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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

IBN ARABÎ : Le Cheikh Abd al-Qâdir al-Gîlânî et son compagnon Abû-s-Su’ûd (1).

WalHamduLillahNous avons rencontré en un seul jour au mont Abû-Qubays (1), à La Mekke, plus de soixante-dix hommes qui étaient les Pôles de cette Station initiatique (2). Les gens de cette catégorie n’ont jamais de disciples (3) qui les suivent dans leur Voie, et ils n’instruisent personne pour les y faire progresser ; ils n’ont recours qu’aux conseils, aux avis sincères, et à la communication de la Science. Ceux qui sont favorisés en profitent. On dit que Abû-s-Su’ûd était l’un d’entre eux. Je ne l’ai jamais vu, ni rencontré, mais j’ai humé la bonne odeur qui émanait de lui et son haleine parfumée.

 

On m’a appris également que Abd al-Qâdir al-Gîlânî – C’était un juste, le Pôle de son temps (4) – avait porté un témoignage en faveur d’Ibn Qâ’id en affirmant qu’il possédait cette Station : c’est en tout ce que quelqu’un m’a rapporté : je lui laisse la responsabilité de ce propos (5). Ibn Qâ’id prétendait en effet que (au degré qu’il occupait) il ne voyait devant lui plus rien d’autre que le « pied » de son Prophète. Or, ceci n’est possible que pour quelqu’un qui fait partie des Afrâd de son temps car, dans le cas contraire, il voit devant lui au moins le pied du Pôle de son temps en plus du pied de son Prophète. Cela, dans le cas où il est lui-même un des deux Imâms (6). Si c’est un Pilier (Watad), il voit nécessairement trois pieds devant lui (7) ; et quatre s’il est un Remplaçant (Badal) (8), etc. Dans tous cas, il est forcément établi dans la Dignité propre à ceux qui « suivent ». En revanche, s’il n’est pas définitivement établi dans une des Dignités des « suiveurs » et si on l’en écarte par la droite de la Voie – entre la chambre secrète (makhda’) (9) et la Voie (proprement dite) – il ne verra plus, effectivement, aucun pied devant lui : cela, c’est la Voie de la Face propre (tarîq al-wajh al-khâss) (10) que Dieu confère à tout être existencié. C’est à partir de cette Face propre que les Saints acquièrent la connaissance des Sciences (divines) de telle manière qu’on les désavoue et qu’on les déclare hérétiques. Pourtant, ceux qui les déclarent ainsi hérétiques et incroyants sont aussi ceux-là même qui croiraient en ces mêmes Sciences si elles étaient communiquées par les Envoyés (divins) !...

 

Les Maîtres de cette Station possèdent l’organisation et le gouvernement (tasarruf) du monde. Parmi eux, ceux de la plus haute catégorie abandonnent à Allâh le gouvernement de Ses créatures bien qu’ils aient reçu l’investiture de Dieu même comme un choix qui leur était offert, non comme un commandement auquel ils auraient eu à se soumettre. Ils revêtent plutôt le voile, pénètrent dans les Tentes du Mystère et disparaissent derrière les écrans des pratiques traditionnelles courantes ; ils s’en tiennent strictement à la Servitude absolue et à la Dépendance. Ce sont les « Chevaleresques »(Fityân), ceux qui « agissent avec élégance » (zurafâ), les Gens du Blâme (Malâmatiyya), les Cachés (akhfyâ), les « sans défaut » (abryâ). Abû-s-Su’ûd était l’un d’eux. Il était – qu’Allâh lui fasse miséricorde ! - de ceux qui se conforment au Commandement qu’Allâh a exprimé par Sa Parole : « Et prend-Le pour préposé ! » (Cor.73.9) ; c’est, en effet, le préposé qui gouverne ! S’ils avaient reçu l’ordre exprès de gouverner, ils s’y seraient conformés aussi : telle est leur manière d’être.

 

Pour ce qui concerne Abd al-Qâdir, son état fait apparaître qu’il avait précisément reçu l’ordre (divin) d’exercer le Tasarruf : pour cette raison, il a manifesté ce pouvoir dans sa manière d’agir ; c’est du moins l’opinion de ses pareils.

 

Quand à Muhammad al-Awânî, il prétendait qu’Allâh lui avait donné le Tasarruf : qu’il l’avait accepté et que, pour ces raisons, il l’exerçait alors qu’en réalité il n’avait reçu aucun mandat : c’est pourquoi il fut éprouvé. C’est pourquoi aussi il ne parvint pas au degré qui était celui d’Abû-s-Su’ûd. (11)

 

(1) Ce petit mont est situé à proximité de la Kaaba.

(2) C’est-à-dire qu’ils la maîtrisaient parfaitement. Il s’agit des Afrâd, qui échappent à la juridiction du Pôle, c’est-à-dire du Chef de la Hiérarchie initiatique de l’Islam à une époque donnée. Le terme Fard (singulier de Afrâd) ne s’applique pas seulement à des êtres ayant bénéficié d’un mode exceptionnel de rattachement initiatique ; il désigne aussi, et même avant tout, un degré spirituel.

(3) Ceci s’explique notamment par le caractère « direct » de leur propre réalisation. Leur « Voie » n’est pas celle d’une tarîqa au sens courant du terme.

(4) C’est là, par  excellence, une fonction liée au Tasarruf, c’est-à-dire au gouvernement ésotérique des affaires du monde.

(5) On remarque la prudence avec laquelle le Cheikh al-Akbar s’exprime, en dépit du fait que les renseignements qu’il avait recueillis sur le Cheikh Abd al-Qâdir et ses Compagnons étaient de première main. Parmi ses informateurs, il cite à plusieurs reprises Abû-l-Badr at-Tamâshikî de Bagdad. Dans la partie introductive du chapitre 198 des Futûhât, il s’exprime d’une façon plus affirmative : « Mon Compagnon Abû-l-Badr m’a rapporté au sujet d’Abd al-Qâdir al-Jîlî qu’Ibn Qâ’id al-Awânî, qui se considérait comme ayant réalisé une partie de la Voie, était allé le voir. Abd al-Qâdir se mit à le renifler deux à trois fois, puis il dit : « Je ne te connais pas ». C’était une manière de l’éduquer. L’aspiration spirituelle d’Ibn Qâ’id s’éleva au point qu’il fut joint aux Afrâd ».

(6) Les fonctions de ces deux Imâms, immédiatement inférieures à celles du Pôle, correspondent au Sacerdoce et à la Royauté tels qu’ils ont été définis dans l’Introduction.

(7) Ces trois « pieds » sont ceux du Pôle et des deux Imâms.

(8) Les Abdâl (plur. de Badal) sont inférieurs aux Awtâd (plur.de Watad) et ces derniers sont au nombre de quatre. Ce nombre peut suffire, compte tenu du fait que le Pôle et les deux Imâms peuvent exercer simultanément la fonction de Watad.

(9) Cette « Chambre secrète »  n’est autre que le terme de la Voie que l’on peut suivre, c’est-à-dire le « lieu » symbolique où réside le Pôle.

(10) Il s’agit de la Voie métaphysique qui est celle des Afrâd : elle est analogue au Tao de la tradition extrême-orientale.

(11) Les trois cas initiatiques envisagés dans ce texte peuvent être définis de la façon suivante : Muhammad al-Awânî prétendait exercer le Tasarruf sans avoir reçu l’autorisation ; Abû-s-Su’ûd renonçait à l’exercer alors qu’il en avait reçu le droit ; le Cheikh Abd al-Qâdir non seulement en avait reçu le droit mais ‘exerçait effectivement en vertu d’un ordre divin exprès.

 

(Cheikh al-Akbar Ibn Arabî, al-Futûhât al-Makkiyyah, chap.30 ; traduction et notes par Charles-André Gilis dans Études complémentaires sur le califat, p.63-66)

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L
<br /> Tres interessant d'ou longue méditation!<br /> Dommage que je n'arrive pas à croiser un texte sur le Fou ou le malade, la folie, malgré l'évocation importante dans la tradition prophétique!<br /> Merci pour ce texte!<br /> <br /> <br />
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