13 Avril 2012
LES DERNIERS
HAUTS GRADES DE L'ÉCOSSISME
ET LA RÉALISATION
DESCENDANTE
(suite) (1)
Il nous faut faire maintenant une précision qui sera en même temps une réserve nécessaire. Les fonctions suprêmes d'une tradition particulière ne sauraient être considérées comme devant coïncider avec des cas de réalisation descendante que lorsqu'il 'agit d'une tradition complète tant sous le rapport métaphysique que sous celui cosmologique et qui possède donc tant l'initiation effective des « grands mystères » que celle des « petits mystères ». Or, de même qu'il y des initiations de caractère spécifiquement cosmologique, il peut y avoir des formes traditionnelles réduites, sinon par leur définition première, du moins, à certaines époques, par l'effet des vicissitudes cycliques, à un point de vue cosmologique, et dont le domaine normal est alors celui des « petits mystères » (2). Les centres spirituels de formes traditionnelles qui se trouvent dans un tel état, et qu'on peut qualifier de ce fait proprement de « mineures » dans l'ensemble des formes traditionnelles existantes (3), se rangent normalement dans la dépendance immédiate, non pas du centre suprême, mais d’un centre intermédiaire, plus complet qu’eux-mêmes au point de vue spirituel qui de ce fait peut régir un groupe particulier de traditions rapprochées entre elles par des caractères semblables et des conditions cycliques communes (4). Un tel centre intermédiaire constitue alors, par rapport aux centres particuliers de ce groupe traditionnel, une hypostase du centre suprême (5).
(1) Cf. Etudes Traditionnelles, n° de juin 1953.
(2) Un cas de ce genre est celui de l’hermétisme, en tant que réadaptation des traditions grecques et égyptienne, à l’époque alexandrine, dont le caractère cosmologique et d’initiation de l’ordre des « petits mystères » ne fait pas de doute (cf. René Guénon, Aperçus sur l’Initiation, ch.XLI), bien qu’une tradition de cet ordre devait se rattacher elle-même originellement et par ses principes à une doctrine réellement métaphysique, et que de ce fait une ouverture restait, malgré tout, possible, quoique de façon moins directe, pour ceux qui avaient les qualifications nécessaires, vers une réalisation de l’ordre des « grands mystères ».
(3) Pour le cas cité de l’hermétisme, ce caractère de subordination est attesté par le fait qu’il s’est même incorporé à l’ésotérisme islamique et à l’ésotérisme chrétien du moyen âge ; mais d’autre part le fait que, tout en se limitant aux « petits mystères », il est une tradition du type « sapiential » ou intellectuel, lui assurait quelques avantages dans certains milieux d’extension des traditions relevant du type spirituel religieux et qu’on pourrait appeler aussi, sous certaines réserves, « prophétique » ; nous voulons parler surtout des milieux constitués par des peuples autres que ceux auxquels furent adressés directement et, donc, de façon plus adéquate les messages des fondateurs de traditions de forme religieuse (comme le Christianisme et l’Islam), respectivement les gentils et les non-arabes, chez lesquels l’hermétisme était du reste autochtone, du moins dans la région méditerranéenne. Il semble que la persistance de cette tradition et son rôle dans les ordres de chevalerie qui assuraient la liaison avec le Proche-Orient, peuvent s’expliquer d’un côté par son intellectualité qui lui conférait un caractère de neutralité et d’universalité relative au milieu méditerranéen, d’un autre côté par les limitations naturelles que subissaient les valeurs spécifiques des religions d’origine judaïque et arabe chez les peuples d’autres races. La situation de l’hermétisme est ainsi comparable à celle qu’ont eue, sur le plan doctrinal, l’aristotélisme et le néoplatonisme, avec lesquels il s’est trouvé du reste ordinairement associé en fait. – Un autre cas de « minorité » qu’on pourrait citer ici est celui du Judaïsme dans la diaspora, et la kabbale dit que la Shekinah est alors en exil parmi les gentils.
(4) Dans un tel centre ces traditions se concentrent et s’appuient réciproquement. C’est ainsi que dans l’ésotérisme islamique, et selon sa « perspective » propre, il est dit que le Qutb accorde son secours providentiel non seulement aux Musulmans, mais encore aux Chrétiens et aux Juifs, et ceci est à mettre, peut-être, de toutes façons, en rapport avec le rôle général de la tradition islamique comme intermédiaire entre l'Orient et l’Occident, dans la dernière partie du cycle traditionnel, bien qu'elle soit, mais on pourrait dire dans un certain sens du fait même qu’elle est, la plus récente des formes traditionnelles actuelles, car cela lui assure une vitalité plus grande par rapport aux traditions plus anciennes. Dans le même ordre d'idées, rappelons encore que René Guénon, parlant de la légende de Christian Rosenkreutz, le fondateur supposé de Rosicrucianisme, et en particulier ces voyages qui lui sont attribués (notamment en Terre-Sainte, en Arabie, dans le Royaume de Fez, mais encore chez les Sages et les Gymnosophistes) disait que le sens semble en être qu' « après la destruction de l'Ordre du Temple, les initiés à l'ésotérisme chrétien se réorganisèrent d'accord avec les initiés à l'ésotérisme islamique pour maintenir, dans la mesure du possible, le lien qui avait été apparemment rompu par cette destruction » (Apercus sur l'Initiation, chap. XXXVIII). Et plus loin, il ajoutait : « cette collaboration dut se continuer aussi par la suite... Nous irons même plus loin : les mêmes personnages, qu'ils soient venus du Christianisme ou de l'Islamisme, ont pu, s'ils ont vécu en Orient et en Occident (et les allusions constantes à leurs voyages, tout symbolisme à part, donnent à penser que ce dut être le cas de beaucoup d'entre eux), être à la fois Rose-Croix et Çûfis (ou mutaçawwifûn des degrés supérieurs), l'état spirituel qu'ils avaient atteint impliquant qu'ils étaient au delà des différences qui, existent entre les formes extérieures et qui n'affectent en rien l'unité essentielle et fondamentale de la doctrine traditionnelle » (ibid.).
(5) Quant à l'existence d'une hiérarchie spirituelle et des rapports de subordination subséquente entre les différentes formes traditionnelles, nous rappellerons un autre texte de René Guénon : « Bien que le but de toutes les organisations initiatiques soit essentiellement le même, il en est qui se situent en quelque sorte à des niveaux différents quant à leur participation à la Tradition primordiale (ce qui d'ailleurs ne veut pas dire que, parmi leurs membres, il ne puisse pas y en avoir qui aient atteint personnellement un même degré de connaissance effective) ; et il n'y a pas lieu de s'en étonner si l'on observe que les différentes formes traditionnelles elles-mêmes ne dérivent pas toutes immédiatement de la même source originelle ; la « chaîne » peut compter un nombre plus ou moins grand d'anneaux intermédiaires, sans qu'il y ait pour cela aucune solution de continuité « (Aperçus sur l'Initiation, chap. X). On pourrait ajouter en rapport, avec nos considérations précédentes, qu'une ordonnance hiérarchique peut résulter à certains moments et tout au moins à certains égards, comme conséquence de la déchéance relative de certaines formes traditionnelles quelle qu'ait pu être sa position aux époques antérieures.
Les centres spirituels basés sur la réalisation spirituelle des « petits mystères » sont alors constitués normalement par des êtres qui se situent au degré de l’ « homme véritable » (ou du Rose-Croix) et non pas à celui de l'« homme transcendant » (ou du Çûfî au vrai sens de ce mot). Dans ces cas les fonctions supérieures de ces centres ne coïncident pas avec le cas de la « réalisation descendante », si ce n'est tout à fait exceptionnellement (car des cas d'exception restent, malgré tout, toujours possibles). Néanmoins, selon une loi des correspondances qui assurent l'action des influences ou des énergies spirituelles d'un degré à l'autre, la constitution de ces centres mineurs est à l'image des centres majeurs dont ils dépendent et qu'ils reflètent ainsi à leur niveau. Ainsi, sans chercher à compliquer la situation par des distinctions spécieuses, il faut bien admettre qu'on peut avoir au degré des « petits mystères » des centres et des fonctions spirituelles et même, sans aucun abus de langage des « missions », qui, sans être de caractère directement « divin » ou « avatârique », participent sur leur plan et pour leur domaine du symbolisme des centres et des fonctions supérieures. Aussi, toute fonction initiatique, du fait qu'elle agit régulièrement dans son domaine, à quelque degré que ce soit, et peur autant qu'elle véhicule alors vers les degrés inférieurs les influences ou les énergies spirituelles qui lui sont confiées, s'inscrit dans une perspective « descendante », et de ce fait peut recevoir pour son domaine les attributs des fonctions suprêmes réellement avatâriques qu'elle représente et auxquelles elle reste subordonnée. Or, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, il en est de même pour la constitution de la hiérarchie essentielle des degrés et des fonctions de chacune des voies initiatiques que comporte une forme traditionnelle particulière, de sorte que ces voies retracent alors elles-mêmes dans une certaine mesure la hiérarchie de leur centre spirituel immédiat, quoique cette analogie constitutive ne soit pas forcément apparente. Dans les cas où ces voies sont basées sur une hiérarchie de grades et de fonctions symboliques et comme telles plus visibles de l'extérieur, dont l'attribution n'implique pas nécessairement la possession effective des degrés de connaissance correspondants, le symbolisme respectif, tant qu'il sera conservé intact reflétera la hiérarchie des degrés effectifs et des fonctions des centres supérieurs et du centre suprême lui-même qui est leur prototype commun, et cela en dehors de toute question d'une possession des degrés de connaissance symbolique par les grades (6). Mais dans tous les cas, c’est l'essentielle constitution analogique à tous les degrés et dans chaque économie spéciale qui assure l'ordre total des hiérarchies particulières et rend possible l'action normale des influences supérieures dans toute la profondeur et l'étendue du monde régi par le centre suprême (7).
(6) Il n’est pas nécessaire de citer des exemples pour montrer que dans les traditions de forme religieuse de tels symboles de la hiérarchie initiatique se retrouvent souvent dans les attributs de la hiérarchie exotérique elle-même, et cela par un transfert que rend toujours possible la correspondance qui existe entre les différents niveaux d’une même forme traditionnelle.
(7) C’est par là aussi qu’on comprend la gravité que présente la destruction ou la disparition de celles des organisations initiatiques qui constituent les principaux supports des centres spirituels, car les mondes traditionnels que ceux-ci régissaient normalement s’en trouvent alors plus ou moins retranchés, ce qui peut aboutir finalement à leur abandon complet et définitif.
Pour en revenir notre sujet principal, il nous semble que le symbolisme « descendante ou « avatârique », reconnu par René Guénon aux 3 derniers degrés du régime écossais, repose sur une correspondance, dont il reste seulement à déterminer un peu plus la situation et la portée, avec ces 3 fonctions suprêmes d'un centre spirituel. Cette correspondance s'expliquerait par le fait que le système de 33 grades de l'Écossisme reproduit schématiquement la hiérarchie d'un centre spirituel dont la Maçonnerie moderne en général a pu recueillir successivement et grouper, de façons très variées, selon les régimes, et vraisemblablement par l'intermédiaire d'organisations ordonnées autrefois par un tel centre, au moins les éléments emblématiques, et dont la figure d'ensemble se dessine mieux dans le cas spécial examiné ici. Il est incontestable que cette hiérarchie n'apparait pas assez logique ni homogène dans son développement, et qu'elle fait même l'impression d'un assemblage plus ou moins syncrétiste ; l'histoire connue de la superposition successive de divers groupes de grades à partir des 3 grades primitifs de la Maçonnerie opérative, pendant le XVIIIe siècle et au début du XIXe ne contrarierait certainement pan cette impression (8), Mais derrière tout cela il pourrait y avoir tout de même autre chose. En fait, il reste pour cette hiérarchie certains caractères qui permettent de percevoir une relative cohérence d'ensemble.
Tout d'abord, le nombre 33 de ces degrés est lui-même significatif sous ce rapport (9). Ce nombre a un symbolisme axial et cyclique assez apparent (10). D'habitude on le met en rapport avec le nombre des années de la vie terrestre du Christ selon l'une des estimations de cet âge (11), mais sans qu'on explique autrement la raison de ce rapprochement. Or à ce propos, on peut remarquer que l'âge du Christ peut être considéré, dans les traditions qui, comme la Maçonnerie, ont un rapport avec le message christique, comme un symbole des degrés acquis et totalisés par l'homme Universel dans ses phases de réalisation ascendante et descendante. Il est même remarquable que cet âge quand il est considéré comme étant de 33 ans, Se divise en 30 ans de vie secrète et 3 ans de vie publique, ces derniers étant donc ceux de la « mission » proprement dite du Christ, et cette division correspond ainsi exactement aux nombres des degrés de l'Ecossisme pour les phases ascendantes et descendantes de la réalisation initiatique (12). On peut signaler à l'occasion que ce nombre est celui des vertèbres de l'épine dorsale de l'homme, ce qui lui atteste précisément une signification axiale, surtout en tant que support de la tête (13).
(8) Le Rite Ecossais Ancien Accepté a eu pour le commencement sept grades, ensuite vingt-cinq, et ne totalisa les trente-trois degrés actuels qu’au début du XIXe siècle.
(9) De même 33 est le nombre maximum des membres d'un Suprême Conseil. — On sait d'autre part l’importance du même nombre dans la Divine Comédie de Dante. En Islam, il est également un des nombres de base des incantations, et on le trouve aussi dans certains rapports de la science des nombres sur laquelle repose du reste, une bonne part de la technique incantatoire.
(10) Signalons que dans les documents publiés dans l’ouvrage anti-maçonnique Maçonnerie Pratique (Paris, 1886, vol. II, on donne comme explication de ce nombre le fait « que c’est à Charleston, au 33e latitude Nord, que le Suprême Conseil s’est constitué le 31 mai 1801 ». Cette explication témoignerait plutôt de l’esprit scientiste des organisateurs des Suprêmes Conseils qui, au contraire, devant porter à 33, pour des raisons réellement symboliques qui leur échappaient, le nombre des degrés de l’Ecossisme, avaient cru bon de faire état d’un point terrestre situé à pareille latitude.
(11) On sait qu’il n'y a pas eu unanimité d'opinion à cet égard même chez les premiers docteurs chrétiens.
(12) Si l’on pouvait se fier aux documents de rameuse antl-maçonnique précité, l’âge symbolique du 33e degré, le Souverain Grand, serait lui-même de « 33 ans accomplis » (Ragon Indique pourtant 30 ans) ce qu’on explique encore par le degré de latitude-nord de Charleston !. Les âges symboliques des degrés ne sont par toutefois équivalents aux nombres d'ordre de ceux-ci. Le même âge de 33 ans est attribue au 18e, le Rose-Croix, analogie qui, si elle est fondée, pourrais se comprendre par une certaine correspondance à des niveaux différents entre les réalisations auxquelles se réfèrent les symbolismes des deux grades en question et qui sont respectivement celles des « grands mystères » au sens total et des « petits mystères », ou en d’autres termes par la correspondance qu’il y a entre l’ « homme transcendant » et son reflet au niveau des « petits mystères », l’ « homme véritable » (cf. René Guénon, La Grande Triade, chap. XVIII).A ce propos, il est à remarquer que les 33 ans du Souverain Grand étant qualifiés d’ « accomplis », il y a là une note différentielle assez significative d’avec l’âge du Rose-Croix pour lequel on ne trouve pas cette qualification.
(13) Nous ne savons pas si on a relevé que la classification des vertèbres exprime un symbolisme cosmologique assez frappant : il y a 7 vertèbres cervicales, 12 dorsales, 5 lombaires, 5 sacrales (qui forment l’os sacrum) et 4 coccygiennes (celles-ci peuvent-être 3 dans certains cas, mais cela dépend au fond du degré de soudure des vertèbres respectives dans l’os coccyx). De plus, la forme et le rôle des différentes vertèbres ainsi que la nomenclature qu’on leur a conservée même dans l’ostéologie moderne, sont également instructives quant au symbolisme auquel nous faisons allusion, mais nous ne pouvons nous étendre ici sur ce sujet.
D'autre part, la répartition de cette hiérarchie en quatre groupes : 1° Ateliers symboliques (degrés 1 à 3) 2° Ateliers de perfection, Chapitres de Rose-Croix (degrés 4 à 18), 3° Ateliers philosophiques, Aréopages de Kadosh (degrés 19 à 30) et 4° Suprêmes Conseils ou Grands Administratifs (degrés 31 à 33), elle est même digne d'intérêt ici (14). Les trois premiers groupes peuvent être considérés comme correspondant aux trois mondes du Tribhuvana (15), et quant au dernier groupe, constitué par les 3 degrés de symbolisme « descendant », il correspond de son côté au ternaire des fonctions suprêmes qui régissent principiellement ces trois mondes (16). Ce qui souligne de façon sensible cette dernière correspondance constitutive, c'est le fait que les 3 degrés en question sont considérés comme ayant un caractère « administratif », chose qui ne s'explique de façon satisfaisante que si on les considère comme un reflet du caractère « régulateur » des trois chefs de l'Agarttha ou du ternaire supérieur d'un centre spirituel, de quelque ordre de grandeur que celui-ci puisse être du reste, car, ainsi que nous l'avons dit, il y a analogie constitutive à n’importe quel degré. Mais quant à la correspondance exacte des dits grades avec les fonctions du ternaire d’un centre spirituel, il y a, au premier abord quelque difficulté. Les noms des grades écossais ne se montrent pas ici directement révélateurs : le 31° s’appelle Grand Inspecteur Inquisiteur Commandeur, le 32° Sublime Prince du Royal Secret, et le 33°, Souverain Grand Inspecteur général. Si on laisse de côté les qualificatifs administratifs secondaires, on a la hiérarchie relative suivante (en ordre ascendant) : Inquisiteur, Prince et Souverain ; cela ne nous rapproche pas d’une signification pouvant rappeler les notions de Mahânga, Mahâtmâ et Brahâtmâ, ou de celles de Qutb et des deux Imâms, ni celles des pouvoirs royal et sacerdotal et du principe commun de ces deux. Les autres titres des atelier (Souverain Tribunal ; Consistoire ; Suprême Conseil), des présidents (Très Parfait Président ; Illustre Commandeur en Chef ; Très Puissant Souverain Grand Commandeur) et des frères (Très Eclairés ; Sublimes et valeureux Princes ; Illustres Souverains Grands Inspecteurs Généraux) ne changent pas la situation mais la confirment : nous nous trouvons en présence d’une hiérarchie qui se rapporte exclusivement au « pouvoir temporel ». Le symbolisme d’ensemble du 31e est de caractère « judiciaire », celui du 32e de caractère « militaire », et celui du 33e, de caractère « monarchique ». Il s’agit même expressément d’une emblématique de Saint-Empire, ce qui correspond proprement à une initiation de Kshatryas. Du reste, l’origine « historique » attribuée à ces grades remonte à Frédéric II de Prusse que le Grand Maître du 33e et le Maître du 32e sont dits représenter. Le nom de Frédéric de Prusse figure aussi dans le mot de passe du 33e (17) à la suite de celui de De Molay, le dernier Grand Maître de l'Ordre du Temple, et de celui de Hiram-Abi.
(14) On appelle ces groupes aussi par des noms de couleur, respectivement 1° Maçonnerie Bleue, 2° Rouge, 3° Noire et 4° Blanche, et on dit que cela est d'après la couleur des cordons. Plus exactement il s'agit du cordon du dernier grade, donc le plus élevé du groupe (toutefois pour les Rose-Croix qui conclut le 2° groupe le cordon porté en sautoir est « rouge d’un côté et noir de l’autre »).
On connaît d'autres divisions des grades, selon d'autres points de vue.
(15) Cette correspondance est plus précisément la suivante. D'un côté, le Tribhuvana, autrement dit la Terre, l'Atmosphère et le Ciel, ternaire dont on fait différentes applications (cf. René Guénon : L'Esotérisme de Dante, chap. VI, L'Homme et son devenir, chap. V et XII, Le Roi du Monde, chap. IV, et La Grande Triade, chap. X), est à considérer ici comme constitué par les domaines de la manifestation corporelle (sensible) de la manifestation subtile (psychique) et de la manifestation informelle (intellectuelle pure). D'un autre côté, si l'on remarque que le groupe des 3 premiers grades (Ateliers symboliques) a une position spéciale en rapport avec le deuxième groupe (Ateliers de Perfection) dont le rôle serait de « développer » en mode opératif l'initiation reçue dans les grades symboliques, en sorte que le rapport entre ces deux groupes est celui entre « symbole » et « réalité », on peut dire, mais seulement dans cette relation spéciale et sous le rapport opératif, que le premier concerne l'ordre sensible ou grossier, et le deuxième l’ordre subtile ou psychique ; ensemble ils délimitent le domaine des « petits mystères ». Enfin le troisième groupe qui se rapporte aux « grands mystères » concerne le domaine intellectuel pur ou la manifestation informelle et son principe immédiat.
(16) Nous donnons cela comme une correspondance tout à fait générale, et ne prétendons nullement qu'on pourrait la vérifier dans les rôles précis que jouent en fait les grades administratifs par rapport aux hiérarchies inférieures.
(17) Tel est du moins le texte des Tuileurs publié au début du XIXe siècle. Le Tuileur établi à Lausanne en 1875 n'en fait pas mention. Bien entendu, Frédéric II de Prusse (1712-1786) ne saurait être considéré comme l'« auteur » réel de ces grades « de commémoration templière » comme l'on dit. Mais le fait qu'on a fait remonter leur provenance à ce roi, indique qu'il a dû avoir un certain rôle quant au sort dévolu à ce régime supérieur à l'époque de la constitution de la Maçonnerie moderne. On peut penser aussi que ce rôle ne dut pas être de la meilleure qualité, et qu'on aurait là plutôt une indication quant au « moment » où ces grades ont été a extériorisés » et même « détachés » d'une position plus effectivement initiatique. En effet, monarque d'esprit moderne, ami de Voltaire, qui fut son hôte à Sans Souci, et des Encyclopédistes, Frédéric II ne dut pas être digne de recevoir l'initiation ou la fonction effective symbolisée par ces grades, même en réduisant les choses au degré des « petits mystères ». Il a dû les recevoir toutefois dans une forme quelque peu différente de celle qu'on leur a connu ensuite clans le cadre de l'Ecossisme, et qu'il a présidé à certaines autres modifications, ce dont témoigne l'introduction de son nom dans le rituel.
Nous devons néanmoins étudier de plus près certains éléments symboliques de ces grades, car il y a à faire ici d'autres constatations d'un intérêt pas moindre.
A cet égard, nous ferons la remarque suivante qui a son importance sur le rapport de la méthode. Le symbolisme des 3 hauts grades n'a jamais fait, semble-t-il, l'objet d'une étude d'esprit traditionnel, et il serait vraiment utile que ceux qui s'occupent régulièrement de ce genre d'études traditionnelles, abordent ce thème. Sur le plan littéraire, une telle étude rencontre une difficulté liminaire : en raison du secret de l'Ordre, on n'a au sujet de la haute hiérarchie maçonnique, surtout au sujet de celle qui nous intéresse ici, que peu de donnés, sinon « autorisées », du moins « officieuses » et celles qui existent dans le domaine public constituent pour la plupart des « divulgations » dont le caractère est quelquefois tellement hostile et suspect qu'on ne saurait jamais les prendre comme une base absolument sûre d'étude. Dans ces conditions, c'est seulement par des recoupements prudents qu'on pourrait utiliser les données en circulation. C'est avec cette réserve que nous tenterons ici nous-même quelques considérations. Du moins, l'esprit dans lequel nous entendons les faire est-il tout autre que celui dont ont procédé ces « divulgations ».
M. VÂLSAN.
(à suivre)