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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Michel Vâlsan : L’Islam et la Fonction de René Guénon (7).

Cheikh abd al wahid 3Cette doctrine (Waĥdat al Wujûd) qui relevait par nature d’un enseignement ésotérique, et dont quelques signes seulement pouvaient transpirer à l'extérieur, affirme l’identité de Soi et d’Allâh ou la Vérité Suprême et Universelle, et en même temps l’identité essentielle de la manifestation avec Son Principe : l’identité du « Soi-même » et du Principe est attestée entre autres par le fameux ĥadîth « celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur » ; d’autre part les notions d’ « acte de création » et de « créature » - les deux incluses dans le terme khalq - sont ramenées à celles d’ « acte de manifestation » (zuhûr) et de « manifestation » (mazhar) qui expriment même plus qu’une simple extériorisation des possibilités principielles, puisque rattachées au nom divin l’Apparaissant (az-Zâhir), elles annoncent la manifestation de l’Être unique lui-même.

 

Enfin, pour considérer un autre point différentiel important entre les deux types de spiritualité dont nous parlons, constitué par la notion d’Intellect, nous allons voir une situation analogue quoique plus complexe. En Islam, selon la définition prophétique, l’Intellect (al-‘Aql) est chose créée : « la première chose qu’Allâh a créé est l’Intellect » dit un hadîth. Nous ferons ici abstraction de la transposition métaphysique, dont nous parlions de la notion de Khalq et qui résoudrait déjà toute difficulté. Nous prendrons les notions dans leur sens direct : selon ce sens, la fonction sapientiale de l’Intellect en tant que point de coïncidence entre le Principe et l’être, n’est plus possible. La doctrine régulière en Islam ne considère pas l’Intellect comme une « qualité » ou une « faculté » divine et de ce fait dans le Tașawwuf on évite de parler de ta’aqqul, « intellection », à l’égard de l’Essence Divine, alors que d’une part chez les Hindous Chit, la Conscience Universelle, qui est une qualification d’Ishwarra est aussi celle de l’être résorbé en Lui et qui dans son état ordinaire en possède le reflet dans citta, la pensée individuelle, et d’autre part chez les péripatéticiens l’Intellect pur coïncide avec Dieu (10) et l’intuition intellectuelle connaît le Principe. Chez ces derniers, l’intellection (en grec noesis) est une notion qui convient aussi bien à la Connaissance immuable que « possède » Dieu, qu’à celle que « réalise » l’être causé ou généré lui-même, et par laquelle celui-ci participe au sujet et à l’objet de l’Intellection divine (11).

 

Quand à la doctrine muhammadienne, elle rétablit à cet égard les choses dans une autre perspective spécifiquement différente : c’est le Cœur qui est la faculté ou l’organe de connaissance intuitive, ce Cœur qui n’a qu’une relation symbolique avec l’organe corporel de même nom, et que le hadith qudsî énonce ainsi : « Mon Ciel et Ma Terre ne peuvent Me contenir, mais le Cœur de Mon serviteur croyant Me contient ». Qu’on le remarque bien, il ne s’agit pas ainsi d’une simple question de terminologie. Tout d’abord le Cœur qui est la réalité centrale de l’être, est par exemple selon les termes de l’école du Sheikh al-Akbar « la réalité essentielle (al-haqîqa) qui réunit d’une part tous les attributs et toutes les fonctions seigneuriales, d’autre part tous les caractères et les états générés, tant spirituels qu’individuels. ».

 

L’Intellect n’en est qu’une implication. Le cœur peut être dit Intellect en tant qu’il renferme celui-ci, et l’Intellect est Cœur en tant qu’il en fait partie. Voici une précision du Sheikh al-Akbar : « l’Intellect Premier, nous l’appelons Intellect (‘Aql) sous un rapport différent de celui sous lequel nous l’appelons Calame (Qalam), de celui sous lequel nous l’appelons Esprit (Rûh) et de celui sous lequel nous l’appelons Cœur (Qalb) ». Quelquefois, pour mieux marquer la différence, on envisage le Cœur en tant que faculté supérieure à l’Intellect, dépassant le plan de celui-ci : Al-Qalb huwwa-l-quwwatu-llatî warâ’a ţawr al-‘Aql, dit encore le Sheikh al-Akbar qui ajoute : « Ainsi il n’y a de Connaissance de la Vérité Suprême (al-Haqq) provenant de la Vérité même que par le Cœur ; ensuite cette connaissance est reçue par l’Intellect, de la part du Cœur » (12).

 

(10) Pour donner un exemple des différences de conception ou de perspective qui peuvent exister entre des doctrines religieuses elles-mêmes, on peut remarquer que la doctrine catholique qui a intégré une bonne part de l’aristotélisme n’exclut pas qu’on parle d’Intellect divin ; c’est ainsi que Saint Thomas dit : « Deus…qui omnia Suo Intellectu comprehendit…» (Summa Théol., De Deo, q.I., a.10).

(11) En rapport avec ce que nous disions dans la note précédente, pour Saint Thomas lui-même l’homme peut voir l’Essence Divine par son intelligence : « intellectus hominis elevatur ad adtissimam Dei essentiae visionem (De Prophetia, q.175, a.4).

(12) En vérité quand le cœur est envisagé dans la tradition islamique d’une façon initiatique et technique complète, il est l’objet d’une doctrine très développée selon laquelle il est le contenant d’une hiérarchie de facultés et de degrés de connaissance ; nous n’en faisons ici qu’une simple mention, pour ne pas laisser l’impression d’une simplification définitive, et réserver la question pour un examen spécial.

 

(Michel Vâlsan, L'Islam et la fonction de René Guenon, Revue Etudes Traditionnelles n° 305 Janv. - Fév. 1953, p. 14).

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