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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon : Difficultés linguistiques (1/2)

Futuhat de lamain d'Ibn Arabi 1ere page-copie-1La difficulté la plus grave, pour l’interprétation correcte des doctrines orientales, est celle qui provient, comme nous l’avons déjà indiqué et comme nous entendons l’exposer surtout dans ce qui suivra, de la différence essentielle qui existe entre les modes de la pensée orientale et ceux de la pensée occidentale. Cette différence se traduit naturellement par une différence correspondante dans les langues qui sont destinées respectivement à exprimer ces modes, d’où une seconde difficulté, dérivant de la première, lorsqu’il s’agit de rendre certaines idées dans les langues de l’Occident, qui manquent de termes appropriés, et qui, surtout, sont fort peu métaphysiques. D’ailleurs, ce n’est là en somme qu’une aggravation des difficultés inhérentes à toute traduction, et qui se rencontrent même, à un moindre degré, pour passer d’une langue à une autre qui en est très voisine philologiquement aussi bien que géographiquement ; dans ce dernier cas encore, les termes que l’on regarde comme correspondants, et qui ont souvent la même origine ou la même dérivation, sont quelquefois très loin, malgré cela, d’offrir pour le sens une équivalence exacte. Cela se comprend aisément, car il est évident que chaque langue doit être particulièrement adaptée à la mentalité du peuple qui en fait usage, et chaque peuple a sa mentalité propre, plus ou moins largement différente de celle des autres ; cette diversité des mentalités ethniques est seulement beaucoup moindre quand on considère des peuples appartenant à une même race ou se rattachant à une même civilisation. Dans ce cas, les caractères mentaux communs sont assurément les plus fondamentaux, mais les caractères secondaires qui s’y superposent peuvent donner lieu à des variations qui sont encore fort appréciables ; et l’on pourrait même se demander si, parmi les individus qui parlent une même langue, dans les limites d’une nation qui comprend les éléments ethniques divers, le sens des mots de cette langue ne se nuance pas plus ou moins d’une région à l’autre, d’autant plus que l’unification nationale et linguistique est souvent récente et quelque peu artificielle : il n’y aurait rien d’étonnant, par exemple, à ce que la langue commune héritât dans chaque province, pour le fond tout autant que pour la forme, de quelques particularités de l’ancien dialecte auquel elle est venue se superposer et qu’elle a remplacé plus ou moins complètement. Quoi qu’il en soit, les différences dont nous parlons sont naturellement beaucoup plus sensibles d’un peuple à un autre : s’il peut y avoir plusieurs façons de parler une langue, c’est-à-dire, au fond, de penser en se servant de cette langue, il y a sûrement une façon de penser spéciale qui s’exprime normalement dans chaque langue distincte ; et la différence atteint en quelque sorte son maximum pour des langues très différentes les unes des autres à tous égards, ou même pour des langues apparentées philologiquement, mais adaptées à des mentalités et à des civilisations très diverses, car les rapprochements philologiques permettent beaucoup moins sûrement que les rapprochements mentaux l’établissement d’équivalences véritables. C’est pour ses raisons que, comme nous disions dès le début, la traduction la plus littérale n’est pas toujours la plus exacte au point de vue des idées, bien loin de là, et c’est pourquoi la connaissance purement grammaticale d’une langue est tout à fait insuffisante pour en donner la compréhension.

 

Quand nous parlons de l’éloignement des peuples et, par suite, de leurs langues, il faut d’ailleurs remarquer que ce peut être un éloignement dans le temps aussi bien que dans l’espace, de sorte que ce que nous venons de dire s’applique également à la compréhension des langues anciennes. Bien plus, pour un même peuple, s’il arrive que sa mentalité subisse au cours de son existence de notables modifications, non seulement des termes nouveaux se substituent dans sa langue à des termes anciens, mais aussi le sens des termes qui se maintiennent varie corrélativement aux changements mentaux, à tel point que, dans une langue qui est demeurée à peu près identique dans sa forme extérieure, les mêmes mots arrivent à ne plus répondre en réalité aux mêmes conceptions, et qu’il faudrait alors, pour en rétablir le sens, une véritable traduction, remplaçant des mots qui sont cependant encore en usage par d’autres mots tout différents ; la comparaison de la langue française du XVII° siècle et de celle de nos jours en fournirait de nombreux exemples. Nous devons ajouter que cela est vrai surtout des peuples occidentaux, dont la mentalité, ainsi que nous l’indiquions précédemment, est extrêmement instable et changeante ; et d’ailleurs il y a encore une raison décisive pour qu’un tel inconvénient ne se présente pas en Orient, ou du moins y soit réduit à son strict minimum : c’est qu’une démarcation très nette y est établie entre les langues vulgaires, qui varient forcément dans une certaine mesure pour répondre aux nécessités de l’usage courant, et les langues qui servent à l’exposition des doctrines, langues qui sont immuablement fixées, et que leur destination met à l’abri de toutes les variations contingentes, ce qui, du reste, diminue encore l’importance des considérations chronologiques.

 

(René Guénon, Introduction générale à l’étude des Doctrines Hindoues, Part.I, chap.VI : Difficultés linguistiques, p.51-57)

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