La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.
2 Avril 2011
Parmi les formes de récitations pratiquées couramment dans la vie spirituelle islamique, il y a certaines invocations discursives appelées
awrâd (sing. wird) ou ahzâb (sing. hizb), ce qu’on pourrait traduire par « oraisons » ou « litanies ».
Constituées de formules relatives aux vérités fondamentales de la révélation – le plus souvent tirées du Coran et des hadîths –, de louanges à la Divinité, de prières sur le Prophète et de demandes de toutes grâces, leur fonction est à la fois doctrinale et incantatoire. Issues de l’inspiration sacrées des maîtres spirituels et destinés à servir d’adjuvants aux moyens initiatiques plus essentiels, elles sont normalement pratiquées par les fuqarâ’ d’appartenance spirituelle, mais on les trouve aussi en usage chez les simples exotériques qui en ont l’accès comme à des moyens de grâce offerts à la dévotion commune. Telles sont les oraisons qâdirites ou shâzilites, dont le célèbre Hizb al-Bahr, « l’oraison de la mer » du Sheikh Abû-l-Hassan ‘Alî ash-Shadhilî, ou les litanies sur le Prophète, disposées par jours de la semaine, appelées Dalâ’il al-Khayrât, « les moyens de Grâces » du Sheikh Abû ‘Abdallâh Muhammad al-Jazûlî.
Nous avons estimé que des esprits occidentaux connaîtraient avec intérêt des extraits traduits d’un document de ce genre dû à Muhy-d-Dîn Ibn ‘Arabî et portant le nom d’Awrâd al-Usbû’, « les Oraisons de la semaine » (1). La qualité intellectuelle de ces récitations les réserve de façon toute naturelle à une élite ; de fait, elles sont fort peu répandues. Consacrées exclusivement au Tawhîd le plus transcendant, c’est-à-dire à la doctrine de l’Identité Suprême, leur valeur est accrue par le fait qu’elles constituent un même temps un précieux exemple d’adab spirituel, de « bonnes manières » dans les rapports avec la Divinité.
On ne saurait exagérer l’importance pratique de l’adab dans la vie spirituelle en général. Dans le cas présent, on en trouvera la marque profonde et savante non seulement dans la louange divine et la sollicitation des grâces, mais dans le mode même de conception des vérités initiatiques fondamentales. Celles-ci, bien qu’affirmées avec toute la netteté doctrinale voulue, épousent ici d’une façon impeccable les canons sacrés de cette Servitude absolue qui, loin d’être la rançon d’un exotérisme « anti-intellectuel », mais faite de Science, de Contemplation et de Vertu, apparaît comme une forme originale et complète en soi, de la Sagesse universelle. Nous y trouvons les traits providentiels de la « Sainteté muhammadienne ». En réponse à la question de savoir par quelle disposition est justifiée la qualité de « Sceau de la Sainteté Muhammadienne » (Khâtam al-Wilâyah al-Muhammadiyyah) – titre qui appartient à Muhy-d-Dîn lui-même –, ce maître spirituel a précisé : « Par la perfection des Vertus les plus nobles dans les rapports avec Allâh (bi-tamâm Makârim al-Akhlâq ma’ Allâh) ! » Et on remarquera qu’il y a en cela une référence précise au type spirituel de Sayyidnâ Muhammad, le « Sceau de la Prophétie » qui a dit : « j’ai reçu les Sommes des paroles et j’ai été envoyé pour parfaire les Vertus les plus Nobles ».
Ces oraisons sont, dans le texte arabe, faites de phrases harmonieusement rythmées et rimées, dans une langue pleine de ressources symboliques, de références doctrinales maintes fois indirectes, dont les éléments et les articulations assurent le miroitement d’une pluralité de sens coexistants. Ces qualités n’apparaîtront jamais dans une traduction. Nous avons signalé quelquefois la présence, plutôt à titre d’exemple, dans des notes voulues rares et succintes pour gêner le moins possible la lecture continue.
(1) Elles sont disposées selon les jours de la semaine en deux séries parallèles formant des recueils séparés : « les Oraisons des jours » (Awrâd al-Ayâm) et « les Oraisons des nuits » (Awrâd al-Layâl).
(Michel Vâlsan, Oraisons métaphysiques, Etudes Traditionnelles n° 278, Sept. 1949, p. 251).