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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon - La Shekinah et Metatron.

René Guénon - La Shekinah et Metatron.

Certains esprits craintifs, et dont la compréhension se trouve étrangement limitée par des idées préconçues, ont été effrayés par la désignation même du « Roi du Monde », qu’ils ont aussitôt rapprochée de celle du Princeps hujus mundi dont il est question dans l’Évangile. Il va de soi qu’une telle assimilation est complètement erronée et dépourvue de fondement ; nous pourrions, pour l’écarter, nous borner à faire remarquer simplement que ce titre de « Roi du Monde », en hébreu et en arabe, est appliqué couramment à Dieu même (1). Cependant, comme il peut y avoir là l’occasion de quelques observations intéressantes, nous envisagerons à ce propos les théories de la Kabbale hébraïque concernant les « intermédiaires célestes », théories qui, d’ailleurs, ont un rapport très direct avec le sujet principal de la présente étude.

Les « intermédiaires célestes » dont il s’agit sont la Shekinah et Metatron ; et nous dirons tout d’abord que, dans le sens le plus général, la Shekinah est la « présence réelle » de la Divinité. Il faut noter que les passages de l’Écriture où il en est fait mention tout spécialement sont surtout ceux où il s’agit de l’institution d’un centre spirituel : la construction du Tabernacle, l’édification des Temples de Salomon et de Zorobabel. Un tel centre, constitué dans des conditions régulièrement définies, devait être en effet le lieu de la manifestation divine, toujours représentée comme « Lumière » ; et il est curieux de remarquer que l’expression de « lieu très éclairé et très régulier », que la Maçonnerie a conservée, semble bien être un souvenir de l’antique science sacerdotale qui présidait à la construction des temples, et qui, du reste, n’était pas particulière aux Juifs ; nous reviendrons là-dessus plus tard. Nous n’avons pas à entrer dans le développement de la théorie des « influences spirituelles » (nous préférons cette expression au mot « bénédictions » pour traduire l’hébreu berakoth, d’autant plus que c’est là le sens qu’a gardé très nettement en arabe le mot barakah) ; mais, même en se bornant à envisager les choses à ce seul point de vue il serait possible de s’expliquer la parole d’Elias Levita, que rapporte M. Vulliaud dans son ouvrage sur La Kabbale juive : « Les Maîtres de la Kabbale ont à ce sujet de grands secrets. »

La Shekinah se présente sous des aspects multiples, parmi lesquels il en est deux principaux, l’un interne et l’autre externe ; or il y a d’autre part, dans la tradition chrétienne, une phrase qui désigne aussi clairement que possible ces deux aspects : « Gloria in excelsis Deo, et in terra Pax hominibus bonæ voluntatis. » Les mots Gloria et Pax se réfèrent respectivement à l’aspect interne, par rapport au Principe, et à l’aspect externe, par rapport au monde manifesté ; et, si l’on considère ainsi ces paroles, on peut comprendre immédiatement pourquoi elles sont prononcées par les Anges (Malakim) pour annoncer la naissance du « Dieu avec nous » ou « en nous » (Emmanuel). On pourrait aussi, pour le premier aspect, rappeler les théories des théologiens sur la « lumière de gloire » dans et par laquelle s’opère la vision béatifique (in excelsis) ; et, quant au second, nous retrouvons ici la « Paix », à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure, et qui, en son sens ésotérique, est indiquée partout comme l’un des attributs fondamentaux des centres spirituels établis en ce monde (in terra). D’ailleurs, le terme arabe Sakînah, qui est évidemment identique à l’hébreu Shekinah, se traduit par « Grande Paix », ce qui est l’exact équivalent de la Pax Profunda des Rose-Croix ; et, par là, on pourrait sans doute expliquer ce que ceux-ci entendaient par le « Temple du Saint-Esprit », comme on pourrait aussi interpréter d’une façon précise les nombreux textes évangéliques dans lesquels il est parlé de la « Paix » (2), d’autant plus que « la tradition secrète concernant la Shekinah aurait quelque rapport à la lumière du Messie ». Est-ce sans intention que M. Vulliaud, lorsqu’il donne cette dernière indication (3), dit qu’il s’agit de la tradition « réservée à ceux qui poursuivaient le chemin qui aboutit au Pardes », c’est-à-dire, comme nous le verrons plus loin, au centre spirituel suprême ?

Ceci amène encore une autre remarque connexe : M. Vulliaud parle ensuite d’un « mystère relatif au Jubilé » (4), ce qui se rattache en un sens à l’idée de « Paix », et, à ce propos, il cite ce texte du Zohar (III, 52 b) : « Le fleuve qui sort de l’Éden porte le nom de Iobel », ainsi que celui de Jérémie (XVII, 8) : « Il étendra ses racines vers le fleuve », d’où il résulte que « l’idée centrale du Jubilé est la remise de toutes choses en leur état primitif ». Il est clair qu’il s’agit de ce retour à l’« état primordial » qu’envisagent toutes les traditions, et sur lequel nous avons eu l’occasion d’insister quelque peu dans notre étude sur L’Ésotérisme de Dante ; et, quand on ajoute que « le retour de toutes choses à leur premier état marquera l’ère messianique », ceux qui ont lu cette étude pourront se souvenir de ce que nous y disions sur les rapports du « Paradis terrestre » et de la « Jérusalem céleste ». D’ailleurs, à vrai dire, ce dont il s’agit en tout cela, c’est toujours, à des phases diverses de la manifestation cyclique, le Pardes, le centre de ce monde, que le symbolisme traditionnel de tous les peuples compare au cœur, centre de l’être et « résidence divine » (Brahma-pura dans la doctrine hindoue), comme le Tabernacle qui en est l’image et qui, pour cette raison, est appelé en hébreu mishkan ou « habitacle de Dieu », mot dont la racine est la même que celle de Shekinah.

À un autre point de vue, la Shekinah est la synthèse des Sephiroth ; or, dans l’arbre séphirothique, la « colonne de droite » est le côté de la Miséricorde, et la « colonne de gauche » est le côté de la Rigueur (5) ; nous devons donc aussi retrouver ces deux aspects dans la Shekinah, et nous pouvons remarquer tout de suite, pour rattacher ceci à ce qui précède, que, sous un certain rapport tout au moins, la Rigueur s’identifie à la Justice et la Miséricorde à la Paix (6). « Si l’homme pèche et s’éloigne de la Shekinah, il tombe sous le pouvoir des puissances (Sârim) qui dépendent de la Rigueur (7) », et alors la Shekinah est appelée « main de rigueur », ce qui rappelle immédiatement le symbole bien connu de la « main de justice » ; mais, au contraire, « si l’homme se rapproche de la Shekinah, il se libère », et la Shekinah est la « main droite » de Dieu, c’est-à-dire que la « main de justice » devient alors la « main bénissante » (8). Ce sont là les mystères de la « Maison de Justice » (Beith-Din), ce qui est encore une autre désignation du centre spirituel suprême (9) ; et il est à peine besoin de faire remarquer que les deux côtés que nous venons d’envisager sont ceux où se répartissent les élus et les damnés dans les représentations chrétiennes du « Jugement dernier ». On pourrait également établir un rapprochement avec les deux voies que les Pythagoriciens figuraient par la lettre Y, et que représentait sous une forme exotérique le mythe d’Hercule entre la Vertu et le Vice ; avec les deux portes céleste et infernale qui, chez les Latins, étaient associées au symbolisme de Janus ; avec les deux phases cycliques ascendante et descendante (10) qui, chez les Hindous, se rattachent pareillement au symbolisme de Ganêsha (11). Enfin, il est facile de comprendre par là ce que veulent dire véritablement des expressions comme celles d’« intention droite », que nous retrouverons dans la suite, et de « bonne volonté » (« Pax hominibus bonae voluntatis », et ceux qui ont quelque connaissance des divers symboles auxquels nous venons de faire allusion verront que ce n’est pas sans raison  que la fête de Noël coïncide avec l’époque du solstice d’hiver), quand on a soin de laisser de côté toutes les interprétations extérieures, philosophiques et morales, auxquelles elles ont donné lieu depuis les Stoïciens jusqu’à Kant.

(1) Il y a d’ailleurs une grande différence de sens entre « le Monde » et « ce monde », à tel point que, dans certaines langues, il existe pour les désigner deux termes entièrement distincts ; ainsi, en arabe, « le Monde » est el-âlam, tandis que « ce monde » est ed-dunyâ.

(2) Il est d’ailleurs déclaré très explicitement, dans l’Évangile même, que ce dont il s’agit n’est point la paix au sens où l’entend le monde profane (St Jean, XIV, 27).

(3) La Kabbale juive, t. I, p. 503.

(4) Ibid., t. I, pp. 506-507.

(5) Un symbolisme tout à fait comparable est exprimé par la figure médiévale de l’« arbre des vifs et des morts », qui a en outre un rapport très net avec l’idée de « postérité spirituelle » ; il faut remarquer que l’arbre séphirothique est aussi considéré comme s’identifiant à l’« Arbre de Vie ».

(6) D’après le Talmud, Dieu a deux sièges, celui de la Justice et celui de la Miséricorde ; ces deux sièges correspondent aussi au « Trône » et à la « Chaise » de la tradition islamique. Celle-ci divise d’autre part les noms divins çifâtiyah, c’est-à-dire ceux qui expriment des attributs proprement dits d’Allah, en « noms de majesté » (jalâliyah) et « noms de beauté » (jamâliyah), ce qui répond encore à une distinction du même ordre.

(7) La Kabbale juive, t. I, p. 507.

(8) D’après saint Augustin et divers autres Pères de l’Église, la main droite représente de même la Miséricorde ou la Bonté, tandis que la main gauche, en Dieu surtout, est le symbole de la Justice. La « main de justice » est un des attributs ordinaires de la royauté ; la « main bénissante » est un signe de l’autorité sacerdotale, et elle a été parfois prise comme symbole du Christ. - Cette figure de la « main bénissante » se trouve sur certaines monnaies gauloises, de même que le swastika, parfois à branches courbes.

(9) Ce centre, ou l’un quelconque de ceux qui sont constitués à son image, peut être décrit symboliquement à la fois comme un temple (aspect sacerdotal, correspondant à la Paix) et comme un palais ou un tribunal (aspect royal, correspondant à la Justice).

(10) Il s’agit des deux moitiés du cycle zodiacal, que l’on trouve fréquemment représenté au portail des églises du moyen âge avec une disposition qui lui donne manifestement la même signification.

(11) Tous les symboles que nous énumérons ici demanderaient à être longuement expliqués ; nous le ferons peut-être quelque jour dans une autre étude.

« La Kabbale donne à la Shekinah un parèdre qui porte des noms identiques aux siens, qui possède par conséquent les mêmes caractères (12) », et qui a naturellement autant d’aspects différents que la Shekinah elle-même ; son nom est Metatron, et ce nom est numériquement équivalent à celui de Shaddaï (13), le « Tout-Puissant » (qu’on dit être le nom du Dieu d’Abraham). L’étymologie du mot Metatron est fort incertaine ; parmi les diverses hypothèses qui ont été émises à ce sujet, une des plus intéressantes est celle qui le fait dériver du chaldaïque Mitra, qui signifie « pluie », et qui a aussi, par sa racine, un certain rapport avec la « lumière ». S’il en est ainsi, d’ailleurs, il ne faudrait pas croire que la similitude avec le Mitra hindou et zoroastrien constitue une raison suffisante pour admettre qu’il y ait là un emprunt du Judaïsme à des doctrines étrangères, car ce n’est pas de cette façon tout extérieure qu’il convient d’envisager les rapports qui existent entre les différentes traditions ; et nous en dirons autant en ce qui concerne le rôle attribué à la pluie dans presque toutes les traditions, en tant que symbole de la descente des « influences spirituelles » du Ciel sur la Terre. À ce propos, signalons que la doctrine hébraïque parle d’une « rosée de lumière » émanant de l’« Arbre de Vie » et par laquelle doit s’opérer la résurrection des morts, ainsi que d’une « effusion de rosée » qui représente l’influence céleste se communiquant à tous les mondes, ce qui rappelle singulièrement le symbolisme alchimique et rosicrucien.

« Le terme de Metatron comporte toutes les acceptions de gardien, de Seigneur, d’envoyé, de médiateur » ; il est « l’auteur des théophanies dans le monde sensible (14) » ; il est « l’Ange de la Face », et aussi « le Prince du Monde » (Sâr ha-ôlam), et l’on voit par cette dernière désignation que nous ne nous sommes nullement éloigné de notre sujet. Pour employer le symbolisme traditionnel que nous avons déjà expliqué précédemment, nous dirions volontiers que, comme le chef de la hiérarchie initiatique est le « Pôle terrestre », Metatron est le « Pôle céleste » ; et celui-ci a son reflet dans celui-là, avec lequel il est en relation directe suivant l’« Axe du Monde ». « Son nom est Mikaël, le Grand Prêtre qui est holocauste et oblation devant Dieu. Et tout ce que font les Israélites sur terre est accompli d’après les types de ce qui se passe dans le monde céleste. Le Grand Pontife ici-bas symbolise Mikaël, prince de la Clémence… Dans tous les passages où l’Écriture parle de l’apparition de Mikaël, il s’agit de la gloire de la Shekinah (15). » Ce qui est dit ici des Israélites peut être dit pareillement de tous les peuples possesseurs d’une tradition véritablement orthodoxe ; à plus forte raison doit-on le dire des représentants de la tradition primordiale dont toutes les autres dérivent et à laquelle elles sont toutes subordonnées ; et ceci est en rapport avec le symbolisme de la « Terre Sainte », image du monde céleste, auquel nous avons déjà fait allusion. D’autre part, suivant ce que nous avons dit plus haut, Metatron n’a pas que l’aspect de la Clémence, il a aussi celui de la Justice ; il n’est pas seulement le « Grand Prêtre » (Kohen ha-gadol), mais aussi le « Grand Prince » (Sâr ha-gadol) et le « chef des milices célestes », c’est-à-dire qu’en lui est le principe du pouvoir royal, aussi bien que du pouvoir sacerdotal ou pontifical auquel correspond proprement la fonction de « médiateur ». Il faut d’ailleurs remarquer que Melek, « roi », et Maleak, « ange » ou « envoyé », ne sont en réalité que deux formes d’un seul et même mot ; de plus, Malaki, « mon envoyé » (c’est-à-dire l’envoyé de Dieu, ou « l’ange dans lequel est Dieu », Maleak ha-Elohim), est l’anagramme de Mikaël (16).

Il convient d’ajouter que, si Mikaël s’identifie à Metatron comme on vient de le voir, il n’en représente cependant qu’un aspect ; à côté de la face lumineuse, il y a une face obscure, et celle-ci est représentée par Samaël, qui est également appelé Sâr ha-ôlam ; nous revenons ici au point de départ de ces considérations. En effet, c’est ce dernier aspect, et celui-là seulement, qui est « le génie de ce monde » en un sens inférieur, le Princeps hujus mundi dont parle l’Évangile ; et ses rapports avec Metatron, dont il est comme l’ombre, justifient l’emploi d’une même désignation dans un double sens, en même temps qu’ils font comprendre pourquoi le nombre apocalyptique 666, le « nombre de la Bête », est aussi un nombre solaire (17). Du reste, suivant saint Hippolyte (18), « le Messie et l’Antéchrist ont tous deux pour emblème le lion », qui est encore un symbole solaire ; et la même remarque pourrait être faite pour le serpent (19) et pour beaucoup d’autres symboles. Au point de vue kabbalistique, c’est encore des deux faces opposées de Metatron qu’il s’agit ici ; nous n’avons pas à nous étendre sur les théories qu’on pourrait formuler, d’une façon générale, sur ce double sens des symboles, mais nous dirons seulement que la confusion entre l’aspect lumineux et l’aspect ténébreux constitue proprement le « satanisme » ; et c’est précisément cette confusion que commettent, involontairement sans doute et par simple ignorance (ce qui est une excuse, mais non une justification), ceux qui croient découvrir une signification infernale dans la désignation du « Roi du Monde » (20).

(12) La Kabbale juive, t. I, pp. 497-498.

(13) Le nombre de chacun de ces deux noms, obtenu par l’addition des valeurs des lettres hébraïques dont il est formé, est 314.

(14) La Kabbale juive, t. 1, pp. 492 et 499.

(15) Ibid., t. I, pp. 500-501.

(16) Cette dernière remarque rappelle naturellement ces paroles : « Benedictus qui venit in nomine Domini » ; celles-ci sont appliquées au Christ, que le Pasteur d’Hermas assimile précisément à Mikaël d’une façon qui peut sembler assez étrange, mais qui ne doit pas étonner ceux qui comprennent le rapport qui existe entre le Messie et la Shekinah. Le Christ est aussi appelé « Prince de la Paix », et il est en même temps le « Juge des vivants et des morts ».

(17) Ce nombre est formé notamment par le nom de Sorath, démon du Soleil, et opposé comme tel à l’ange Mikaël ; nous en verrons plus loin une autre signification.

(18) Cité par M. Vulliaud, La Kabbale juive, t. II, p. 373.

(19) Les deux aspects opposés sont figurés notamment par les deux serpents du caducée ; dans l’iconographie chrétienne, ils sont réunis dans l’« amphisbène », le serpent à deux têtes, dont l’une représente le Christ et l’autre Satan.

(20) Signalons encore que le « Globe du Monde », insigne du pouvoir impérial ou de la monarchie universelle, se trouve fréquemment placé dans la main du Christ, ce qui montre d’ailleurs qu’il est l’emblème de l’autorité spirituelle aussi bien que du pouvoir temporel.

[René Guénon, Le Roi du Monde, Chapitre III - La Shekinah et Metatron].

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J
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B
C NEBULEUX
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