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esprit-universel.overblog.com

La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Ibn Arabî - Coran et Identité Suprême.

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Si la doctrine initiatique de la Connaissance est liée en Islam, comme dans toutes les traditions orthodoxes, à celle de l’Esprit, il est une particularité qui appartient en propre à la tradition islamique et la distingue de toute autre : il s’agit de la relation nécessaire qui existe entre le degré suprême de cette réalisation et l’identification de l’être à la source première de la Révélation, s’accompagnant d’une « descente » nouvelle du coran « sur le cœur ». Ce degré qui n’est autre que l’Identité Suprême, implique en effet la réception effective de la Science sacrée dans toute sa plénitude, et cette science totale est l’essence même du Coran.

C’est pourquoi la descente du Coran, qui s’effectue d’abord « sur le cœur de Muhammad », puis « par l’intermédiaire de l’esprit Fidèle », ne cessera plus, ensuite, de « descendre sur les cœurs de la communauté muhammadienne jusqu’au jour de la Résurrection » ; c’est pourquoi également « lorsque la Parole d’Allâh sera ôtée des poitrines et effacée des Livres… il n’y aura plus d’homme créé selon la Forme » (1), c’est-à-dire pour obtenir ce degré suprême.

La réalisation initiatique de la Science intégrale implique donc, en Islam, la compréhension intuitive et immédiate du Livre sacré et de son contenu ; celle-ci procède elle-même d’une inspiration divine en fonction de laquelle se déterminent, aussi bien en succession qu’en simultanéité, les manifestations de l’Esprit universel. Selon la parole du calife Ali : « En vérité, l’inspiration (wahy) a cessé après l’Envoyé d’Allâh – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce et sa paix ! Seul est resté à notre portée le fait qu’Allâh accorde à un serviteur une compréhension (fahman) de ce Coran » (2). Il s’agit d’une compréhension immédiate « sans lettre, sans son, sans (détermination d’une) direction particulière » (3) et d’une inspiration sans intermédiaire :

« J’ai reçu, dit Ibn Arabî, les clés de sa compréhension (fahm), et c’est de lui que vient l’assistance providentielle. Tout cela afin que je ne m’écarte pas de lui, qui est le don suprême. Seul en connaît la valeur celui qui en a eu le goût et a contemplé son degré directement par lui-même ; par lui, Dieu lui parle de son « secret » (sirr) (4). Si Dieu est Lui-même Celui qui parle à Son serviteur en son « secret », et s’il n’y a plus d’intermédiaire, la compréhension accompagne Sa parole. La Parole qui vient de Lui est alors l’essence même de la compréhension que tu en as : celle-ci est immédiate ; dans le cas contraire, il ne s’agit plus de la Parole d’Allâh » (5) ; et encore :

« Le fait d’entendre la Parole d’Allâh alors que les intermédiaires ont été ôtés est l’essence même de la compréhension que l’on en a ; plus n’est besoin d’interprétation ou de réflexion : celles-ci ne sont nécessaires que pour celui auquel Allâh parle au moyen d’intermédiaires, qu’il s’agisse d’un envoyé (rasûl) ou d’un Livre (kitâb). »(6)

Il convient de souligner l’importance de cette dernière précision. Celui qui reçoit la science du Coran sans intermédiaire ne la tire pas du Livre saint en tant que tel ; il la reçoit directement par l’inspirateur du Livre, c’est-à-dire d’Allâh. Sa compréhension du texte sacré est d’ordre principiel ; elle n’est en rien comparable aux interprétations qui découlent d’une étude extérieure et d’un savoir livresque. C’est pourquoi les commentaires ésotériques du Coran, lorsqu’ils sont l’œuvre de Maîtres véritables, ne reflètent pas de simples opinions ou de vues individuelles ; ils diffèrent de gloses ordinaires aussi bien par leur source, qui est transcendante, que par leur but ; ils visent avant tout à viser une ouverture spirituelle et à fournir une aide et un support en vue de la réalisation métaphysique de ceux auxquels ils sont destinés. La science qu’ils communiquent est celle d’Allâh et cette science est infaillible :

« Les Hommes d’Allâh (rijâl Allâhi) (7) ont la science d’Allâh par Allâh (‘alimû Allâha bi-i’lâmi Allâhi) ; Il est leur science comme Il est leur vue (8). Même si l’on s’imaginait que ce qui vient d’eux et de leurs pareils provient de la réflexion, c’est encore Dieu qui serait leur faculté réflexive, tout comme Il est leur science, leur vue et leur ouïe ; mais justement, il n’est pas imaginable que ceux qui ont ce degré de contemplation et ce goût initiatique usent jamais de spéculation sur quelque sujet que ce soit : ils sont toujours selon ce qui leur est inspiré selon les différentes modalités de l’inspiration (wahy). L’une d’elle est la compréhension qui vient d’Allâh de manière spontanée, sans intervention de la faculté réflexive. Celui dont la compréhension découle de la compréhension ne fait pas partie de ces Hommes, car sa compréhension peut être, soit exacte, soit erronée ; en revanche, la compréhension qui ne découle pas de la faculté réflexive est une inspiration véritable et infaillible de la part d’Allâh à Son serviteur. » (9)

D’autres données traditionnelles sont évoquées par le Cheikh al-Akbar à propos d’Abû Yazîd al-Bistâmî. En effet, la réalisation métaphysique de ce saint était inséparable de sa Science coranique :

« On rapporte qu’Abû Yazîd ne mourut pas sans avoir appris par cœur (istazhara) le Coran, c’est-à-dire sans en avoir acquis la connaissance par voie de révélation (inzâl). Le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – a attiré l’attention sur cette possibilité lorsqu’il a dit, au sujet de celui qui connaît le Coran par cœur de la manière que nous venons de dire : « La prophétie (10) a pénétré entre ses flancs » ; il n’a pas dit : « dans sa poitrine » : le terme istizhâr (employé dans le cas d’Abû Yazîd) signifie en effet (littéralement) qu’il en a pris connaissance « par le dos ». Le Coran descend (11) en permanence sur ceux qu’Allâh veut d’entre Ses serviteurs, mais uniquement de la manière que nous venons de dire ; ce qui correspond à Sa Parole : « Il projette l’Esprit procédant de Son ordre sur celui qu’Il veut d’entre Ses serviteurs » (Cor.40.15) (12).

La curieuse remarque selon laquelle Abû Yazîd avait connu le Coran « par le dos » repose sur des considérations linguistiques : le verbe istazhara, qui a le sens d’ « apprendre par cœur », est de la même racine que zahr, qui signifie « dos ». Ce dernier terme s’oppose à sadr (poitrine) et comporte ici, semble-t-il, une allusion d’ordre « technique » : alors que sadr se rapporte au fait d’apprendre le Coran par cœur au sens ordinaire et courant, zahr pourrait désigner plutôt une descente « axiale » du Commandement divin à l’intérieur de l’être, s’effectuant symboliquement le long de la colonne vertébrale. Dans le même sens, on citera une parole du Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – selon laquelle : « Dieu  le frappa de Sa Main entre ses deux épaules – ou dans son dos (zahr) – et il sentit le froid de l’extrémité de Ses Doigts au milieu – ou « dans »- sa poitrine : il connut alors la science des premiers et des derniers » (13).

Signalons en outre que l’émir Abd al-Qâdir, dont le cas initiatique présente des similitudes certaines avec celui d’Abû Yazîd, utilise le même verbe istazhara au début du premier Mawqif du Livre des Haltes : « J’ai reçu de cette manière (c’est-à-dire par voie d’inspiration directe) environ la moitié du Coran et j’espère de la générosité d’Allâh – qu’Il soit exalté ! – que je ne mourrais pas avant d’avoir « appris par cœur » (astazhiru) le Coran dans son entier ». Cette dernière indication s’explique par le fait que, dans la perspective qui fait l’objet du présent chapitre, l’acquisition de la Science totale suppose « la réalisation initiatique des haqâ’iq (14) propres à chaque verset coranique et à leur totalisation finale » (15)

On soulignera encore la mention faite plus haut, à propos de la « descente » initiatique du Coran, d’un verset relatif à la « projection de l’Esprit procédant de Son ordre ». Cette mention est significative, car elle montre que, pour l’héritier muhammadien, la « projection axiale de l’Esprit » et la réception du Coran par voie d’inspiration divine, avec la compréhension immédiate qui l’accompagne, ne sont véritablement qu’une seule et même chose. Dans certains passages des Futûhât, le Cheikh al-Akbar identifie purement et simplement les deux points de vue, celui de l’ « inspiration directe » dont le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – bénéficia en tant qu’organe de la Révélation, et celui de la réalisation métaphysique opérée par la réception de l’Esprit : « Dieu te donne la forme même du Prophète – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et Sa paix ! – en fait de lumière et d’assistance providentielle (16)… Ta  forme par rapport à lui est identique à ce qu’est la sienne par rapport à Gabriel – la Paix soit sur les deux ! – La « mèche » (17) de Muhammad s’est enflammée à partir de la « lampe » de Gabriel ; son feu est devenu lumière. Nulle lampe, pourtant, ne brille d’une lumière empruntée ; chacune brille de sa propre lumière (18). A quelle source les envoyés attribuent-ils la science qu’ils ont reçu de Gabriel ? A Gabriel ou à Allâh ? par Allâh, sûrement pas à Gabriel : on dit : « Envoyé d’Allâh » et non « Envoyé de Gabriel » ! De même, celui qui puise à la Station de la Prophétie (nubuwwa) une lumière analogue « convoque (les hommes) vers Allâh selon une vision intuitive » (19) ; cet appel, cette lumière par laquelle il appelle, est la lumière du Don providentiel, non celle empruntée à la lampe (prophétique) : celui qui convoque ainsi se rattache directement à Allâh, non à l’Envoyé » (20).

La « forme du Prophète » dont il est question ici est, en réalité, identique à celle du Coran : « Si quelqu’un d’entre ceux de sa communauté qui ne sont pas encore perçu, désire voir l’Envoyé d’Allâh – sur lui la Grâce et la Paix ! – qu’il regarde le Coran, car il n’y a pas de différence entre le fait de regarder l’un ou l’autre. C’est comme si le Coran avait engendré une forme corporelle appelée Muhammad ibn Abd Allâh ibn Abd al-Muttalib » (21). L’achèvement parfait de la réalisation métaphysique implique en effet la possession effective dans toute sa plénitude et son universalité, de la Science sacrée, divine par son origine et dans son essence. Bien loin d’être incompatible avec la Foi, il en constitue, ainsi que nous l’avons vue, l’accomplissement intégral, car il n’est véritablement rien d’autre qu’une actualisation nouvelle et immédiate du Verbe coranique universel, expression muhammadienne de l’Identité Suprême.

(1) Cf. supra, chap.XIX, p.180.
(2) Futûhât, chap.25.
(3) Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 1.
(4) Michel Vâlsan a relevé que ce « secret » divin est identique à ce qui est désigné dans le Vêdantâ par le terme Atmâ ; cf. Etudes Traditionnelles, 1971, p.65, note 7.
(5) Futûhât, chap.25.
(6) Ibid., chap.369, section 16 des « Trésors de la Générosité ».
(7) Sur la signification initiatique de ce terme, cf. Etudes Traditionnelles, 1968, p.81.
(8) Allusion au hadîth qudsî selon lequel le Très-Haut dit : « Ceux qui s’approchent de Moi ne peuvent le faire au moyen d’une œuvre qui Me soit plus agréable que celle que Je leur ai rendue obligatoire ; de plus, le serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par les œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je sois l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par laquelle il saisit, le pied par lequel il marche… ». Ibn Arabî ajoute l’attribut de science à ceux qui sont énumérés dans ce hadîth.
(9) Futûhât, chap.425.
(10) Il ne s’agit pas de la prophétie non-légiférante, qui ne comporte pas l’établissement de statuts nouveaux. C’est sur ce hadîth que repose la doctrine akbarienne de la « prophétie générale ».
(11) Tanazzul : forme verbale souvent employée dans le Coran en relation avec la descente de l’Ordre divin ; cf. Cor.19.64 ; 65.12 ; 97.4
(12) Futûhât, chap.159.
(13) Ibid., chap.279. Cette descente « par le dos » entraîne l’actualisation d’un mode de vision qui, tout en se manifestant dans l’ordre des réalités sensibles, n’est plus limité à la « face » de l’être : il s’exerce dans toutes les directions à la fois et notamment par derrière. L’opposition du « dos » et de la « poitrine » signifie aussi, toujours selon Ibn Arabî, que la prophétie demeure « voilée » dans le cas des saints, alors qu’elle est apparente chez les prophètes et les envoyés.
(14) C’est-à-dire des vérités essentielles.
(15) Michel Vâlsan, Notes de lectures sur Abû Yazîd al-Bistâmî, dans Etudes Traditionnelles, 1967, p.217, note 4.
(16) Selon le texte arabe, cette lumière et cette assistance peuvent être rapportées aussi bien à Allâh qu’au Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! –
(17) Sur ce symbolisme et son lien avec la « réception de l’Esprit », cf. supra, chap.XVI.
(18) Les lampes représentent ici les envoyés divins.
(19) Allusion à Cor.12.108.
(20) Futûhât, chap.313.
(21) Ibid., chap.446.

[Charles-André Gilis, l’Esprit universel de l’Islam, chap.XX : Coran et Identité Suprême].

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