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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels 3/7

On ne voit pas, du reste, au nom de quoi ils veulent obliger tout le monde à s’intéresser exclusivement à ce qui les intéresse, à mettre les préoccupations économiques au premier rang, ou adopter le régime politique qui a leurs préférences, et qui, même en admettant qu’il soit le meilleur pour certains peuples, ne l’est pas nécessairement pour tous ; et le plus extraordinaire, c’est qu’ils ont de semblables prétentions, non seulement vis-à-vis de ceux chez lesquels ils sont parvenus à s’introduire et à s’installer tout en ayant l’air de respecter leur indépendance ; en fait ils étendent cette prétention à l’humanité tout entière.

 

S’il en était autrement, il n’y aurait pas, en général, de préventions ni d’hostilité systématique contre les Occidentaux ; leurs relations avec les autres hommes seraient ce que sont les relations normales entre peuples différents, on les prendrait pour ce qu’ils sont, avec les qualités et les défauts qui leurs sont propres, et, tout en regrettant peut-être de ne pouvoir entretenir avec eux des relations intellectuelles vraiment intéressantes, on ne chercherait guère à les changer, car les Orientaux ne font point de prosélytisme. Ceux mêmes d’entre les Orientaux qui passent pour être les plus fermés à tout ce qui est étranger, les Chinois, par exemple, verraient sans répugnance des Européens venir individuellement s’établir chez eux pour y faire du commerce, s’ils ne savaient trop bien, pour en avoir fait la triste expérience, à quoi ils s’exposent en les laissant faire, et quels empiètement sont bientôt la conséquence de ce qui, au début, semblait le plus inoffensif.

 

Les Chinois sont le peuple le plus profondément pacifique qui existe ; nous disons pacifique et non « pacifiste », car ils n’éprouvent point le besoin de faire là-dessus de grandiloquentes théories humanitaires : la guerre répugne à leur tempérament , et voilà tout. Si c’est là une faiblesse en un certain sens relatif, il y a, dans la nature même de la race chinoise, une force d’un autre ordre qui en compense les effets, et dont la conscience contribue sans doute à rendre possible cet état d’esprit pacifique ; cette race est dotée d’un tel pouvoir d’absorption qu’elle a toujours assimilé tous ses conquérants successifs, et avec une incroyable rapidité ; l’histoire est là pour le prouver. Dans de pareilles conditions, rien ne saurait être plus ridicule que la chimérique terreur du « péril jaune », inventé jadis par Guillaume II, qui le symbolisa même dans un de ses tableaux à prétentions mystiques qu’il se plaisait à peindre pour occuper ses loisirs ; il faut toute l’ignorance de la plupart des Occidentaux, et leur incapacité à concevoir combien les autres hommes sont différents d’eux, pour en arriver à s’imaginer le peuple chinois se levant en armes pour marcher à la conquête de l’Europe ; une invasion chinoise, si elle devait jamais avoir lieu, ne pourrait être qu’une pénétration pacifique, et ce n’est pas là, en tout cas, un danger bien imminent. Il est vrai que si les Chinois avaient la mentalité occidentale, les inepties odieuses qu’on débite publiquement sur leur compte en toute occasion auraient largement suffi pour les inciter à envoyer des expéditions en Europe ; il n’en faut pas tant pour servir de prétexte à une intervention armée de la part des Occidentaux, mais ces choses laissent les Orientaux parfaitement indifférents.

 

On n’a jamais, à notre connaissance, osé dire la vérité sur la genèse des évènements qui se produisirent en 1900 ; la voici en quelques mots : le territoire des légations européennes à Pékin est soustrait à la juridiction des autorités chinoises ; or il s’était formé dans les dépendances de la légation allemande, un véritable repaire de voleurs, clients de la mission luthérienne, qui se répandaient de là dans la ville, pillaient tant qu’ils pouvaient, puis, avec leur butin, se repliaient dans leur refuge où, nul n’ayant le droit de les poursuivre, ils étaient assurés de l’impunité ; la population finit par être exaspérée et menaça d’envahir le territoire de la légation pour s’emparer des malfaiteurs qui s’y trouvaient ; le ministre d’Allemagne voulut s’y opposer et se mit à haranguer la foule, mais il ne réussit qu’à se faire tuer dans la bagarre ;pour venger cet outrage, une expédition fut organisée sans tarder, et le plus curieux est que tous les Etats européens, même l’Angleterre, s’y laissèrent entraîner à la suite de l’Allemagne ; le spectre du « péril jaune » avait du moins servi à quelque chose en cette circonstance. Il va sans dire que les belligérants retirèrent de leur intervention des bénéfices appréciables, surtout au point de vue économique ; et même il n’y eut pas que les Etats qui profitèrent de l’aventure : nous connaissons des personnages qui ont acquis des situations fort avantageuses pour avoir fait la guerre… dans les caves des légations ; il ne faudrait pas aller dire à ceux-là que le « péril jaune » n’est pas une réalité !

 

(René Guénon, Orient et occident, 1924, Ed. Vega 1976-2006, chap.IV : Terreurs chimériques et dangers réels, p.97-117)

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