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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels 2/7

Il est des vérités qu’il est nécessaire de dire et de redire avec insistance, si déplaisantes qu’elles soient pour beaucoup de gens : toutes les supériorités dont se targuent les Occidentaux sont purement imaginaires, à l’exception de la seule supériorité matérielle ; celle-là n’est que trop réelle, personne ne la leur conteste, et, au fond, personne ne la leur envie non plus ; mais le malheur est qu’ils en abusent. Pour quiconque a le courage de voir les choses telles qu’elles sont, la conquête coloniale ne peut, pas plus qu’aucune autre conquête par les armes, sur un autre droit que celui de la force brutale ; qu’on invoque la nécessité, pour un peuple qui se trouve trop à l’étroit chez lui, d’étendre son champ d’activité, et qu’on dise qu’il ne peut le faire qu’aux dépens de ceux qui sont trop faibles pour lui résister, nous le voulons bien, et nous ne voyons même pas comment on pourrait empêcher des choses de ce genre se produisent ; mais que, du moins, on ne prétende pas faire intervenir là-dedans les intérêts de la « civilisation », qui n’ont rien à y voir. C’est-là ce que nous appelons l’hypocrisie « moraliste » : inconsciente dans la masse, qui ne fait jamais qu’accepter docilement les idées qu’on lui inculque, elle ne doit pas l’être chez tous au même degré, et nous ne pouvons admettre que les hommes d’Etat, en particulier, soient dupes de la phraséologie qu’ils emploient.

 

Lorsqu’une nation européenne s’empare d’un pays quelconque, ne fût-il habité que par des tribus vraiment barbares, on ne nous fera pas croire que c’est pour avoir le plaisir ou l’honneur de « civiliser » ces pauvres gens, qui ne l’ont point demandé, qu’on entreprend une expédition coûteuse, puis des travaux de toute sortes ; il faut être bien naïf pour ne pas se rendre compte que le vrai mobile est tout autre, qu’il réside dans l’espérance de profits tangibles. Ce dont il s’agit avant tout, quels que soient les prétextes invoqués, c’est d’exploiter le pays, et bien souvent, si on le peut, ses habitants en même temps, car on ne saurait tolérer qu’ils continuent à y vivre à leur guise, même s’ils sont peu gênants ; mais, comme ce mot d’ « exploiter » sonne mal, cela s’appelle, dans le langage moderne « mettre en valeur » un pays : c’est la même chose,mais il suffit de changer le mot pour que cela ne change plus la sensibilité commune.

 

Naturellement, quand la conquête est accomplie, les Européens donnent libre cours à leur prosélytisme, puisque c’est pour eux un véritable besoin ; chaque peuple y apporte son tempérament spécial, les uns le font brutalement, les autres avec plus de ménagements, et cette dernière attitude, alors même qu’elle n’est point l’effet d’un calcul, est sans doute la plus habile. Quand aux résultats obtenus, on oublie toujours que la civilisation de certains peuples n’est pas faite pour les autres, dont la mentalité est différente ; lorsqu’on a affaire à des sauvages, le mal n’est peut-être pas bien grand, et pourtant, en adoptant le dehors de la civilisation européenne (car cela reste bien superficiel), ils sont généralement plus portés à en imiter les mauvais côtés qu’à prendre ce qu’elle peut avoir de bon. Nous ne voulons pas insister sur cet aspect de la question, que nous n’envisageons qu’incidemment ; ce qui est autrement grave, c’est que les Européens, quand ils se trouvent en présence de peuples civilisés, se comportent avec eux comme s’ils avaient affaire à des sauvages, et c’est alors qu’ils se rendent vraiment insupportables ; et nous ne parlons pas seulement des gens peu recommandables parmi lesquels colons et fonctionnaires se recrutent trop souvent, nous parlons des Européens presque sans exception.

 

C’est un étrange état d’esprit, surtout chez des hommes qui parlent sans cesse de « droit » et de « liberté », que celui qui les porte à dénier aux civilisations autres que la leur le droit à une existence ; c’est là tout ce qu’on leur demanderait dans bien des cas, et ce n’est pas se montrer trop exigeant ; il est des Orientaux qui, à cette seule condition, s’accommoderaient même d’une administration étrangère, tellement le souci des contingences matérielles existe peu pour eux ; ce n’est que lorsqu’elle s’attaque à leurs institutions traditionnelles que la domination européenne leur devient intolérable. Mais c’est justement à cet esprit traditionnel que les Occidentaux s’en prennent avant tout, parce qu’ils le craignent d’autant plus qu’ils le comprennent moins, en étant eux-mêmes dépourvus ; les hommes de cette sorte ont peur instinctivement de tout ce qui les dépasse ; toutes leurs tentatives à cet égard demeureront toujours vaines, car il y là une force dont ils ne soupçonnent pas l’immensité ; mais, si leur indiscrétion leur attire certaines mésaventures, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

 

(René Guénon, Orient et occident, 1924, Ed. Vega 1976-2006, chap.IV : Terreurs chimériques et dangers réels, p.97-117)

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