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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon - La Kabbale juive

René Guénon - La Kabbale juive

Il n’y avait jusqu’ici aucun travail d’ensemble présentant un caractère vraiment sérieux pour l’étude de la Kabbale ; en effet, le livre d’Adolphe Franck, malgré sa réputation, montre surtout à quel point son auteur, plein de préjugés universitaires, et d’ailleurs ignorant complètement l’hébreu, était incapable de comprendre le sujet qu’il s’était efforcé de traiter ; et il est préférable de s’abstenir de parler de certaines compilations, aussi indigestes que fantaisistes, comme celle de Papus (1). Il y avait donc là une fâcheuse lacune à combler, et l’important travail de M. Paul Vulliaud (2) semblait précisément destiné à cet effet ; et pourtant, bien que ce travail soit fort consciencieusement fait et qu’il contienne beaucoup de choses intéressantes, nous devons avouer que sa lecture nous a quelque peu déçu. Cet ouvrage, dont nous aurions souhaité pouvoir recommander la lecture sans réserve, n’expose pas ce que son titre très général laissait espérer, et le contenu du livre est loin d’être sans défaut.

À dire vrai, le sous-titre d’ « Essai critique » aurait pu déjà nous mettre en garde sur l’esprit dans lequel ce livre a été conçu, parce que nous ne savons que trop ce qu’il faut entendre par ce terme de « critique » quand il est employé par les savants « officiels » ; mais, M. Vulliaud n’appartenant pas à cette catégorie, nous avions d’abord été seulement étonné qu’il ait fait usage d’une expression susceptible d’une aussi fâcheuse interprétation. Par la suite, nous avons mieux compris les intentions que l’auteur avait, par ce moyen, voulu faire entrevoir ; ces intentions, nous les avons trouvées le plus nettement exprimées dans une note où il déclare s’être assigné un « double but : traiter de la Kabbale et de son histoire, puis exposer, chemin faisant, la méthode dite scientifique suivant laquelle travaillent des auteurs pour la plupart favorablement connus » (T. II, p. 206). Ainsi donc, il ne s’agissait pas pour lui de suivre les auteurs en question ni d’adopter leurs préjugés, mais au contraire de les combattre, ce dont nous ne pouvons que le féliciter ; seulement, il a voulu les combattre sur leur propre terrain et en quelque manière avec leurs propres armes, et c’est ainsi qu’il s’est fait, pour ainsi dire, le critique des critiques eux-mêmes. En effet, il se place lui aussi au point de vue de la pure et simple érudition ; il semble bien l’avoir fait volontairement, mais cette attitude est-elle vraiment habile et avantageuse ? M. Vulliaud se défend d’être kabbaliste, et il le fait avec une insistance qui nous a surpris et que nous ne comprenons pas très bien ; serait-il donc de ceux qui se font une gloire d’être des « profanes », et que, jusqu’à présent, nous n’avions rencontrés surtout que dans les milieux « officiels », et vis-à-vis desquels il fait preuve d’une juste sévérité ? Il va même jusqu’à se qualifier de « simple amateur », en quoi nous voulons croire qu’il se calomnie ; ne se prive-t-il pas ainsi d’une bonne partie de cette autorité qui lui serait nécessaire face aux auteurs dont il discute les assertions ? Du reste, ce parti pris d’envisager une doctrine en « profane », c’est-à-dire « de l’extérieur », nous paraît exclure toute possibilité de compréhension profonde ; et, si ce n’est qu’une façon de faire, on ne peut que la regretter puisque, même si l’on a atteint cette compréhension pour son propre compte, on s’appliquera alors à n’en rien laisser paraître ; l’intérêt de la partie doctrinale en sera fort diminué, et quant à la partie critique elle-même, l’auteur y fera figure de polémiste plutôt que de juge qualifié, ce qui constituera pour lui une évidente infériorité.

D’autre part, deux buts pour un seul ouvrage, c’est probablement un de trop ; et, dans le cas de M. Vulliaud, il est bien regrettable que le second de ces buts, tels qu’ils ont été indiqués plus haut, lui fasse trop souvent perdre de vue le premier, qui était pourtant, et de beaucoup, le plus important. En effet, les discussions et les critiques se poursuivent d’un bout à l’autre de son livre, et jusque dans les chapitres dont le titre annonçait un exposé purement doctrinal ; il en résulte une certaine impression de désordre et de confusion. Parmi ces critiques, il en est d’ailleurs de forts justes, par exemple à l’égard de Renan et de Franck, ou encore de certains occultistes ; c’est elles qui sont les plus nombreuses. Il en est d’autres qui sont plus contestables (3) ; ainsi, en particulier, celles concernant Fabre d’Olivet, vis-à-vis duquel M. Vulliaud semble s’être fait l’écho de certaines haines rabbiniques (à moins qu’il n’ait hérité de la haine de Napoléon lui-même envers l’auteur de La Langue hébraïque restituée, mais cette seconde hypothèse est beaucoup moins vraisemblable). De toute façon, et même s’il s’agit de critiques plus légitimes, comme celles qui peuvent utilement contribuer à détruire des réputations usurpées, n’aurait-il pas été possible de dire les mêmes choses plus brièvement et, surtout, moins sévèrement (4) et sur un ton moins agressif ? L’ouvrage y eût certainement gagné, d’abord parce qu’il n’aurait pas donné cette apparence d’un travail polémique, aspect qu’il présente trop souvent et que des gens malintentionnés pourraient facilement utiliser contre son auteur, et, ensuite, l’essentiel y aurait été moins souvent sacrifié à des considérations, qui, en somme, ne sont qu’accessoires et d’un intérêt relatif.

Il y a encore d’autres défauts regrettables : les imperfections de la forme sont aussi gênantes ; nous ne voulons pas parler seulement des fautes d’impression, qui sont extrêmement nombreuses et dont les « errata » ne rectifient qu’une infime partie, mais de trop fréquentes incorrections qu’il est difficile, même avec une forte dose de bonne volonté, de mettre sur le compte du typographe. Il y a encore divers « lapsus » véritablement malencontreux dont nous avons relevé un certain nombre, et ceux-ci, chose curieuse, se trouvent principalement dans le second volume, comme si celui-ci avait été écrit plus hâtivement. Ainsi, par exemple, Franck ne fut pas « professeur de philosophie au collège Stanislas » (p. 241), mais au Collège de France, ce qui est tout différent. En outre, M. Vulliaud nomme Cappelle, et parfois même Capelle, l’hébraïsant Louis Cappel, dont nous pouvons rétablir le nom exact d’autant plus sûrement que, en écrivant ces lignes, nous avons sous les yeux sa propre signature ; M. Vulliaud n’aurait-il donc vu ce nom que sous une forme latinisée ? Tout cela n’est pas grand-chose ; mais, par contre, à la p. 26, il est question d’un nom divin de 26 lettres, et il se trouve ensuite que ce même nom en a 42 ; ce passage est vraiment incompréhensible, et nous nous demandons s’il n’y a pas là quelque omission (5). Nous indiquerons encore une autre négligence du même ordre, mais qui est d’autant plus grave qu’elle est cause d’une véritable injustice ; critiquant un rédacteur de l’Encyclopedia Britannica, M. Vulliaud termine par ces mots : « On ne pouvait attendre beaucoup de fermeté logique chez un auteur qui estime dans un même article que l’on a trop sous-estimé les doctrines kabbalistiques (absurdly over-estimated) et que le Zohar est un farrago of absurdity » (T. H, p. 418). Les mots anglais ont été cités par M. Vulliaud lui-même ; or over-estimated ne veut point dire « sous-estimé » (qui serait under-estimated), mais bien « surestimé », ce qui est tout le contraire, de sorte que, quelles que soient d’ailleurs les erreurs contenues dans l’article de cet auteur, la contradiction qui lui est reprochée ne s’y trouve en réalité nullement. Assurément, ce ne sont là que des détails ; mais, quand on se montre si sévère pour les autres et toujours prêt à les prendre en défaut, ne devrait-on pas s’efforcer d’être soi-même irréprochable ?

Il y a un manque d’uniformité dans la transcription des mots hébreux qui est assez désagréable ; nous savons bien qu’aucune transcription ne peut être parfaitement exacte, mais au moins, quand on en adopte une, quelle qu’elle soit, il serait préférable de s’y tenir d’une façon constante. De plus, il y a quelques termes qui semblent avoir été traduits beaucoup trop hâtivement, et pour lesquels il n’aurait pas été bien difficile de trouver une interprétation plus satisfaisante ; nous en donnerons tout de suite un exemple très précis. À la p. 49 du T. II est représentée une figure de teraphim sur laquelle est inscrit entre autres le mot luz ; M. Vulliaud a reproduit les divers sens du verbe luz donnés par Buxtorf en faisant suivre chacun d’eux d’un point d’interrogation, tellement ils lui semblaient peu applicables en pareil cas ; mais il n’a pas pensé qu’il existait aussi un substantif luz, lequel signifie ordinairement « amande » ou « noyau » (et aussi « amandier », parce qu’il désigne en même temps l’arbre et son fruit). Or, ce même substantif est, en langage rabbinique, le nom d’une particule corporelle indestructible à laquelle l’âme demeurerait liée après la mort (et il est curieux de noter que cette tradition juive a très probablement inspiré certaines théories de Leibnitz) ; cette dernière signification est certainement la plus plausible, et elle est d’ailleurs confirmée, selon nous, par la place même que le mot luz occupe sur la figure.

L’auteur a le tort d’aborder parfois incidemment certains sujets sur lesquels il est évidemment beaucoup moins informé que sur la Kabbale, et dont il aurait bien pu se dispenser de parler, ce qui lui eût évité quelques méprises qui, pour excusables quelles soient (étant donné qu’il n’est pas possible d’avoir la même compétence dans tous les domaines), ne peuvent que nuire à un travail sérieux. C’est ainsi que nous avons trouvé (T. II, p. 377) un passage où il est question d’une soi-disant « Théosophie chinoise » dans laquelle nous avons eu quelque peine à reconnaître le Taoïsme, qui n’est de la « théosophie » dans aucune des acceptions de ce mot, et dont le résumé, fait d’après nous ne savons quelle source (car ici, justement, il n’y a aucune référence), est éminemment fantaisiste. Par exemple on y oppose « la nature active (tièn = le ciel) », à « la nature passive (kouèn = la terre) » ; or kouèn na jamais signifié « la terre », et les expressions « nature active » et « nature passive » font beaucoup moins penser aux conceptions de l’Extrême-Orient qu’à la « nature naturante » et à la « nature naturée » de Spinoza. On a ainsi confondu, avec la plus extrême naïveté, deux dualités différentes, celle de la « perfection active », khièn, et de la « perfection passive », kouèn (nous disons « perfection » et non « nature »), et celle du « ciel », tièn, et de la « terre », ti. Puisque nous en sommes venu à parler des doctrines orientales, nous ferons à ce propos une autre observation : après avoir fort justement remarqué le désaccord qui règne entre les égyptologues ou autres « spécialistes » du même genre, ce qui implique qu’il est impossible de se fier à leurs opinions, M. Vulliaud signale qu’il arrive la même chose chez les indianistes (T. II, p. 363), ce qui est exact ; mais comment n’a-t-il pas vu que ce dernier cas n’était nullement comparable aux autres ? En effet, s’agissant de peuples comme les anciens Égyptiens ou Assyriens, qui ont disparu sans laisser de successeurs légitimes, nous n’avons évidemment aucun moyen de contrôle direct, et il est bien permis d’éprouver un certain scepticisme quant à la valeur des reconstitutions fragmentaires et hypothétiques ; mais, à l’inverse, pour l’Inde ou la Chine, dont les civilisations se sont continuées jusqu’à nous et sont toujours vivantes, il est parfaitement possible de savoir à quoi s’en tenir ; ce qui importe, ce n’est pas tant ce que disent les indianistes, mais uniquement ce que pensent les Hindous eux-mêmes. M. Vulliaud, qui se préoccupe de ne recourir qu’à des sources hébraïques pour savoir ce qu’est véritablement la Kabbale, ce en quoi il a grandement raison, puisque la Kabbale est la tradition du Judaïsme, ne pourrait-il point admettre qu’on ne doit pas agir autrement quand on veut étudier les autres traditions ?

Il est d’autres choses que M. Vulliaud ne connaît guère mieux que les doctrines extrême-orientales, et qui pourtant auraient dû lui être plus accessibles, ne serait-ce que parce qu’elles sont occidentales. Ainsi, par exemple, le Rosicrucianisme, à propos duquel il semble n’en savoir guère plus que les historiens « profanes » et « officiels », et dont le caractère essentiellement hermétique semble lui avoir même échappé ; il sait seulement qu’il s’agit là de quelque chose de totalement différent de la Kabbale (l’idée occultiste et moderne d’une « Rose-Croix Kabbalistique » est effectivement une pure fantaisie), mais, pour appuyer cette assertion et ne pas s’en tenir à une simple négation, encore serait-il nécessaire de montrer précisément que la Kabbale et l’Hermétisme sont deux formes traditionnelles entièrement distinctes. Toujours à propos du Rosicrucianisme, nous ne pensons pas qu’il soit possible de « procurer une petite émotion aux Dignitaires de la science classique » en rappelant le fait que Descartes a cherché à se mettre en rapport avec les Rose-Croix durant son séjour en Allemagne (T. II, p. 235), car ce fait est très connu ; rmais ce qui est certain, c’est qu’il n’a pu y parvenir, et l’esprit même de ses ouvrages, aussi opposé qu’il soit possible à tout ésotérisme, est à la fois la preuve et l’explication de cet échec. Il est étonnant de voir citer, comme l’indice d’une affiliation possible de Descartes à la Fraternité, une dédicace (celle du Thesaurus mathematicus) qui est manifestement ironique et où se sent au contraire tout le dépit d’un homme qui n’avait pas pu obtenir l’affiliation qu’il avait recherchée.

Ce qui est encore plus singulier, ce sont les bévues commises par M. Vulliaud concernant la Maçonnerie ; juste après s’être moqué d’Éliphas Lévi, qui a effectivement accumulé les confusions quand il a voulu commencer à parler de la Kabbale, il avance lui aussi, en parlant de la Maçonnerie, des assertions qui n’en sont pas moins amusantes, Citons ce passage destiné à établir qu’il n’y a aucune relation entre la Kabbale et la Maçonnerie : « Il y a du reste une remarque à noter sur le fait de restreindre la Maçonnerie aux frontières européennes. La Maçonnerie est universelle, mondiale. Est-elle également kabbalistique chez les Chinois et les Nègres ? » (T. II, p. 319), Bien entendu, les sociétés secrètes chinoises et africaines (ces dernières concernent plus spécialement celles du Congo) n’ont eu aucun rapport avec la Kabbale, mais n’en ont pas eu davantage avec la Maçonnerie ; et, si celle-ci n’est pas « restreinte aux frontières européennes », c’est uniquement parce que les Européens l’ont introduite dans d’autres parties du monde. Et voici qui n’est pas moins curieux : « Comment explique-t-on cette anomalie (si on admet que la Maçonnerie est d’inspiration kabbalistique) : le Franc-Maçon Voltaire n’ayant que du mépris pour la race juive ? » (p. 324). M. Vulliaud ignore-t-il donc que Voltaire ne fut reçu à la Loge « Les Neuf Sœurs » qu’à titre purement honorifique, et six mois seulement avant sa mort ? D’autre part, même s’il avait choisi un meilleur exemple, cela ne prouverait encore rien, parce qu’il y a bien des Maçons, nous devrions même dire le plus grand nombre, même dans les plus hauts grades, auxquels toute connaissance réelle de la Maçonnerie est totalement étrangère (et nous pouvons inclure parmi ceux-ci un certain dignitaire du Grand-Orient de France que M. Vulliaud, s’en laissant sans doute imposer par ses titres, cite bien à tort comme une autorité). Notre auteur aurait été mieux inspiré en invoquant, à l’appui de sa thèse, le fait qu’il existe, en Allemagne et en Suède, des organisations maçonniques dont les Juifs sont rigoureusement exclus ; il faut croire qu’il n’en savait rien, car il n’y fait pas la moindre allusion. Enfin, il est encore intéressant d’extraire de la note qui termine le même chapitre (p. 328) les lignes suivantes : « Diverses personnes pourraient nous reprocher d’avoir raisonné comme s’il n’y avait qu’une seule forme de Maçonnerie. Nous n’ignorons pas les anathèmes de la maçonnerie spiritualiste contre le Grand-Orient de France. Mais tout bien pesé, nous considérons le conflit entre les deux écoles maçonniques comme une querelle de famille ». Nous ferons observer qu’il n’existe pas seulement « deux écoles maçonniques », mais qu’il en existe un très grand nombre ; que le Grand-Orient de France, comme d’ailleurs celui d’Italie, n’est pas reconnu par les autres organisations parce qu’il rejette certains landmarks ou principes fondamentaux de la Maçonnerie, ce qui constitue, après tout, une « querelle » assez sérieuse (tandis que, entre les autres « écoles », les divergences sont loin d’être aussi importantes) ; que l’expression « maçonnerie spiritualiste » ne correspond absolument à rien, attendu qu’elle n’est qu’une invention de certains occultistes, de ceux dont M. Vulliaud est généralement moins prompt à accepter les fantaisies. Et, un peu plus loin, nous voyons mentionnés, comme exemples de « maçonnerie spiritualiste », le Ku-Klux-Klan et les Orangistes (nous supposons qu’il s’agit du Loyal Order of Orange), c’est-à-dire deux organisations exclusivement protestantes, qui peuvent sans doute compter des Maçons parmi leurs membres, mais qui, en elles-mêmes, n’ont pas plus de rapport avec la Maçonnerie que les sociétés secrètes du Congo dont nous nous sommes occupé précédemment.

Certes, M. Vulliaud a bien le droit d’ignorer toutes ces choses, et bien d’autres encore que nous avons indiquées, et nous ne pensons pas devoir lui en faire grief ; mais, encore une fois, qu’est-ce qui l’obligeait à en parler, étant donné que ces questions se situaient quelque peu en dehors de son sujet, et que, d’autre part, il n’a pas eu la prétention d’être absolument complet sur ce sujet lui-même ? De toute façon, s’il y tenait, il aurait peut-être eu moins de peine à recueillir, au moins sur certaines de ces questions, des informations un peu précises qu’à découvrir une foule d’ouvrages rares et inconnus qu’il se plaît à citer avec quelque ostentation.

Bien entendu, toutes ces réserves ne doivent pas nous empêcher de reconnaître les mérites très réels de l’ouvrage, ni de rendre hommage à l’effort considérable dont il témoigne ; bien au contraire, si nous avons tellement insisté sur ses défauts, c’est parce que nous estimons que c’est rendre service à un auteur de lui adresser des critiques concernant des points très précis. Maintenant, nous devons dire que M. Vulliaud a fort bien établi, contre les écrivains modernes qui les contestent (et parmi ceux-ci, chose étrange, il y a beaucoup d’Israélites), l’antiquité de la Kabbale, son caractère spécifiquement judaïque et strictement orthodoxe ; il est effectivement de mode, chez les critiques « rationalistes », d’opposer la tradition ésotérique au rabbinisme exotérique, comme s’il ne s’agissait pas des deux aspects complémentaires d’une seule et même doctrine. En même temps, il a détruit un certain nombre de légendes trop répandues (par ces mêmes « rationalistes ») et dénuées de tout fondement, comme celle qui veut rattacher la Kabbale aux doctrines néo-platoniciennes, celle qui attribue le Zohar à Moïse de Léon, en en faisant ainsi une œuvre datant seulement du XIIIe siècle, celle qui prétend faire de Spinoza un kabbaliste, et d’autres encore plus ou moins importantes. De plus, il a parfaitement établi que la Kabbale n’est nullement « panthéiste », comme certains le lui ont reproché (sans doute parce qu’ils ont cru pouvoir la rattacher aux théories de Spinoza qui sont, elles, véritablement « panthéistes ») ; et c’est fort justement qu’il note qu’« il est fait un étrange abus de ce terme », qu’on applique à tort et à travers aux conceptions les plus différentes, dans la seule intention de « chercher à produire un effet d’épouvante » (T. I, p. 429), et aussi, ajouterons-nous, parce qu’on se croit ainsi dispensé de toute discussion ultérieure. Cette absurde accusation est très fréquemment adressée contre toutes les doctrines orientales, et tout aussi gratuitement ; mais elle produit toujours son effet sur certains esprits craintifs, bien que ce mot de « panthéisme », à force d’être utilisé abusivement, finisse vraiment par ne plus rien signifier ; quand donc comprendra-t-on que les dénominations qu’ont inventées les systèmes de la philosophie moderne ne sont exclusivement applicables qu’à ceux-ci ?

M. Vulliaud montre encore qu’une prétendue « philosophie mystique » des Juifs, distincte de la Kabbale, est une chose qui na jamais existé en réalité ; mais peut-être a-t-il tort d’accepter le mot de « mysticisme » pour qualifier la Kabbale elle-même. Sans doute, cela dépend du sens que l’on donne à ce mot, et celui qu’il indique (qui en ferait à peu près un synonyme de « Gnose » ou connaissance transcendante) serait très soutenable si l’on n’avait à se préoccuper que de l’étymologie, car il est exact que « mysticisme » et « mystère » ont une même racine (T. I, pp, 124 et 131-132) ; mais enfin il faut bien tenir compte aussi de l’usage établi, qui en a modifié et restreint considérablement la signification. D’autre part, ni dans l’un ou l’autre de ces deux cas, il ne nous est possible d’accepter l’affirmation que « le mysticisme est un système philosophique » (p. 126) ; et si la Kabbale elle-même prend trop souvent chez M. Vulliaud une apparence « philosophique », c’est là une conséquence du point de vue « extérieur » auquel il a voulu se tenir. Pour nous, la Kabbale est beaucoup plus métaphysique que philosophique, et bien plus initiatique que mystique ; sans doute aurons-nous un jour l’occasion d’exposer les différences essentielles qui existent entre la voie des initiés et celle des mystiques (celles-ci, notons-le en passant, correspondent respectivement à la « voie sèche » et à la « voie humide » des alchimistes).

Les diverses solutions que nous venons d’indiquer, et qui devraient être désormais considérées comme définitivement acquises, si l’incompréhension de certains prétendus savants ne venait toujours remettre tout en question, se rapportent au point de vue historique, auquel M. Vulliaud a accordé (nous serions tenté de dire malheureusement, sans pour cela en méconnaître l’importance relative) beaucoup plus de place qu’au point de vue proprement doctrinal. Pour ce dernier, nous signalerons comme plus particulièrement intéressants, dans le premier volume, les chapitres qui concernent En-Soph et les Sephiroth (ch. IX), la Shekinah et Metatron (ch. XIII), encore qu’il eût été souhaitable d’y trouver un peu plus de développements et de précisions, de même que dans celui où sont exposés les procédés kabbalistiques (ch. V), car nous nous demandons si quelqu’un qui n’aurait aucune notion préalable de la Kabbale serait suffisamment éclairé par leur lecture. En ce qui concerne ce qu’on pourrait appeler les applications de la Kabbale, qui, bien que secondaires par rapport à la doctrine pure, ne sauraient être tout à fait négligées, nous mentionnerons, dans le second volume, les chapitres consacrés au rituel (ch. XIV), aux amulettes (ch. XV), et aux conceptions messianiques (ch. XVI) ; ils contiennent des choses vraiment nouvelles ou tout au moins fort peu connues, et, en particulier, on trouvera dans le dernier de nombreux renseignements sur le côté social et même politique qui contribue pour une bonne part à donner à la tradition kabbalistique son caractère nettement et proprement judaïque.

Tel qu’il se présente dans son ensemble, l’ouvrage de M. Vulliaud nous paraît surtout propre à rectifier un grand nombre d’idées erronées, ce qui est certainement quelque chose, et même beaucoup, mais n’est peut-être pas suffisant pour un travail aussi considérable, et qui veut être plus qu’une simple introduction. Si l’auteur en donne quelque jour une nouvelle édition, il est à désirer qu’il sépare aussi complètement que possible la partie historique et critique de la partie doctrinale, qu’il allège quelque peu la première, et qu’il donne au contraire à la seconde plus d’étendue, quand bien même il devrait risquer ainsi de ne plus passer pour le « simple amateur » dont il s’est assigné le rôle un peu trop limité. (6)  

Pour terminer cet examen du livre de M. Vulliaud, nous formulerons quelques observations au sujet d’une question qui mérite d’attirer particulièrement l’attention, et qui a d’ailleurs quelque rapport avec les considérations que nous avons déjà eu l’occasion d’exposer, spécialement dans notre étude sur « Le Roi du Monde » (7) ; nous voulons parler de celle qui concerne la Shekinah et Metatron.

Dans le sens le plus général, la Shekinah est la « présence réelle » de la Divinité ; il faut tout d’abord noter que les passages de l’Écriture où il en est fait mention tout spécialement sont surtout ceux où il s’agit de l’institution d’un centre spirituel : la construction du Tabernacle, l’édification du Temple de Salomon et de celui de Zorobabel. Un tel centre, constitué dans des conditions régulièrement définies, devait être en effet le lieu de la manifestation divine, toujours représentée comme « Lumière » ; et, bien que M. Vulliaud nie tout rapport entre la Kabbale et la Maçonnerie (tout en reconnaissant cependant que le symbole du « Grand Architecte » est une métaphore habituelle aux rabbins), l’expression de « lieu très éclairé et très régulier », que cette dernière a conservée, semble bien être un souvenir de l’antique science sacerdotale qui présidait à la construction des temples, et qui, du reste, n’était pas particulière aux Juifs. Nous n’avons pas à entrer ici dans la théorie des « influences spirituelles » (nous préférons cette expression au mot « bénédictions » pour traduire l’hébreu berakoth, d’autant plus que c’est là le sens qu’a gardé très nettement en arabe le mot barakah) ; mais, même en se bornant à envisager les choses à ce seul point de vue, il serait possible d’expliquer la parole d’Elias Levita, que rapporte M. Vulliaud : « Les Maîtres de la Kabbale ont à ce sujet de grands secrets ».

Maintenant, la question est d’autant plus complexe que la Shekinah se présente sous des aspects multiples ; elle a d’ailleurs deux aspects principaux, l’un interne et l’autre externe (T. I, p. 495) ; mais, ici, M. Vulliaud aurait pu s’expliquer un peu plus nettement qu’il ne la fait, d’autant plus que, malgré son intention de ne traiter que de la « Kabbale juive », il a signalé justement « les rapports des théologies juive et chrétienne au sujet de la Shekinah » (p. 493). Or il y a, dans la tradition chrétienne, une phrase qui désigne aussi clairement que possible les deux aspects dont il est question : « Gloria in excelsis Deo, et in terra Pax hominibus bonæ voluntatis ». Les mots Gloria et Pax se réfèrent respectivement à l’aspect interne, par rapport au Principe, et à l’aspect externe, par rapport au monde manifesté ; et, si l’on considère ainsi ces deux paroles, on peut comprendre immédiatement pourquoi elles sont prononcées par les Anges (Malakim) pour annoncer la naissance du « Dieu avec nous » ou « en nous » (Emmanuel). On pourrait aussi, pour le premier aspect, rappeler la théorie des théologiens sur la « lumière de gloire » dans et par laquelle s’opère la vision béatifique (in excelsis) ; et, quant au second, nous dirons encore que la « Paix », en son sens ésotérique, est indiquée partout comme l’attribut fondamental des centres spirituels (8) établis en ce monde (in terra). D’ailleurs, le terme arabe Sakînah, qui est évidemment identique à l’hébreu [Shekinah], se traduit par « Grande Paix », ce qui est l’exact équivalent de la Pax Profunda des Rose-Croix ; et, par là, on pourrait sans doute expliquer ce que ceux-ci entendaient signifier par le « Temple du Saint-Esprit », comme on pourrait aussi interpréter d’une façon précise un certain nombre de textes évangéliques, d’autant plus que la « tradition secrète concernant la Shekinah aurait quelque rapport à la lumière du Messie » (p. 503). Est-ce donc sans intention que M. Vulliaud, lorsqu’il donne cette dernière indication, dit qu’il s’agit de la tradition « réservée à ceux qui poursuivaient le chemin qui aboutit au Pardes », c’est-à-dire, comme nous l’avons expliqué ailleurs, au centre spirituel suprême ? (9)

Ceci amène encore à une autre remarque : un peu plus loin, il est question d’un « mystère relatif au Jubilé » (p. 506), ce qui se rattache en un certain sens à l’idée de « Paix », et, à ce propos, il cite ce texte du Zohar (III, 58 a) : « Le fleuve qui sort de l’Éden porte le nom de Jobel », ainsi que celui de Jérémie (XVII, 8) : « Il étendra ses racines vers le fleuve », d’où il résulte que « l’idée centrale du Jubilé est la remise de toutes choses en leur état primitif ». Il est clair qu’il s’agit de ce retour à l’ « état primordial » qu’envisagent toutes les traditions, et dont nous avons eu à nous occuper dans notre étude sur Dante (10) ; et, quand on ajoute que « le retour des choses à leur premier état marquera l’ère messianique » (p. 507), ceux qui auront lu cette étude pourront se souvenir de ce que nous y disions sur les rapports du « Paradis terrestre » et de la « Jérusalem céleste ». D’ailleurs, ce dont il s’agit en tout cela, c’est toujours, à des phases diverses de la manifestation cyclique, le Pardes, le centre de ce monde, que le symbolisme traditionnel de tous les peuples compare au cœur, centre de l’être et « résidence divine » (Brahma-pura dans la doctrine hindoue), comme le Tabernacle qui en est l’image et qui, pour cette raison, est appelé en hébreu mishkan ou « habitacle de Dieu » (p. 493), mot dont la racine est la même que celle de Shekinah.

À un autre point de vue, la Shekinah est la synthèse des Sephiroth ; or, dans l’arbre séphirothique, la « colonne de droite » est le côté de la Miséricorde, et la « colonne de gauche » est le côté de la Rigueur; nous devons donc aussi retrouver ces deux aspects dans la Shekinah. En effet, « si l’homme pèche et s’éloigne de la Shekinah, il tombe sous le pouvoir des puissances (Sârim) qui dépendent de la Rigueur » (p. 507), et alors la Shekinah est appelée « main de rigueur », ce qui rappelle immédiatement le symbole bien connu de la « main de justice » Mais, au contraire, « si l’homme se rapproche de la Shekinah, il se libère », et la Shekinah est la « main droite » de Dieu, c’est-à-dire que la « main de justice » devient alors la « main bénissante ». Ce sont là les mystères de la « Maison de Justice » (Beith-Din), ce qui est encore une autre désignation du centre spirituel suprême ; et il est à peine besoin de faire remarquer que les deux côtés que nous avons envisagés sont ceux où se répartissent les élus et les damnés dans les représentations chrétiennes du « Jugement dernier ». On pourrait également établir un rapprochement avec les deux voies que les Pythagoriciens figuraient par la lettre Y, et qui étaient représentées sous une forme exotérique par le mythe d’Hercule entre la Vertu et le Vice ; avec les deux portes céleste et infernale qui, chez les Latins, étaient associées au symbolisme de Janus ; avec les deux phases cycliques ascendante et descendante qui, chez les Hindous, se rattachent pareillement au symbolisme de Ganêsha. Enfin, il est facile de comprendre par là ce que veulent dire véritablement des expressions comme celles d’« intention droite » et de « bonne volonté » (« Pax hominibus bonæ voluntatis », et ceux qui connaissent les divers symboles auxquels nous venons de faire allusion verront que ce n’est pas sans raison que la fête de Noël coïncide avec le solstice d’hiver), quand on a soin de laisser de côté toutes les interprétations extérieures, philosophiques et morales, auxquelles elles ont donné lieu depuis les Stoïciens jusqu’à Kant.

« La Kabbale donne à la Shekinah un parèdre qui porte des noms identiques aux siens, qui possède par conséquent les mêmes caractères » (pp. 497-498), et qui a naturellement autant d’aspects différents que la Shekinah elle-même ; son nom est Metatron, et ce nom est numériquement équivalent à celui de Shaddaï, le « Tout-Puissant » (qu’on dit être le nom du Dieu d’Abraham). L’étymologie du mot Metatron est fort incertaine ; M. Vulliaud émet à ce sujet plusieurs hypothèses, dont celle qui le fait dériver du chaldaïque Mitra qui signifie « pluie », et qui a aussi, par sa racine, un certain rapport avec la « lumière ». S’il en est ainsi, d’ailleurs, la similitude avec le Mitra hindou et zoroastrien ne constitue pas une raison suffisante pour admettre un emprunt du Judaïsme à des doctrines étrangères, et il en est autant en ce qui concerne le rôle attribué à la pluie dans les diverses traditions orientales ; et, à ce propos, signalons que la tradition hébraïque parle d’une « rosée de lumière » émanant de l’ « Arbre de Vie » et par laquelle doit s’opérer la résurrection des morts (p, 99), ainsi que d’une « effusion de rosée » qui représente l’influence céleste se communiquant à tous les mondes (p. 465), ce qui rappelle singulièrement le symbolisme alchimique et rosicrucien.

« Le terme de Metatron comporte toutes les acceptions de gardien, de Seigneur, d’envoyé, de médiateur » (p. 499) ; il est « l’Ange de la Face », et aussi « le Prince du Monde » (Sâr ha-ôlam) ; il est « l’auteur des théophanies, des manifestations divines dans le monde sensible » (p. 492). Nous dirions volontiers qu’il est le « Pôle céleste », et, comme celui-ci a son reflet dans le « Pôle terrestre » (avec lequel il est en relation directe suivant l’ « Axe du Monde »), n’est-ce pas pour cette raison qu’il est dit que Metatron lui-même fut l’instructeur de Moïse ? Citons encore ces lignes : « Son nom est Mikaël, le Grand Prêtre qui est holocauste et oblation devant Dieu. Et tout ce que font les Israélites sur terre est accompli d’après les types de ce qui se passe dans le monde céleste. Le Grand Pontife ici-bas symbolise Mikaël, prince de la Clémence… Dans tous les passages où l’Écriture parle de l’apparition de Mikaël, il s’agit de la gloire de la Shekinah » (pp. 500-501). Ce qui est dit ici des Israélites peut être dit de tous les peuples qui possèdent une tradition véritablement orthodoxe ; à plus forte raison doit-on le dire des représentants de la tradition primordiale dont toutes les autres dérivent et à laquelle elles sont toutes subordonnées. D’autre part, Metatron n’a pas que l’aspect de la Clémence, il a aussi celui de la Justice ; dans le monde céleste, il n’est pas seulement le « Grand Prêtre » (Kohen ha-gadol), mais aussi le « Grand Prince » (Sâr ha-gadol), c’est-à-dire qu’en lui est le principe du pouvoir royal, aussi bien que du pouvoir sacerdotal ou pontifical auquel correspond proprement la fonction de « médiateur ». Il faut d’ailleurs remarquer que Melek, « roi », et Maleak, « ange » ou « envoyé », ne sont en réalité que deux formes d’un seul et même mot ; de plus, Malaki, « mon envoyé » (c’est-à-dire l’envoyé de Dieu, ou « l’ange dans lequel est Dieu », Maleak ha-Elohim), est l’anagramme de Mikaël.

Il convient d’ajouter que, si Mikaël s’identifie à Metatron comme on vient de le voir, il n’en représente cependant qu’un aspect ; à côté de la face lumineuse, il y a aussi une face obscure, et nous en venons à aborder d’autres mystères. Il peut sembler effectivement étrange que Samaël soit également appelé Sâr ha-ôlam, et nous nous étonnons quelque peu que M, Vulliaud se soit borné à consigner ce fait sans le moindre commentaire (p. 512). C’est ce dernier aspect, et celui-là seulement, qui est « le génie de ce monde » en un sens inférieur, le Princeps hujus mundi dont il est question dans l’Évangile ; et ses rapports avec Metatron, dont il est comme l’ombre, justifient l’emploi d’une même désignation dans un double sens, en même temps qu’ils font comprendre pourquoi le nombre apocalyptique 666 est aussi un nombre solaire (il est formé notamment par le nom de Sorath, démon du Soleil, et opposé comme tel à l’ange Mikaël). Du reste, M. Vulliaud remarque lui-même ailleurs que, suivant saint Hippolyte, « le Messie et l’Antéchrist ont tous deux pour emblème le « lion » » (T. II, p. 373), qui est également un symbole solaire ; et la même remarque pourrait être faite pour le serpent et pour beaucoup d’autres symboles. Au point de vue kabbalistique, c’est encore des deux faces opposées de Metatron qu’il s’agit ici ; d’une manière plus générale, il y aurait lieu de développer, sur cette question du double sens des symboles, toute une théorie qui ne semble pas avoir encore été exposée nettement. Nous n’insisterons pas davantage, du moins pour le moment, sur ce côté de la question, qui est peut-être un de ceux où l’on rencontre, pour l’exprimer, les plus grandes difficultés.

Revenons encore à la Shekinah (11) : elle est représentée dans le « monde inférieur » par la dernière des dix Sephiroth, qui est appelée Malkuth, c’est-à-dire le « Royaume », désignation qui est assez digne de remarque au point de vue où nous nous plaçons ici (de même que celle de Tsedeq, le « Juste », qui en est parfois un synonyme) ; et Malkuth est « le réservoir où les eaux qui viennent du fleuve d’en haut se réunissent, c’est-à-dire toutes les émanations (grâces ou influences spirituelles) qu’elle répand en abondance » (T. I, p. 509).

Ce « fleuve d’en haut » et les eaux qui en descendent rappellent étrangement le rôle attribué au fleuve céleste Gangâ dans la tradition hindoue : et l’on pourrait aussi remarquer que la Shakti, dont Gangâ est un aspect, n’est pas sans présenter certaines analogies avec la Shekinah, ne serait-ce qu’en raison de la fonction « providentielle » qui leur est commune. Nous savons bien que l’exclusivisme ordinaire propre aux conceptions judaïques ne s’accommode guère de tels rapprochements, mais ils n’en sont pas moins réels et, pour nous qui n’avons pas à nous laisser influencer par certains préjugés, leur constatation présente un très grand intérêt, parce que c’est là une confirmation de l’unité doctrinale essentielle qui se cache sous l’apparente diversité des formes extérieures.

Le réservoir des eaux célestes est naturellement identique au centre spirituel de notre monde : de là partent les quatre fleuves du Pardes, se dirigeant vers les quatre points cardinaux. Pour les Juifs, ce centre spirituel est la colline sainte de Sion, à laquelle ils appliquent l’appellation de « Cœur du Monde », et qui, pour eux, devient ainsi en quelque sorte l’équivalent du Mêru des Hindous ou de l’Alborj des Perses. « Le Tabernacle de la Sainteté de Jehovah, la résidence de la Shekinah, est le Saint des Saints qui est le cœur du Temple, qui est lui-même le centre de Sion (Jérusalem), comme la sainte Sion est le centre de la Terre d’Israël, comme la Terre d’Israël est le centre du monde » (p. 509). C’est aussi de cette façon que Dante présente Jérusalem comme le « Pôle spirituel », ainsi que nous avons eu l’occasion de l’expliquer (12) ; mais ceci, dès qu’on sort du point de vue proprement judaïque, devient surtout symbolique et ne constitue plus une localisation au sens strict de ce mot. Tous les centres spirituels secondaires, constitués en vue d’autant d’adaptations de la tradition primordiale à des conditions déterminées, sont des images du centre suprême ; Sion peut n’être en réalité qu’un de ces centres secondaires, et cependant s’identifier symboliquement au centre suprême en vertu de cette similitude ; et ce que nous avons déjà dit ailleurs de la « Terre Sainte »*, qui n’est pas seulement la Terre d’Israël, permettra de le comprendre plus facilement. Une autre expression très remarquable, comme synonyme de "Terre Sainte", est celle de "Terre des Vivants" ; il est dit que « la Terre des Vivants comprend sept terres », et M. Vulliaud note à ce sujet que « cette terre est Chanaan dans lequel il y avait sept peuples » (T. II, p. 116). Sans doute, cela est exact au sens littéral ; mais, symboliquement, ces sept terres ne pourraient-elles pas correspondre aux sept dwîpas qui, selon la tradition hindoue, ont le Mêru pour centre commun ? Et, de même, quand les anciens mondes ou les créations antérieures à la nôtre sont figurés par les « sept rois d’Edom » (le nombre septénaire se trouvant ici en rapport avec les sept "jours" de la Genèse), n’y a-t-il pas là une ressemblance, trop fortement marquée pour n’être qu’accidentelle, avec les ères des sept Manus comptées depuis le début du Kalpa jusqu’à l’époque actuelle ?

Nous ne livrons ces quelques réflexions qu’à titre d’exemple de ce qu’il est possible de tirer comme conséquences des données contenues dans l’ouvrage de M. Vulliaud ; malheureusement, il est fort à craindre que la majeure partie de ses lecteurs ne puisse s’en rendre compte et en tirer des conséquences par leurs propres moyens. Mais, en faisant suivre ainsi la partie critique de notre exposé par une partie doctrinale, nous avons fait un peu, dans les limites dans lesquelles nous avons dû forcément nous borner, ce que nous aurions souhaité trouver chez M. Vulliaud lui-même.

(1) [Note du traducteur : Dans le compte rendu inédit, il est ajouté : « à la fois occultiste et vulgarisateur, et porté par là à déformer doublement les doctrines qu’il prétend exposer ».]
(2) La Kabbale juive : histoire et doctrine. Deux vol. in-8° de 520 et 460 pp. É. Nourry, Paris, 1923.
(3) [Note du traducteur : Dans le compte rendu inédit, Guénon continue : « Il y a, en particulier, un jugement bien sommaire sur les travaux du Hiéron de Paray-le-Monial, qui contiennent assurément des opinions discutables ou insuffisamment fondées, mais aussi beaucoup d’idées très dignes d’attention et qu’on ne peut se contenter de rejeter en bloc avec quelques plaisanteries trop faciles ». Sur le Hiéron, cf. La Kabbale juive, T. II, pp. 303 et suivantes.]
(4) [Note du traducteur : Par erreur, la version italienne écrit l’inverse : « più severamente » ; il s’agit probablement d’une correction oubliée. Dans le compte rendu inédit, on lit : « n’aurait-il pas été possible de dire les mêmes choses plus brièvement et sur un ton moins agressif ? » ; on constate que Guénon a rectifié la fin de cette phrase en remplaçant, après l’avoir rayé : « plus agressif » en : « moins agressif ».]
(5) [Note du traducteur : Dans le compte rendu inédit, Guénon poursuit : « Il est tout aussi difficile de saisir le rapport qui peut exister entre « l’éclipse du soleil qui arriva à la mort du Christ » et « la conjonction de Jupiter et de Saturne… sur laquelle Képler a écrit un ouvrage » (p. 194) ».]
(6) [Note du traducteur : La rédaction du compte rendu inédit s’achève ici.]
(7) [Note du traducteur : La plupart des considérations qui vont suivre sont désormais incluses dans le ch. III du Roi du Monde.]
(8) [Note du traducteur : Il faut retenir cette version, conforme au passage correspondant du Roi du Monde, et non celle du texte italien où on lit par erreur : « come lo attributo spirituale dei centri spirituali », « comme l’attribut spirituel des centres spirituels ».]
(9) [Note du traducteur : Dans « Il Re del Mondo » : « l’Agarttha, antérieurement au début du Kali-Yuga, portait un autre nom, et ce nom était celui de Paradêsha, qui, en sanscrit, signifie « contrée suprême », ce qui s’applique bien au centre spirituel par excellence, désigné aussi comme le « Cœur du Monde » ; c’est de ce mot que les Chaldéens ont fait Pardes et les Occidentaux Paradis » (Atanòr, décembre 1924, p. 367 ; passage repris à l’identique dans le livre Le Roi du Monde, ch. IX).]
(10) [Note du traducteur : « L’Esoterismo di Dante », publié dans Atanòr, en quatre livraisons (avril, mai, juillet, août-septembre 1924) ; il est question du « retour à l’ « état primordial » », et des « rapports du « Paradis terrestre » et de la « Jérusalem céleste » » (mentionnés dans la partie finale de cette phrase de « La Kabbale juive »), dans le dernier numéro cité, correspondant au ch. VIII de L’Ésotérisme de Dante, ouvrage édité en France en 1925.]
(11) [Note du traducteur : La plupart des considérations qui suivent sont désormais incluses dans la partie finale du ch. VI du Roi du Monde.]
(12) [Note du traducteur : Dans « l’Esoterismo di Dante » : « Jérusalem, qui représentait pour lui [Dante] ce que nous pouvons appeler le « pôle spirituel » » (Atanòr, août-septembre 1924, p. 260 ; phrase reprise à l’identique dans le livre L’Esotérisme de Dante, ch. VIII).]
(13) [Note du traducteur : Dans « Il Re del Mondo » : « il existe une « Terre Sainte » par excellence, prototype de toutes les autres « Terres Saintes », centre spirituel auquel tous les autres centres sont subordonnés » (Ignis, p. 369) ; phrase reprise à l’identique dans le livre Le Roi du Monde, ch. XII).]

[René Guénon, La Kabbale juive. Compte rendu paru dans la revue Ignis, 1925, p. 116, nouvelle traduction de l’italien par P. Brecq, parue dans la revue Vers la Tradition, juin-juillet-août 2011. « Traduction prenant appui sur un compte rendu inédit de la Kabbale juive, destiné à la Revue de Philosophie » (Note du traducteur)]

- ANNEXES -

Lettre de René Guénon à Jean Tourniac du 8 Février 1949 : « Vous parlez de Vulliaud, mais connaissez vous sa « Kabbale juive » ? C’est sans doute le livre le plus sérieux sur ce sujet, bien qu’il soit un peu trop ombré par des discussions qui noient l’essentiel ; il a eu l’intention d’en écrire une autre édition en élaguant tous ces « à-côté », et il est regrettable que, jusqu’ici du moins, il ne l’ait pas réalisée. Je n’ai pas vu l’ouvrage […] d’H. Sérouya, mais ce qu’on m’en a dit, et aussi un article du même auteur dont j’ai eu connaissance, m’en donne une opinion tout à fait défavorable sur ce qui est de l’initiation kabbalistique elle-même, on peut dire qu’elle est pratiquement inaccessible... »

Lettre de René Guénon à Guido de Giorgio, Paris, 20 novembre 1925 : « Puisque nous en sommes à Evola, il faut encore que je vous dise qu’il a été froissé des critiques que Reghini lui a adressées, sous une forme très modérée cependant. Il doit être assez vaniteux et voudrait n’avoir que des éloges ; il est vrai qu’il est très jeune. Vulliaud, qui n’a pas la même excuse, est presque aussi susceptible ; il paraît que lui aussi a été plutôt mécontent de mon article ; il s’imagine que lui seul connaît la Kabbale et est capable d’en parler. »

Compte-rendu de René Guénon paru dans la revue Études Traditionnelles en 1939 : « – Dans la Revue Juive de Genève (n° de décembre), M. Paul Vulliaud consacre un article au Mysticisme juif ; comme il le dit, on a souvent contesté qu’il existe quelque chose à quoi puisse s’appliquer une telle désignation, et, en fait, cela dépend de ce qu’on entend par « mysticisme » ; il nous semble que lui-même prend ce mot dans un sens plutôt large et insuffisamment défini ; peut-être pourrait-on admettre qu’il convient dans une certaine mesure au Hassidisme, mais, en tout cas, la Kabbale est sûrement d’un tout autre ordre, ésotérique et initiatique. L’emploi du mot « piétiste » est aussi un exemple du danger qu’il y a à transporter certains termes d’une doctrine à une autre pour laquelle ils n’ont pas été faits : « le piétisme » est proprement une des nombreuses variétés du protestantisme, et il est presque synonyme de « moralisme » ; c’est là quelque chose qui est totalement étranger, pour ne pas dire opposé, non seulement à tout ésotérisme, mais même au simple mysticisme. À la fin de son article, M. Vulliaud proteste très justement contre l’opinion « rationaliste » (et « moderniste », ajouterons-nous) suivant laquelle la Kabbale constituerait une « hétérodoxie » dans le Judaïsme, et contre l’incompréhension des « critiques » imbus de l’esprit et des méthodes universitaires et qui vont jusqu’à qualifier le Zohar d’« ouvrage incohérent » ! »

Compte-rendu de René Guénon paru dans la revue Études Traditionnelles en 1938. : « – Dans le même numéro, nous devons signaler aussi un article de M. Paul Vulliaud sur Léon Bloy prophète et martyr, qui contient de curieux détails sur les origines de la « mission » dont cet étrange personnage se croyait investi ; le plus intéressant, dans cette histoire, est ce qui est en rapport direct avec l’affaire de la Salette, qui est un de ces événements aux « dessous » suspects, dont l’époque contemporaine n’offre que trop d’exemples, et qui, comme le note l’auteur, présente des relations vraiment singulières avec l’affaire de la « survivance » de Louis XVII, relations qui sont d’autant plus à remarquer qu’il en est constamment de même dans toutes les choses de ce genre qui se produisirent au cours du XIXe siècle ; la recherche des raisons de ce fait pourrait sans doute mener assez loin dans le domaine de ce qu’on peut appeler l’histoire « souterraine » de notre temps… Par ailleurs, le fameux « Secret de la Salette », qui a manifestement inspiré les invectives furieuses de Léon Bloy contre les catholiques et en particulier contre le clergé, contient quelques « marques » assez nettes de la véritable nature des « influences » qui ont agi en tout cela ; aussi, quand on constate que, sous des formes diverses, ces choses ont encore une « suite » actuellement, est-il permis de trouver que cela n’est pas précisément très rassurant ; et l’on comprendra par là pourquoi, notamment, la vogue présente de certaines prétendues « prophéties » doit inspirer quelques inquiétudes à quiconque n’est pas entièrement ignorant de ces sortes de « ramifications ». »

Lettre de René Guénon à Louis Caudron, Le Caire, 15 avril 1949 : « – À ce propos, j’ai reçu du sieur Frank-Duquesne, à la suite de mon compte rendu des « Études Carmélitaines », une lettre de 8 grandes pages qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’un tissu d’injures d’une grossièreté inimaginable ! On sent là-dedans une haine véritablement « satanique » (c’est bien le cas de le dire) ; cet individu qui vante continuellement la « charité chrétienne » me rappelle carrément en cela le prêcheur de « fraternité universelle » qu’on rencontre dans les milieux occultes et théosophistes. Vulliaud, avec qui il est en relations, paraît aussi jouer dans tout cela un rôle assez singulier, ce qui du reste ne me surprend pas trop… »

Lettre de René Guénon à Louis Caudron, Le Caire, 5 novembre 1949 : « Les nouvelles concernant le sieur F[rank]-[Duquesne] continuent à être tout à fait satisfaisantes pour nous : la rupture entre lui et les « Cahiers du Symbolisme Chrétien » est maintenant chose faite ; on ne savait trop comment se débarrasser de lui, car tout le monde a peur de sa langue de vipère, mais, se sachant désapprouvé de ce côté, il a pris les devants et a adressé au directeur une longue lettre se terminant par un torrent d’injures ; comme il demandait qu’on lui retourne ses manuscrits, on s’est empressé de le faire, heureux encore d’en être quitte sans plus de dommage. M. Lallemand a tenu cette fois à m’en informer lui-même (il avait remis sa lettre à Allar qui me l’a envoyée la dernière fois qu’il m’a écrit) ; il avait d’ailleurs déjà déclaré, avant cela, qu’il ne voulait pas que son nom figure à côté de celui de ce singulier personnage dans les sommaires de la revue. D’autre part, il paraît qu’on commence à se préoccuper sérieusement du cas dudit F[rank]-D[uquesne] à l’archevêché de Malines, où du reste on ne l’a jamais eu qu’en fort médiocre estime ; depuis qu’il s’est fait catholique, il a déjà été renvoyé de plusieurs Ordres religieux dans lesquels il a essayé d’entrer ; naturellement, c’est sa grossièreté qui finit toujours par le faire chasser de partout. J’ai aussi appris dernièrement que Paul Claudel, ayant eu connaissance de toute cette affaire, regrette fort d’avoir préfacé son livre ; il ne lui restera sans doute bientôt plus aucun autre ami que Vulliaud ! »

Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, Chapitre IX – Ésotérisme et exotérisme : « Tout d’abord, dans l’Islamisme, la tradition est d’essence double, religieuse et métaphysique, comme nous l’avons déjà dit ; on peut ici qualifier très exactement d’exotérique le côté religieux de la doctrine, qui est en effet le plus extérieur et celui qui est à la portée de tous, et d’ésotérisme son côté métaphysique, qui en constitue le sens profond, et qui est d’ailleurs regardé comme la doctrine de l’élite ; et cette distinction conserve bien son sens propre, puisque ce sont là les deux faces d’une seule et même doctrine. Il faut noter, à cette occasion, qu’il y a quelque chose d’analogue dans le Judaïsme, où l’ésotérisme est représenté par ce qu’on nomme Qabbalah, mot dont le sens primitif n’est autre que celui de « tradition », et qui s’applique à l’étude des significations plus profondes des textes sacrés, tandis que la doctrine exotérique ou vulgaire s’en tient à leur signification la plus extérieure et la plus littérale ; seulement cette Qabbalah est, d’une façon générale, moins purement métaphysique que l’ésotérisme musulman, et elle subit encore, dans une certaine mesure, l’influence du point de vue proprement religieux, en quoi elle est comparable à la partie métaphysique de la doctrine scolastique, insuffisamment dégagée des considérations théologiques. Dans l’Islamisme, au contraire, la distinction des deux points de vue est presque toujours très nette ; cette distinction permet de voir là mieux encore que partout ailleurs, par les rapports de l’exotérisme et de l’ésotérisme, comment, par la transposition métaphysique, les conceptions théologiques reçoivent un sens profond. »  

Parole perdue et mots substitués, revue Études Traditionnelles n° juil.-déc. 1948. Repris dans le recueil posthume Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome II : « D’autre part, lors de la destruction du Temple de Jérusalem et de la dispersion du peuple juif, la véritable prononciation du Nom tétragrammatique fut perdue ; il y eut bien un nom substitué, celui d’Adonaï, mais il ne fut jamais regardé comme l’équivalent réel de celui qu’on ne savait plus prononcer. En effet, la transmission régulière de la prononciation exacte du principal nom divin (Cette transmission est exactement comparable à celle d’un mantra dans la tradition hindoue), désigné comme ha-Shem ou le Nom par excellence, était essentiellement liée à la continuation du sacerdoce dont les fonctions ne pouvaient s’exercer que dans le seul Temple de Jérusalem ; dès lors que celui-ci n’existait plus, la tradition hébraïque devenait irrémédiablement incomplète, comme le prouve d’ailleurs suffisamment la cessation des sacrifices, c’est-à-dire de ce qui constituait la partie la plus « centrale » des rites de cette tradition, de même que le Tétragramme, lui aussi, y occupait une position véritablement « centrale » par rapport aux autres noms divins ; et, effectivement, c’est bien le centre spirituel de la tradition qui était perdu (Le terme de diaspora ou « dispersion » (en hébreu galûth) définit très bien l’état d’un peuple dont la tradition est privée de son centre normal). »

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