalystes, et bien troubles « les clartés apportées par la révolution psychologique de l’ère freudienne » (sic) ; mais, en outre, tout cela implique une conception de la « mentalité primitive » qui, au lieu d’être, comme dans le cas des explications rationnelles, purement et simplement étrangère à tout ce qu’enseignent les données traditionnelles, va proprement au rebours de celles-ci ; et nous n’avons point lieu de nous en étonner, puisque cela ne fait en somme que confirmer encore, par l’exemple d’une application particulière, ce que nous avons dit, d’une façon générale, du caractère réel de la psychanalyse et de son rôle dans une nouvelle phase plus « avancée » du développement graduel de la déviation moderne. »

1938 : « Shrî Aurobindo. Bases of Yoga. (Arya Publishing House, Calcutta). –… Il y a, dans cette dernière partie, quelques passages qui ont un rapport si étroit avec ce que nous avons écrit nous-même au sujet du « psychologisme » qu’il ne nous semble pas inutile de les citer un peu longuement : « La psychanalyse de Freud est la dernière chose qu’on devrait associer avec le Yoga ; elle prend une certaine partie, la plus obscure, la plus dangereuse et la plus malsaine de la nature, le subconscient vital inférieur, isole quelques-uns de ses phénomènes les plus morbides, et leur attribue une action hors de toute proportion avec leur véritable rôle dans la nature… Je trouve difficile de prendre ces psychanalystes au sérieux quand ils essaient d’examiner l’expérience spirituelle à la lueur vacillante de leurs flambeaux, il le faudrait peut-être cependant, car une demi-connaissance peut être un grand obstacle à la manifestation de la vérité. Cette nouvelle psychologie me fait penser à des enfants apprenant un alphabet sommaire et incomplet, confondant avec un air de triomphe leur « a b c » du subconscient et le mystérieux superconscient, et s’imaginant que leur premier livre d’obscurs rudiments est le cœur même de la connaissance réelle. Ils regardent de bas en haut et expliquent les lumières supérieures par les obscurités inférieures ; mais le fondement des choses est en haut et non en bas, dans le superconscient et non dans le subconscient… Il faut connaître le tout avant de pouvoir connaître la partie, et le supérieur avant de pouvoir vraiment comprendre l’inférieur. C’est la promesse d’une plus grande psychologie attendant son heure, et devant laquelle tous ces pauvres tâtonnements disparaîtront et seront réduits à néant ». On ne saurait être plus net, et nous voudrions bien savoir ce que peuvent en penser les partisans des fausses assimilations que nous avons dénoncées à diverses reprises… »

1940 : « André Savoret. L’Inversion psychanalytique. (Librairie Heugel, éditions « Psyché », Paris). – Cette brochure contient une sévère critique de la psychanalyse, que nous ne pouvons assurément qu’approuver, et qui coïncide même sur certains points avec ce que nous avons écrit ici nous-mêmes sur ce sujet, notamment en ce qui concerne le caractère particulièrement inquiétant de la « transmission » psychanalytique, à propos de laquelle l’auteur cite d’ailleurs nos articles. Le titre se justifie par le fait que non seulement la psychanalyse renverse les rapports normaux du « conscient » et du « subconscient », mais aussi qu’elle se présente, à bien des égards, comme une sorte de « religion à rebours », ce qui montre assez de quelle source elle peut être inspirée ; le rôle pédagogique qu’elle prétend jouer et son infiltration dans les diverses méthodes dites d’« éducation nouvelle » sont aussi quelque chose d’assez significatif… La seconde partie, intitulée Totémisme et Freudisme est consacrée plus spécialement à l’examen de la théorie extravagante que Freud a formulée sur l’origine de la religion, en prenant pour point de départ les élucubrations, déjà passablement fantastiques et incohérentes, des sociologues sur le « totémisme », et en y adjoignant ses conceptions propres, on pourrait dire volontiers ses « obsessions » ; tout cela donne une idée fort édifiante d’une certaine partie de la « science » contemporaine… et de la mentalité de ceux qui y croient ! »

1940 : R. de Saussure. Le Miracle grec, Étude psychanalytique sur la civilisation hellénique. (Éditions Denoël, Paris). – Nous avons précisément ici un exemple de théories du genre de celles dont il est question ci-dessus : quelques lignes de l’introduction donneront une idée suffisante de l’esprit dans lequel ce livre est conçu : « Le berceau de l’humanité nous est apparu comme une sorte de névrose collective qui faisait obstacle au développement de l’intelligence. (Admirons en passant cette image d’un « berceau » qui est une « névrose »…) Chaque civilisation est une tentative, plus ou moins réussie, d’autoguérison spontanée. La première en date, la civilisation grecque est parvenue à faire tomber le voile qui la séparait de la réalité ». Il va sans dire que ce qui est appelé ici « intelligence » n’est rien de plus que la raison, et que son « développement » consiste à se tourner exclusivement vers le domaine sensible ; et, pour ce qui est de la « réalité », il faut entendre tout simplement par là les choses envisagées au point de vue profane, qui, pour l’auteur et pour ceux qui pensent comme lui, représente « l’achèvement le plus complet de l’homme » ! Aussi, même quand certains faits sont énoncés exactement, l’interprétation qui en est donnée est-elle proprement au rebours de ce qu’elle devrait être : tout ce qui, dans la période « classique », marque une dégénérescence ou une déviation par rapport aux époques précédentes, est présenté au contraire comme un « progrès »… Dans tout cela, d’ailleurs, l’auteur a mis assez peu de chose de lui-même, car son livre est fait surtout de citations d’« autorités » pour lesquelles il a manifestement le plus grand respect ; il paraît bien être de ceux qui acceptent sans la moindre discussion toutes les idées enseignées plus ou moins « officiellement » ; à ce titre, on pourrait considérer son travail comme une « anthologie » assez curieuse de ce qu’on est convenu d’admettre dans les milieux « scientistes » actuels en ce qui concerne les civilisations antiques. Il serait bien inutile d’entrer dans le détail et d’insister sur l’explication qui est donnée du soi-disant « miracle grec » ; en la débarrassant de toute la « mythologie » freudienne dont elle est entourée, on pourrait en somme la résumer en ces quelques mots : c’est la révolte contre les institutions familiales, et par suite, contre tout ordre traditionnel, qui, en rendant possible la « liberté de pensée », a été la cause initiale de tout « progrès » ; ce n’est donc là, au fond, que l’expression même de l’esprit antitraditionnel moderne sous sa forme la plus brutale. Ajoutons encore une remarque : il a été successivement de mode, depuis un siècle environ, d’assimiler les « hommes primitifs » à des enfants, puis à des sauvages ; maintenant, on veut les assimiler à des malades, et plus précisément à des « névrosés » ; malheureusement on ne s’aperçoit pas que ces « névrosés » ne sont en réalité, qu’un des produits les plus caractéristiques de la « civilisation » tant vantée de notre époque ! »

Mai 1946 : « Longfield Beatty. The Garden of the Golden Flower. (Rider and Co., London). – Ce livre dont le titre même est une allusion manifeste à l’interprétation du Secret de la Fleur d’Or donnée par C. J. Jung, est un exemple caractéristique de la fâcheuse influence exercée par les conceptions psychanalytiques sur ceux qui veulent s’occuper de symbolisme sans posséder des données traditionnelles suffisantes. Assurément, l’auteur entend bien aller plus loin que les psychanalystes et ne pas se limiter au seul domaine reconnu par ceux-ci ; mais il n’en regarde pas moins Freud et ses disciples, et aussi Frazer d’un autre côté, comme des « autorités incontestées » dans leur ordre, ce qui ne peut que lui fournir un fort mauvais point de départ. Si la thèse se bornait à envisager deux principes complémentaires, ainsi que leur union et ce qui en résulte, et à chercher à retrouver ces trois termes aux différents « niveaux » qu’il appelle respectivement « physique », « mystique » (?) et « spirituel », il n’y aurait certes rien à redire, puisque cela est effectivement conforme aux enseignements de toute cosmologie traditionnelle ; mais alors il n’y aurait évidemment nul besoin de faire appel à la psychanalyse, ni d’ailleurs à des théories psychologiques quelles qu’elles soient. Seulement, l’influence de celles-ci, et aussi celle du « totem » et du « tabou », apparaissent à chaque instant dans la façon spéciale dont ces questions sont traitées ; l’auteur ne va-t-il pas jusqu’à faire de l’« inconscient » la source de tout symbolisme, et du trop fameux « complexe d’Œdipe » (quels que soient d’ailleurs les efforts qu’il fait pour en « spiritualiser » la signification) le point central de toutes ses explications. Celles qu’il donne au sujet des « héros solaires » et d’autres « mythes » et « légendes », et qui forment la plus grande partie de l’ouvrage, sont d’ailleurs, d’une façon générale, extrêmement confuses, et lui-même ne semble pas toujours très sûr de leur exactitude ; on a l’impression qu’il essaie de procéder par une série d’approximations successives, sans qu’on puisse voir nettement à quoi elles le conduisent ; et les correspondances plutôt embrouillées et souvent douteuses qu’il indique dans divers tableaux (il les appelle assez singulièrement des « équations ») ne sont guère de nature à éclaircir son exposé… » (Repris dans des rééditions du livre Le Théosophisme, Histoire d’une Pseudo-Religion) -

1949 : « Les Études Carmélitaines ont fait paraître, dans le courant de l’année 1948, un numéro spécial sur Satan… nous mentionnerons seulement, à titre de curiosité, la reproduction de quelques documents inédits concernant l’abbé Boullan, suivie d’une double étude graphologique et psychiatrique. Mais, à propos de psychiatrie, que dire de la place qu’on a cru devoir faire par ailleurs à la psychanalyse, à tel point qu’on va jusqu’à parler (nous voulons croire du moins que ce n’est qu’en un sens figuré) d’une « psychanalyse du diable » ? Voilà encore une infiltration de l’esprit moderne qui nous paraît particulièrement inquiétante ; et, quand on associe à l’avènement de cette psychiatrie suspecte « le développement de l’esprit critique », avec une intention visiblement bienveillante, cela non plus n’est pas fait pour nous rassurer… »

Décembre 1949 « - Dans le numéro de mai, Psychanalyse collective et symbolisme maçonnique, par « Timotheus » se base sur les théories de Jung pour interpréter l’idée de tradition et l’origine du symbolisme ; comme nous avons déjà montré, dans notre récent article sur Tradition et « inconscient » (voir numéro de juillet-août 1949), les dangereuses erreurs qu’impliquent les conceptions de ce genre, il est inutile que nous y insistions de nouveau, et nous remarquerons seulement ceci : quand on rapporte le surréalisme à l’action de la contre-initiation, comment peut-on ne pas se rendre compte que la même chose est vraie à plus forte raison pour la psychanalyse ? » (Repris dans Études sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage, tome 2).

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