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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon : Difficultés linguistiques (2/2)

Coran.jpgOn aurait pu, jusqu’à un certain point, trouver quelque chose d’analogue en Europe à l’époque où le latin y était employé généralement pour l’enseignement et pour les échanges intellectuels; une langue qui sert à un tel usage ne peut être appelé une langue morte, mais elle est une langue fixée, et c’est précisément là  ce qui fait son grand avantage, sans parler de sa commodité pour les relations internationales, où les « langues auxiliaires » artificielles que préconisent les modernes échoueront fatalement. Si nous pouvons parler d’une fixité immuable, surtout en Orient, et pour l’exposition des doctrines dont l’essence est purement métaphysique, c’est qu’en effet ces doctrines n’ « évoluent » point au sens occidental de ce mot, ce qui rend parfaitement inapplicable pour elles l’emploi de toute « méthode historique » ; si étrange et si incompréhensible même que cela puisse paraître à des Occidentaux modernes, qui voudraient à toute force croire au « progrès » dans tous les domaines, c’est pourtant ainsi, et, faute de le reconnaître, on se condamne à ne jamais rien comprendre de l’Orient. Les doctrines métaphysiques n’ont pas à changer dans leur fond ni même à se perfectionner ; elles peuvent seulement se développer sous certains points de vue, en recevant des expressions qui sont plus particulièrement appropriées à chacun de ces points de vue, mais qui se maintiennent toujours dans un esprit rigoureusement traditionnel. S’il arrive par exception qu’il en soit autrement et qu’une déviation intellectuelle vienne à se produire dans un milieu plus ou moins restreint, cette déviation, si elle est vraiment grave, ne tarde pas à avoir pour conséquence l’abandon de la langue traditionnelle dans le milieu en question, où elle est remplacée par un idiome d’origine vulgaire, mais qui en acquiert à son tour une certaine fixité relative, parce que la doctrine dissidente tend spontanément à se poser en tradition indépendante, bien qu’évidemment dépourvue de toute autorité régulière. L’Oriental, même sorti des vois normales de son intellectualité, ne peut vivre sans une tradition ou quelque chose qui en tienne lieu, et nous essaierons de faire comprendre par la suite tout ce qu’est pour lui la tradition sous ses divers aspects ; il y a là, d’ailleurs, une des causes profondes de son mépris pour l’Occidental, qui se présente trop souvent à lui comme un être dépourvu de toute attache traditionnelle.

 

Pour prendre maintenant sous un autre point de vue, et comme dans leur principe même, les difficultés que nous voulions signaler spécialement dans le présent chapitre, nous pouvons dire que toute expression quelconque est nécessairement imparfaite en elle-même, parce qu’elle limite et restreint les conceptions pour les enfermer dans une forme définie qui ne peut jamais leur être complètement adéquate, la conception contenant toujours quelque chose de plus que son expression, et même immensément plus lorsqu’il s’agit de conceptions métaphysiques, qui doivent toujours faire la part de l’inexprimable, parce qu’il est de leur essence même de s’ouvrir sur des possibilités illimitées. Le passage d’une langue à une autre, forcément moins bien adaptée que la première, ne fait en somme qu’aggraver cette imperfection originelle et inévitable ; mais, lorsqu’on est parvenu à saisir en quelque sorte la conception elle-même à travers son expression primitive, en s’identifiant autant qu’il est possible à la mentalité de celui ou de ceux qui l’ont pensée, il est clair qu’on peut toujours remédier dans une large mesure à cet inconvénient, en donnant une interprétation qui, pour être intelligible, devra être un commentaire beaucoup plus qu’une traduction littérale pure et simple. Toute la différence réelle réside donc, au fond, dans l’identification mentale qui est requise pour parvenir à ce résultat ; il en est, très certainement, qui y sont complètement inaptes, et l’on voit combien cela dépasse la portée des travaux de simple érudition. C’est là la seule façon d’étudier les doctrines qui puisse être vraiment profitable ; pour les comprendre, il faut pour ainsi dire les étudier du « dedans », tandis que les orientalistes se sont toujours bornés à les considérer du « dehors ».

 

Le genre de travail dont il s’agit ici est relativement plus facile pour les doctrines qui se sont transmises régulièrement jusqu’à notre époque, et qui ont encore des interprètes autorisés, que pour celles dont l’expression écrite ou figurée nous est seule parvenue, sans être accompagnée de la tradition orale depuis longtemps éteinte. Il est d’autant plus fâcheux que les orientalistes se soient toujours obstinés à négliger, avec un parti pris peut-être involontaire pour une part, mais par là même plus invincible, cet avantage qui leur était offert, à eux qui se proposent d’étudier des civilisations qui subsistent encore, à l’exclusion de ceux dont les recherches portent sur des civilisations disparues. Pourtant comme nous l’indiquions déjà plus haut, ces derniers eux-mêmes, les égyptologues et les assyriologues par exemple, pouvaient s’éviter bien des méprises s’ils avaient une connaissance plus étendue de la mentalité humaine et des diverses modalités dont elle est susceptible ; mais une telle connaissance ne serait précisément possible que par l’étude vraie des doctrines orientales, qui rendrait ainsi, indirectement tout au moins, d’immenses services à toutes les branches de l’étude de l’antiquité. Seulement, même pour un objet qui est loin d’être le plus important à nos yeux, il ne faudrait pas s’enfermer dans une érudition qui n’a par elle-même qu’un fort médiocre intérêt, mais qui est sans doute le seul domaine où puisse s’exercer sans trop d’inconvénients l’activité de ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas sortir des étroites limites de la mentalité occidentale moderne. C’est là, nous le répétons encore une fois, la raison essentielle qui rend les travaux des orientalistes absolument insuffisants pour permettre la compréhension d’une idée quelconque, et en même temps complètement inutiles, sinon même nuisibles en certains cas, pour un rapprochement intellectuel entre l’Orient et l’Occident.

 

(René Guénon, Introduction générale à l’étude des Doctrines Hindoues, Part.I, chap.VI : Difficultés linguistiques, p.51-57)

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