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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

La langue des Oiseaux 1/2

Wa eç-çâffâti çaffan,

Faz-zâjirâti zajran,

Fat-tâliyâti dhikran…

(« Par ceux qui sont rangés en ordre,

Et qui chassent en repoussant,

Et qui récitent l’invocation…»)

(Qorân, XXXVII, 1-3.)

 

Il est souvent question, dans diverses traditions, d’un langage mystérieux appelé « langue des oiseaux » : désignation évidemment symbolique, car l’importance même qui est attribuée à la connaissance de ce langage, comme prérogative d’une haute initiation, ne permet pas de la prendre littéralement. C’est ainsi qu’on lit dans le Qorân : « Et Salomon fut l’héritier de David ; et il dit : O hommes ! nous avons été instruit du langage des oiseaux (‘ullimna mantiqat-tayri) et comblé de toutes choses… » (XXVII, 15.)

 

Ailleurs, on voit des héros vainqueurs du dragon, comme Siegfried dans la légende nordique, comprendre aussitôt le langage des oiseaux ; et ceci permet d’interpréter aisément le symbolisme dont il s’agit. En effet, la victoire sur le dragon a pour conséquence immédiate la conquête de l’immortalité, figurée par quelque objet dont ce dragon défendait l’approche ; et cette conquête de l’immortalité implique essentiellement la réintégration au centre de l’état humain, c’est-à-dire au point où s’établit la communication avec les états supérieurs de l’être. C’est cette communication qui est représentée par la compréhension du langage des oiseaux ; et, en fait, les oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément des états supérieurs.

 

Nous avons eu l’occasion de citer ailleurs (2) la parabole évangélique où il est question, en ce sens, des « oiseaux du ciel » qui viennent se reposer sur les branches de l’arbre, de ce même arbre qui représente l’axe passant par le centre de chaque état d’être et reliant tous les états entre eux. (3)

 

Dans le texte qorânique que nous avons reproduit ci-dessus, le terme aç-çâffât est considéré comme désignant littéralement les oiseaux, mais comme s’appliquant symboliquement aux anges (el-malâïkah) ; et ainsi le premier verset signifie la constitution des hiérarchies célestes ou spirituelles (4). Le second verset exprime la lutte des anges contre les démons, des puissances célestes contre les puissances infernales, c’est-à-dire l’opposition des états supérieurs et des états inférieurs (5) ; c’est, dans la tradition hindoue, la lutte des Dêvas contre les Asuras, et aussi, suivant un symbolisme tout à fait semblable à celui auquel nous avons affaire ici, le combat du Garuda contre le Nâga, dans lequel nous retrouvons du reste le serpent ou le dragon dont il a été question tout à l’heure ; le Garuda est l’aigle, et, ailleurs, il est remplacé par d’autres oiseaux tels que l’ibis, la cigogne, le héron, tous ennemis, et destructeurs des reptiles (6).

 

(1) Note du titre : Publié dans V.I., nov.1931.

(2) L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III.

(3) Dans le symbole médiéval du Peridexion (corruption de Paradision), on voit les oiseaux sur les branches de l’arbre et le dragon à son pied (voir Le Symbolisme de la Croix, ch. IX). – Dans une étude sur le symbolisme de l’« oiseau de paradis » (Le Rayonnement intellectuel, mai-juin 1930), M. L. Charbonneau-Lassay a reproduit une sculpture où cet oiseau est figuré avec seulement une tête et des ailes, forme sous laquelle sont souvent représentés les anges (cf. Le Bestiaire du Christ, ch. LVI, p. 425).

(4) Le terme çaff, « rang », est un de ceux, d’ailleurs nombreux, dans lesquels certains ont voulu trouver l’origine des termes çûfî et taçawwuf ; bien que cette dérivation ne semble pas acceptable au point de vue purement linguistique, il n’en est pas moins vrai que, de même que plusieurs autres du même genre, elle représente une des idées contenues réellement dans ces termes, car les « hiérarchies spirituelles » s’identifient essentiellement aux degrés de l’initiation.

(5) Cette opposition se traduit en tout être par celle des deux tendances ascendante et descendante, appelées sattwa et tamas par la doctrine hindoue. C’est aussi ce que le Mazdéisme symbolise par l’antagonisme de la lumière et des ténèbres, personnifiées respectivement en Ormuzd et Ahriman.

(6) Voir, à ce sujet, les remarquables travaux de M. Charbonneau-Lassay sur les symboles animaux du Christ (cf. Le Bestiaire du Christ). Il importe de remarquer que l’opposition symbolique de l’oiseau et du serpent ne s’applique que lorsque ce dernier est envisagé sous son aspect maléfique ; au contraire, sous son aspect bénéfique, il s’unit parfois à l’oiseau, comme dans la figure du Quetzalcohuatl des anciennes traditions américaines ; par ailleurs, on retrouve aussi au Mexique le combat de l’aigle contre le serpent. On peut, pour le cas de l’association de l’oiseau et du serpent, rappeler le texte évangélique : « Soyez doux comme des colombes et prudents comme des serpents » (Saint Matthieu, X, 16).

 

(René Guénon, Symboles de la Science sacrée, coll. « Tradition », Éditions Gallimard, 1962, ch. VII. p.55-59)

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