La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.
6 Novembre 2010
Ce qui est assez étrange, c’est que certains semblent ne considérer les idées éternelles que comme de simples « virtualités » par rapport aux êtres manifestés
dont elles sont les « archétypes » principiels ; il y a là une illusion qui est sans doute due surtout à la distinction vulgaire du « possible » et du « réel »,
distinction qui, comme nous l’avons expliqué ailleurs (3), ne saurait avoir la moindre valeur au point de vue métaphysique. Cette illusion est d’autant plus grave qu’elle entraine une véritable
contradiction, et il est difficile de comprendre qu’on puisse ne pas s’en apercevoir ; en effet, il ne peut rien y avoir de virtuel dans le Principe, mais bien au contraire, la permanente
actualité de toutes choses dans un « éternel présent », et c’est cette actualité même qui constitue l’unique fondement réel de toute existence. Pourtant, il en est qui poussent la
méprise si loin qui paraissent ne regarder les idées éternelles que comme des sortes d’images (ce qui, remarquons-le implique encore une autre contradiction en prétendant introduire quelque chose
de formel jusque dans le Principe), n’ayant pas avec les êtres eux-mêmes un rapport plus effectif que ne peut avoir leur image réfléchie dans un miroir ; c’est-là, à proprement parler, un
renversement complet des rapports du Principe avec la manifestation, et la chose est même trop évidente pour avoir besoin de plus amples explications. La vérité est assurément fort éloignée de
toutes ces conceptions erronées : l’idée dont il s’agit est le principe même de l’être, c’est-à-dire ce qui fait toute sa réalité, et sans quoi il ne serait qu’un pur néant ; soutenir
le contraire revient à couper tout lien entre l’être manifesté et le Principe, et, si l’on attribue en même temps à cet être une existence réelle, cette existence, qu’on le veuille ou non, ne
pourra qu’être indépendante du Principe, de sorte que, comme nous l’avons déjà dit en une autre occasion (4), on aboutit ainsi inévitablement à l’erreur de l’ « association ». Dès
lors qu’on reconnaît que l’existence des êtres manifestés, dans tout ce qu’elle a de réalité positive, ne peut être rien d’autre qu’une « participation » de l’être principiel, il ne
saurait y avoir le moindre doute là-dessus ; si l’on admettait à la fois cette « participation » et la prétendue « virtualité » des idées éternelles, ce serait encore là
une contradiction de plus. En fait, ce qui est virtuel, ce n’est point notre réalité dans le Principe, mais seulement la conscience que nous pouvons en avoir en tant qu’êtres manifestés, ce qui
est évidemment tout à fait autre chose ; et ce n’est que par la réalisation métaphysique que peut être rendue effective cette conscience de ce qui est notre être véritable, en dehors et
au-delà de tout « devenir », c’est-à-dire la conscience, non pas de quelque chose qui passerait en quelque sorte par là de la « puissance » à l’ »acte », mais bien
de ce que , au sens le plus absolument réel qui puisse être, nous sommes principiellement et éternellement.
Maintenant, pour rattacher ce que nous venons de dire des idées éternelles à ce qui se rapporte à l’intellect manifesté, il faut naturellement revenir encore à la doctrine du sutrâtmâ, quelle que soit d’ailleurs la forme sous laquelle on l’exprimera, car les différents symbolismes employés traditionnellement à cet égard sont parfaitement équivalents au fond. Ainsi, en reprenant la représentation à laquelle nous avons déjà recouru précédemment, on pourra dire que l’Intellect divin est le Soleil spirituel, tandis que l’intellect manifesté en est un rayon (5) ; et il ne peut pas y avoir plus de discontinuité entre le Principe et la manifestation qu’il n’y en a entre le Soleil et ses rayons (6). C’est donc bien par l’intellect que tout être, dans tous ses états de manifestation, est rattaché directement au Principe, et cela parce que le Principe, en tant qu’il contient éternellement la « vérité » de tous les êtres, n’est lui-même pas autre chose que l’Intellect divin (7).
(3) Voir Les Etats multiples de l’être, chap.II.
(4) Voir « Les ‘racines des plantes’ », dans Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. LXII.
(5) Ce rayon sera d’ailleurs unique en réalité tant que Buddhi sera envisagé dans l’Universel (c’est alors le « pied unique du Soleil » dont il est parlé aussi dans la tradition hindoue), mais il se multipliera indéfiniment en apparence par rapport aux êtres particuliers (le rayon sushumna par lequel chaque être, dans quelque état qu’il soit situé, est relié d’une façon permanente au Soleil spirituel).
(6) Ce sont ces rayons qui, suivant le symbolisme que nous avons exposé ailleurs, réalisent la manifestation en la « mesurant » par leur extension effective à partir du Soleil (voir Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, chap.III).
(7) Dans les termes de la tradition islamique, el-haqîqah ou la « vérité » de chaque être, quel qu’il soit, réside dans le Principe divin en tant que celui-ci est lui-même El-Haqq ou la « Vérité » au sens absolu.
(René Guénon, Les Idées éternelles, Etudes Traditionnelles, sept.1947).