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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Michel Vâlsan : Les notes relatives au « Yahûd » et aux « Nasâra ».

Note 1. La correspondance établie ici, et qui est de style dans les Tafâsir (commentaires), se base sur des hadiths prophétiques proprement interprétatifs de cette sourate ; en voici un transmis par ‘Adî Ibn Hâtim : « Ceux sur qui est la Colère divine sont les Yahûd ». On rappelle d’ordinaire au même propos un verset de la Sourate de « La Table » qui, parlant des Gens du Livre, fait référence aux Yahûd en ces termes : « Ceux qu’Allâh a maudit et contre lesquels Il est en colère » (Cor.5.60). Nous faisons remarquer que – en toute rigueur – on ne peut traduire Yahûd (pour le sing. on emploie l’adjectif Yahûdî) qui, dans le Coran et les hadiths pour commencer, est toujours péjoratif, par « Juifs », qui, dans la terminologie judéo-chrétienne et occidentale, garde un sens très général et quelque fois même d’excellence (par rapport aux Gentils, par exemple). Pour ce qui est de ce dernier sens, il est facile de constater que le Coran use du nom collectif Hûd, ou de l’expression alladhîna hâdû = litt. « ceux qui reviennent à résipiscence » (d’où un sens dérivé : « ceux qui pratiquent le Judaïsme »), ce qui reste assez proche de la racine hébraïque (« confession », « louange »), et alors les Juifs ne sont jamais pris résolument en mauvaise part ; au contraire, désignés ainsi, on leur reconnaît, chose qui n’arrive jamais quand ils sont désignés par le terme Yahûd, certains droits et mérites, tout en leur contestant, le cas échéant, la prétention majeure de constituer le peuple élu. C’est aux seuls Banû Isrâ’îl (« Fils d’Israël ») que, lexicalement, est reconnu, tant dans le Coran que dans les hadiths, le privilège de la communauté primitive et, symboliquement, de l’élite initiatique. Ainsi ces diverses appellations, comme celle des Ahl al-Kitâb (« Gens du Livre ») appliquée également aux Chrétiens, désigne des degrés qualitatifs très variés qui peuvent s’appliquer sur une même lignée traditionnelle et historique, mais qui ne se confondent jamais. Enfin, il est à peine besoin de le souligner, jamais les désignations de Yahûd, Hûd, alladhîna hâdû, Banû Isrâ’îl, etc., ne sont prises dans un sens raciste ou nationaliste, mais toujours dans un sens religieux ; cela, certes, est en rapport avec le statut traditionnel qui définit objectivement les communautés, mais vise, au fond, toujours la valeur effectivement atteinte par celles-ci dans le cadre de leur statut.

Note 2. Cette autre correspondance dérive également des hadîths prophétiques, dont un, transmis par le même ‘Adî Ibn Hâtim, dit : « Ceux qui sont dans l’égarement sont les Nasârâ ». Au même propos, on rappelle un verset de la sourate de « La Table » qui désigne ceux-ci comme étant « ceux qui se sont égarés précédemment, qui en ont égarés beaucoup d’autres et qui errent hors de la Voie du Milieu » (Cor.5.77), et c’est à ce verset, d’ailleurs que le commentateur emprunte la notion de « Voie du Milieu ». Ce qui peut sembler étrange, à première vue, c’est que, malgré les termes nets du Coran et des hadiths sur ce point, Al-Qashânî place les Nasârâ dans une perspective somme toute favorable, puisqu’il leur attribue une orientation qui serait d’ordre ésotérique, dirait-on : c’est que l’ « égarement » en question est effectivement dans le domaine intermédiaire. Le cas de ceux que le Coran appelle les Nasârâ ou qui sont dits s’appeler eux-mêmes Nasârâ (il y a plus qu’une nuance qu’il ne faut pas négliger éventuellement) semble donc être au fond celui de toutes les organisations qui dans leurs orientations et disciplines de vie intérieure ne s’appuient plus sur le support législatif initial et « optime » de leur forme traditionnelle, et qui débordent alors dans les adaptations plus ou moins irrégulières ; ils peuvent d’ailleurs obtenir des statuts réguliers nouveaux mais à des degrés inférieurs et limités (Cf. Coran 5, 14, le cas du mîthâq, « pacte divin », pris sur certains des Nasârâ et qui , d’ailleurs, en « oublièrent » une part) ; tel aurait été dans une certaine mesure, peut-être, dans l’histoire de l’Islam même, le cas des organisations qu’on inclut sous le titre général des Bâtiniyyah, les « Intérioristes » (pour ne pas employer en ce cas la traduction « Esotéristes »). Or, les déficiences dont il est fait état dans le cas présent, qui sembleraient devoir être cependant, d’une importance plutôt secondaire, sont en réalité l’expression perceptible d’une perte, plus difficilement saisissable, de conscience effective dans l’ordre des vérités purement métaphysiques, nonobstant d’ailleurs la conservation des textes doctrinaux de base : à leur tour, elles constituent une cause de dégénérescence progressive, tant que des interventions réparatrices et revivificatrices ne se produisent et ne réussissent pas. C’est là, du reste la raison pour laquelle le commentateur attribue à la réunion des deux aspects « extérieur » et « intérieur », représentés ici par les voies distinctives des Yahûd et des Nasârâ, une valeur qui dépasse la simple somme des valeurs particulières respectives. Le « Chemin Droit » interprété métaphysiquement comme « Sentier de l’Unité Pure ou de l’Identité » (Tarîq al-Wahdah), n’a pas de commune mesure avec les voies particulières qu’il inclut cependant toutes, pour ce qu’elles ont de positif, dans une synthèse suprême, et le commentaire l’affirmera d’ailleurs encore très clairement à la fin.

Du fait de l’interprétation certaine des « égarés » comme étant les Nasârâ, il résulte que, de toute façon, ceux-ci ne peuvent correspondre à la première génération chrétienne, contemporaine du Christ, car celle-là était, selon le Coran, cette part des Banû Isrâ’îl véritables qui avaient cru et accepté l’envoyé divin, et qui de ce fait, en terminologie technique coranique, correspondent au cas des « Musulmans », les « Soumis » à la volonté et à l’autorité divine représentés par l’envoyé. D’après le symbolisme de leur nom, cependant les Nasârâ (sing. Nasrânî) sont une forme spirituelle secondaire, lointainement dérivée de la notion des premiers Ansâr (Auxilliaires) d’Allâh auprès de Jésus, et qui étaient plus précisément les Hawâriyyûn les « Blancs » ou plutôt les « Candides » qui répondirent positivement au Christ : « Nous sommes les Auxilliaires d’Allâh » (Cor.61.14), « Nous croyons en Allâh ! Témoigne que nous sommes des musulmans, etc. » (Cor.5.111). Mais la voie des Nasârâ, ne correspondant pas à une tradition régulière et intégrale, ne peut désigner non plus le Christianisme dans toute sa carrière historique car celui-ci a, certes, connu des époques de « complétude » aussi bien sur le plan ésotérique que sur le plan exotérique ; en outre, cette voie telle qu’elle est définie dans le commentaire d’Al-Qashânî ne saurait avoir qu’un rapport fort éloigné avec les applications extérieures, politiques et sociales, que le Christianisme a connues ou qu’il connaît encore de nos jours. Ainsi ce que l’on désigne dans la terminologie sacrée par Yahûd ou Nasârâ ce ne sont pas des traditions intégrales proprement dites mais des types spirituels limitatifs du monde traditionnel en général.

Note 3. Ajoutons cette dernière glose de caractère à la fois plus général et récapitulatif. Selon l’interprétation constante d’Al-Qashânî dans tout son commentaire, qui observe essentiellement une démarche tripartite quelque peu systématique (ce qui rappellera le style de pensée de St Denis l’Aréopagite, de certains Victorins et de St Bonaventure en Occident), le Paradis des Yahûd est du domaine extérieur, correspondant au Monde du Royaume sensible (‘âlam al-Mulk), et il constitue le séjour cherché par l’âme individualiste (an-nafs) ; c’est cependant le Paradis des Actes (Jannah al-Af’âl), entendant par cela aussi bien le domaine des Actes divins que le fruit des actes individuels, mais qui, en tant que « Paradis », ne peut tout de même, revenir en réalité qu’aux Hûd, aux Juifs au sens non péjoratif. Le Paradis des Nasârâ est bien du domaine intérieur et correspond au monde de la Royauté (‘âlam al-Malakût) qui, dans un premier sens, est le domaine subtil, mais qui, en tant qu’intermédiaire, dans cette tripartition constante, peut s’entendre quelques fois comme incluant la manifesté informel, intermédiaire entre le non-manifesté (ghayb) et la manifestation sensible (shahâdah = mulk) ; il constitue le séjour cherché par le cœur (al-qalb). C’est même le Paradis des Attributs (Jannah as-Sifât) « intermédiaire », en un sens « optime » alors, entre le Paradis des Actes et celui de l’Essence pure ; mais il ne doit revenir normalement qu’aux meilleurs des Nasârâ, ceux qui sont « les plus proches (en amour) des vrais Croyants » (Cor.5.82), qui sont caractérisés par les « règles de vie » des « Qissisîn (« Pasteurs ») et des Ruhbân (« Moines ») et qui ne s’enorgueillissent pas » (Cor.5.82). Enfin le Paradis des « Muhammadiyyûn véritables » est celui de l’Unité non-manifestée (‘âlam al-ghayb al-mutlaq) qui est cherché par l’Esprit pur (ar-Rûh). C’est proprement le Paradis de l’Essence Suprême (Jannah adh-Dhât), but du Sentier de l’Union (Tarîq al-Wahdah), tout en tenant compte de ce qu’a de purement analogique une telle expression quand il s’agit de la conception constante, universelle et absolue de l’Identité.

Ainsi qualifiées par leurs caractères distinctifs, ces trois communautés de « Juifs », de « Chrétiens » et de « Muhammadiens » désignent plutôt trois classes fondamentales d’êtres traditionnels, qui, tout en étant, dans un certain sens typologique, représentées par des formes historiques particulières de la Tradition générale, logiquement peuvent se trouver aussi à l’intérieur de chaque tradition particulière, et qui ont certainement leur équivalent en Islam même. Notre commentateur déclare d’ailleurs lui-même, une chose de ce genre, en commentant le verset suivant de la sourate de « La Génisse » :

Texte : « Les Yahûd disent : Les Nasârâ ne reposent sur rien (de valable) ! Et les Nasârâ disent : Les Yâhûd ne reposent sur rien (de valable) ! » (Cor.2.113)

Commentaire : « Chacun est voilé par sa religion particulière : Les Nasârâ sont voilés par l’ « intérieur » à l’encontre de l’ « extérieur », et les Yahûd par l’ « extérieur » à l’encontre de l’ « intérieur », tel que nous voyons l’état des écoles doctrinales (madhâhib) de nos jours en Islam ».

Texte : « alors qu’ils récitent le Livre »

Commentaire : « « Livre » dans lequel se trouve ce qui peut les conduire à l’enlèvement du voile et à la vision de la vérité (légitimité, haqq) de toute religion (dîn) et de toute école doctrinale (madhhab), et à la constatation que la « vérité » intrinsèque de telle religion ou de telle doctrine n’est pas devenue vaine par l’effet de l’attachement de fidèles à leur forme de croyance particulière. Or quelle différence il y a entre le cas de ces détenteurs d’un livre sacré et celui de ceux qui n’ont aucune science (‘ilm) ni livre sacré (kitâb), comme les païens associateurs (mushrikûn) ! Car ceux-ci professent, certes, les mêmes opinions (exclusivistes) que ceux-là, mais ils sont plus excusables que les autres, car ils n’ont contre eux que l’argument de l’intelligence, alors que les savants détenteurs d’un livre révélé ont contre eux aussi bien l’argument de l’intelligence (al-‘aql) que celui de la loi sacrée (ash-sha’r) (contenue dans le livre reçu par eux) ».

(Michel Vâlsan, Le Commentaire de la FâtihaEtudes Traditionnelles n° 376, Mars-Avr. 1963, notes relatives aux « Juifs » et aux « Chrétiens »).

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