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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Michel Chodkiewicz : « Nous n’avons omis, dans Le Livre… »

Ayat-al-Kursi.-111.jpgDieu doit être pris au mot. Il a fait descendre le Coran fî lisânin arabiyyin mubîn, « en langue arabe claire » (Cor.26.195). Dans un verset de la sourate de la Lumière (Cor.24.39), les œuvres des mécréants sont comparées à un mirage (sarâb) « que l’homme assoiffé croit être de l’eau jusqu’au moment où il y parvient : alors il le trouve n’être rien et il trouve Dieu auprès de lui… ». Nous allons voir que l’expression traduite ici par « mécréants » peut avoir d’autres sens que celui-là. Mais retenons seulement pour l’instant la proposition « et il trouve Dieu auprès de lui » (wa wajada Llâhu indahu)*. Elle est suivie de : « et Dieu lui règle son compte ». Ce sont ces derniers mots qui ont retenu toute l’attention des commentateurs, Râzî par exemple, et, pour eux, « il trouve Dieu auprès de lui » n’est en somme qu’une figure de style : quand le mécréant découvrira que ses œuvres n’étaient qu’illusion, il découvrira en même temps le châtiment qu’un Dieu vengeur a préparé pour lui.

 

Ce n’est pas ainsi qu’Ibn Arabi lit ce verset. C’est sous la forme du feu, dans le Buisson ardent, que Dieu s’est révélé à Moïse parce que c’est à la recherche d’un feu que Moïse était parti (Cor.20.10). Tout besoin est besoin de Dieu, et Dieu s’épiphanise à la créature sous la figure de son besoin. L’homme qui, abusé par un mirage, a couru vainement dans le désert et arrive au point où il désespère de tout, celui-là  trouve vraiment Dieu car « c’est lorsque tu ne trouves rien que tu trouves Dieu. Dieu ne peut être trouvé que dans l’absence des choses (c’est-à-dire des causes secondes) sur lesquelles nous prenons appui » (18). Et Dieu étanche toutes les soifs, rassasie toutes les faims. L’eau est vie : Dieu sera vie pour l’homme altéré.

 

C’est aussi en retenant le sens obvie du mot clef – en refusant de croire, contrairement au postulat implicite de bien des exégètes, que Dieu s’exprime par à-peu-près – qu’Ibn Arabî justifie scripturairement un aspect essentiel de son enseignement. Dans la sourate Al-isrâ (« Le Voyage nocturne », Cor.17.23.) figure un verset où il est dit : Wa qadâ rabbuka allâ ta’budû illâ iyyâhu, « Et ton Seigneur a décrété que vous n’adoreriez que Lui ». Voici ce qu’écrit Ibn Arabî à ce sujet : « Qadâ – décréter – signifie « statuer », « décider », et c’est cela qui explique que les faux dieux soient adorés. Le but de l’adoration de tout adorateur n’est en effet rien d’autre que Dieu. Aucune chose, si ce n’est Dieu, n’est adorée pour elle-même. La faute du polythéiste (mushrik) consiste seulement dans le fait de s’adonner à une forme particulière d’adoration qui ne lui est pas prescrite par Dieu (19). »

 

Et il cite à ce propos le verset où les polythéistes, littéralement les « associateurs » (al-mushrikûn), déclarent : « Nous ne les avons adorés (= les faux dieux, les idoles) que pour qu’ils nous approchent de Dieu » (Cor.39.4). Ainsi, pour le Shaykh al-Akbar, le qadâ divin étant, par définition, imprescriptible, toute créature qu’elle le veuille ou non, qu’elle le sache ou non, n’adore que Dieu (ou plus précisément un nom divin, mais tous les noms renvoeint au même Nommé), quels que soient la forme et l’objet de son adoration. Cette même notion, sur une base scripturaire diffrérente, est également développée avec force dans le chapitre 10 des Fusûs (20), dont le point de départ est un verset de la sourate Hûd (Cor.11.56) sur lequel nous allons revenir. L’expression clef est ici celle de sirât mustaqîm – de « chemin droit ». « Les hommes, écrit Ibn Arabî, se répartissent en deux catégories : les uns marchent sur un chemin qu’ils connaissent et dont ils savent où il conduit, et, pour eux, ce chemin est la Voie droite. Les autres marchent sur un chemin qu’ils ignorent et dont ils ignorent où il conduit. Et ce chemin est rigoureusement identique à celui que parcourt en connaissance de cause la première catégorie. » Commentant ce même verset de la sourate Hûd dans les Futûhât, il s’écrie : Mâ fî l-‘âlam illâ mustaqîm !, « Il n’y a rien en ce monde qui ne soit droit ! » (21). Il est à peine besoin de préciser que tout cela soulève l’indignation d’Ibn Taymiyya pour qui le qadâ – conformément à la plupart des exégèses antérieures, celle de Fakhr al-dîn Râzî pour n’en citer qu’une (22) – est un « commandement », une « prescription », et non un décret : interprétation qui, selon les critères akbariens, témoigne d’une confusion grave entre le amr takwînî, l’ordre existenciateur, qui ne peut pas ne pas être exécuté, et le amr taklîfî, l’ordre normatif, qui lui peut être désobéi.

 

(18) Sur le verset 24.39, voir Fut.I p.193 ; II, p.269, 338, 455. Sur le verset 20.10 relatif à Moïse, voir Fus. I, p.212-213. Rûzbehân Baqlî (op., cit., II, p.87) suggère brièvement, dans son commentaire de Cor.24.39, une interprétation analogue à celle d’Ibn Arabî.

(19) Fut.I, p.405 ; O.Y., p.163 ; Fut.IV, p.106 ; Kitâb al-masâ’il, Haiderabad, 1948, p.14.

(20) Fus.I, p.108.

(21) Fut.II, p.563.

(22) Ibn Taymiyya, Majmu’at al-rasâ’il, éd. Rashid Ridâ, I, p.173 ; IV, p.795 ; Râzî, Tafsîr, XX, p.183-184.

 

(Michel Chodkiewicz, un Océan sans rivages, chap.2 : « Nous n’avons omis, dans Le Livre… », extrait p.61-63).

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A
lDésert sans mirages & ocean sans rivage/
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