29 Mars 2010
En effet, (Hallâj) avait manqué de politesse en disant, alors qu’il vivait en ce monde, que l’Envoyé n’avait pas eu une aspiration à la hauteur de son rang. On l’interrogea : « Pourquoi dis-tu cela ? » Il répondit : « Parce qu’Allâh le Très-Haut a dit : « Et ton Seigneur te fera don, de sorte que tu seras satisfait » (14). Or, il lui revenait de ne pas se satisfaire tant qu’Allâh n’aurait pas accepté son intercession pour tout (être) incroyant (kâfir) ou croyant ; au lieu de cela, il s’est borné à demander de pouvoir intercéder pour les grands pêcheurs de ma communauté ».
Quand il eut proféré ces paroles, l'Envoyé d'Allah lui apparut et lui dit :
- Ô Mansûr (15), est-ce toi qui m'as blâmé à propos de mon intercession ?
- Ô Envoyé d'Allah, il en fut ainsi.
- N'as tu pas entendu que mon Seigneur – qu’Il soit glorifié et magnifié - a dit : « lorsque J’aime un serviteur, Je suis son ouie, sa vue, sa langue et sa main » ?
- Bien sûr, ô Envoyé d'Allah.
- Si je suis moi-même le Bien-Aimé d'Allâh (habîb Allâh), c'est bien Lui qui parle par ma bouche. C'est donc Lui qui intercède et auprès de qui se fait l'intercession. Je suis un néant ('adam) au sein de Sa Réalité (wujûdi-Hi). Quel blâme y-a-t-il donc contre moi, ô Mansûr ?
- Ô Envoyé d'Allah, je me repens de cette parole que j’ai dite. Qu'elle sera l'expiation de ma faute ?
- Immole ton âme pour Allah !
- Comment ferai-je?
- Tue ton âme au moyen de l'épée de ma Loi (sayf sharî’atî) !
Il en fut de la façon que l’on sait. Hûd – sur lui la Paix !- dit alors : « Depuis qu’il a quitté ce monde, (Hallâj) demeure voilé à l’égard de l’Envoyé d'Allah (16). C’est pourquoi la présente assemblée a pour but d’intercéder en sa faveur auprès de lui – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et sa paix ! – »
Depuis le moment où il a quitté ce monde jusqu’à celui où s’est tenue l’assemblée mentionnée ici, il s’est écoulé plus de trois cents ans.
(14) Cor.93.5. Ce récit d’Ibn Arabî est inclus dans le commentaire qu’Ismâ’îl Haqqî donne de ce verset. L’allusion à la Station Louangée est indiquée, de manière plus précise encore par le verset précédent : « Et en vérité, la vie future est meilleure pour toi que la première (vie) » (Cor.93.4).
(15) Le nom complet de Hallâj est al-Hussayn ibn Mansûr al-Hallâj.
(16) Cette phrase montre que, en dépit de son expiation, Hallâj n’était toujours pas « rentré en grâce » auprès de l’Envoyé d’Allâh au moment de la « vision de Cordoue ». En effet, il y a lieu d’envisager une seconde faute, consécutive à la première, qui consiste dans le fait que Hallâj a maintenu volontairement une certaine équivoque sur la raison réelle de son supplice, de telle sorte que le désordre engendré par son attitude a pris une dimension cyclique et s’est prolongée jusqu’à nos jours.
(IBN ARABI, déclaration attribuée au cheikh al-Akbar par Ismaïl Haqqi dans le Rûh al-Bayân, Vol.X, p.456, traduct. Charles-André Gilis dans les Sept Etendard du Califat, p.298-299)