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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels 1/7

Les Occidentaux, malgré la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur civilisation, sentent bien que leur domination sur le reste du monde est loin d’être assurée d’une manière définitive, qu’elle peut-être à la merci d’événements qu’il leur est impossible de prévoir et à plus forte raison d’empêcher.

 

Seulement, ce qu’ils ne veulent pas voir, c’est que la cause principale des dangers qui les menacent réside dans le caractère même de la civilisation européenne : tout ce qui ne s’appuie que sur l’ordre matériel, comme c’est le cas, ne saurait avoir qu’une réussite passagère ; le changement, qui est la loi de ce domaine essentiellement instable, peut avoir les pires conséquences à tous égards, et cela avec une rapidité d’autant plus foudroyante que la vitesse acquise est plus grande ; l’excès même du progrès matériel risque fort d’aboutir à quelque cataclysme.

 

Que l’on songe à l’incessant perfectionnement des moyens de destruction, au rôle de plus en plus considérable qu’ils jouent dans les guerres modernes, aux perspectives peu rassurantes que certaines inventions ouvrent pour l’avenir, et l’on ne sera guère tenté de nier une telle possibilité ; du reste, les machines qui sont expressément destinées à tuer ne sont pas les seules dangereuses.

 

Au point où les choses en sont arrivées maintenant, il n’est pas besoin de beaucoup d’imagination pour se représenter l’Occident finissant par se détruire lui-même, soit dans une guerre gigantesque dont la dernière ne donne encore qu’une faible idée, soit par les effets imprévus de quelque produit qui, manipulé maladroitement, serait capable de faire sauter, non plus une usine ou une ville, mais tout un continent. Certes, il est encore permis d’espérer que l’Europe et même l’Amérique s’arrêteront dans cette voie et se ressaisiront avant d’en être venues à de telles extrémités ; de moindre catastrophes peuvent leur être utiles d’avertissements et, par la crainte qu’elles inspireront, provoquer l’arrêt de cette course vertigineuse qui ne peut mener qu’à un abîme. Cela est possible, surtout s’il y joint quelques déceptions sentimentales un peu trop fortes, propres à détruire dans la masse l’illusion du « progrès moral » ; le développement excessif du sentimentalisme pourrait donc contribuer aussi à ce résultat salutaire, et il le faut bien si l’Occident, livré à lui-même, ne doit trouver que dans sa propre mentalité les moyens d’une réaction qui deviendra nécessaire tôt ou tard. Tout cela, d’ailleurs, ne suffirait point pour imprimer à la civilisation occidentale, à ce moment même, une autre direction, et, comme l’équilibre n’est guère réalisable dans de telles conditions, il y aurait encore lieu de redouter un retour à la barbarie pure et simple, conséquence assez naturelle de la négation de l’intellectualité.

 

Quoi qu’il en soit de ces prévisions peut-être lointaines, les Occidentaux d’aujourd’hui en sont encore à se persuader que le progrès, ou ce qu’ils appellent ainsi peut et doit être continu et indéfini ; s’illusionnant plus que jamais sur leur propre compte, ils se sont donnés à eux-mêmes la mission de faire pénétrer ce progrès partout, en l’imposant au besoin par la force aux peuples qui ont le tort, impardonnable à leurs yeux, de ne pas l’accepter avec empressement. Cette fureur de propagande, à laquelle nous avons déjà fait allusion, est fort dangereuse pour tout le monde, mais surtout pour les Occidentaux eux-mêmes, qu’elle fait craindre et détester ; l’esprit de conquête n’avait jamais été poussé aussi loin, et surtout il ne s’était jamais déguisé sous ces dehors hypocrites qui sont le propre du « moralisme » moderne. L’Occident oublie, d’ailleurs, qu’il n’avait aucune existence historique à une époque où les civilisations orientales avaient déjà atteint leur plein développement (1) ; avec ses prétentions, il apparaît aux Orientaux comme un enfant qui, fier d’avoir acquis rapidement quelques connaissances rudimentaires, se croirait en possession du savoir total et voudrait l’enseigner à des vieillards remplis de sagesse et d’expérience. Ce ne serait là qu’un travers inoffensif, et dont il n’y aurait qu’à sourire, si les Occidentaux n’avaient à leur disposition la force brutale ; mais l’emploi qu’ils font de celle-ci change entièrement la face des choses, car c’est là qu’est le véritable danger pour ceux qui, bien involontairement, entrent en contact avec eux, et non dans une « assimilation » qu’ils sont parfaitement incapables de réaliser, n’étant ni intellectuellement ni même physiquement qualifiés pour y parvenir.

 

(1) Il est possible qu’il y ait cependant des civilisations occidentales antérieures, mais celle d’aujourd’hui n’est point l’héritière, et leur souvenir même est perdu ; nous n’avons donc pas à nous en préoccuper ici.

 

En effet, les peuples européens, sans doute parce qu’ils sont formés d’éléments hétérogènes et ne constituent pas une race à proprement parler, sont ceux dont les caractères ethniques sont les moins stables et disparaissent le plus rapidement en se mêlant à d’autres races ; partout où il se produit de tels mélanges, c’est toujours l’Occidental qui est absorbé, bien loin d’absorber les autres. Quant au point de vue intellectuel, les considérations que nous avons exposées jusqu’ici nous dispensent d’y insister ; une civilisation qui est sans cesse en mouvement, qui n’a ni tradition ni principe profond, ne peut évidemment exercer une influence réelle sur celles qui possèdent précisément tout ce qui lui manque à elle-même ; et, si l’influence inverse ne s’exerce pas davantage en fait, c’est seulement , c’est seulement parce que les Occidentaux sont incapables de comprendre ce qui leur est étranger : leur impénétrabilité, à cet égard, n’a d’autre cause qu’une infériorité mentale, tandis que celle des Orientaux est faite d’intellectualité pure.

 

(René Guénon, Orient et occident, 1924, Ed. Vega 1976-2006, chap.IV : Terreurs chimériques et dangers réels, p.97-117)

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