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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

Orient et Occident : terreurs chimériques et dangers réels 5/7

En dehors des exceptions individuelles dont il vient d’être question, et aussi de l’exception collective qui est constituée par le Japon, le progrès matériel n’intéresse vraiment personne dans les pays orientaux, où on lui reconnaît peu d’avantages réels et beaucoup d’inconvénients ; mais il y a, à son égard, deux attitudes différentes, qui peuvent même sembler opposées extérieurement, et qui procèdent pourtant d’un même esprit. Les uns ne veulent à aucun prix entendre parler de ce prétendu progrès et, se renfermant dans une attitude de résistance purement passive, continuent à se comporter comme s’il n’existait pas ; les autres préfèrent accepter transitoirement ce progrès, tout en ne le regardant que comme une nécessité fâcheuse imposée par des circonstances qui n’auront qu’un temps, et uniquement parce qu’ils voient, dans les instruments qu’il peut mettre à leur disposition, un moyen de résister plus efficacement à la domination occidentale et d’en hâter la fin. Ces deux courants existent partout, en Chine, dans l’Inde et dans les pays musulmans ; si le second paraît actuellement tendre à l’emporter généralement sur le premier, il faudrait bien se garder d’en conclure qu’il y ait aucun changement profond dans la manière d’être de l’Orient ; toute la différence se réduit à une simple question d’opportunité, et ce n’est pas de là que peut venir un rapprochement réel avec l’Occident, bien au contraire.

 

Les Orientaux qui veulent provoquer dans leur pays un développement industriel leur permettant de lutter désormais sans désavantage avec les peuples européens, sur le terrain même où ceux-ci déploient toutes leurs activité, ces Orientaux, disons-nous, ne renoncent pour cela à rien de ce qui est l’essentiel de leur civilisation ; de plus, la concurrence économique ne pourra être qu’une source de nouveaux conflits, si un accord ne s’établit pas dans un autre domaine et à un point de vue plus élevé. Il est cependant quelques Orientaux, bien peu nombreux, qui en sont arriver à penser ceci : puisque les Occidentaux sont décidément réfractaires à l’intellectualité, qu’il n’en soit plus question ; mais on pourrait peut-être établir malgré tout, avec certains peuples de l’Occident, des relations amicales limitées au domaine purement économique. Cela est une illusion : ou l’on commencera par s’entendre sur les principes, et toutes les difficultés secondaires s’aplaniront ensuite comme d’elles-mêmes, ou l’on ne parviendra jamais à s’entendre vraiment sur rien : et c’est à l’Occident seul qu’il appartient de le faire, s’il le peut, les premiers pas dans la voie d’un rapprochement effectif, parce que c’est de l’incompréhension dont il a fait preuve jusqu’ici que viennent en réalité tous les obstacles.

 

Il serait à souhaiter que les Occidentaux, se résignant enfin à voir la cause des plus dangereux malentendus là ou elle est, c’est-à-dire en eux-mêmes, se débarrassent de ces terreurs ridicules dont le trop fameux « péril jaune » est assurément le plus bel exemple. On a coutume aussi d’agiter à tort et à travers le spectre du « panislamisme » ; ici, la crainte est sans doute moins absolument dénuée de fondement, car les peuples musulmans, occupant une situation intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, ont à la fois certains traits de l’un et de l’autre, et ils ont notamment un esprit beaucoup plus combatif que celui des pures Orientaux ; mais enfin il ne faut rien exagérer. Le vrai panislamisme est avant tout une affirmation de principe, d’un caractère essentiellement doctrinal ; pour qu’il prenne la forme d’une revendication politique, il faut que les Européens aient commis bien des maladresses ; en tout cas, il n’a rien de commun avec un « nationalisme » quelconque, qui est tout à fait incompatible avec les conceptions fondamentales de l’Islam. En somme, dans bien des cas (et nous pensons ici à l’Afrique du Nord), une politique d’ « association » bien comprise, respectant intégralement la législation islamique, et impliquant une renonciation définitive à toute tentative d’ « assimilation », suffirait probablement à écarter le danger, si danger il y a ; quand on songe que les conditions imposées pour obtenir la naturalisation française équivalent tout simplement à une abjuration (et il y aurait bien d’autres faits à citer dans le même ordre), on ne peut s’étonner qu’il y ait fréquemment des heurts et des difficultés qu’une plus juste compréhension des choses pourrait éviter très aisément ; mais, encore une fois, c’est précisément cette compréhension qui manque tout à fait aux Européens.

 

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la civilisation islamique, dans tous ses éléments essentiels, est rigoureusement traditionnelle, comme le sont toutes les civilisations orientales ; cette raison est pleinement suffisante pour que le panislamisme, quelque forme qu’il revête, ne puisse jamais s’identifier avec un mouvement tel que le bolchevisme, comme semblent le redouter des gens mal informés. Nous ne voudrions aucunement formuler ici une appréciation quelconque sur le bolchevisme russe, car il est bien difficile de savoir à quoi s’en tenir là-dessus : il est probable que la réalité est assez différente de ce qu’on en dit couramment, et plus complexe qu’adversaires et partisans ne le pensent ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que ce mouvement est nettement antitraditionnel, donc d’esprit entièrement moderne et occidental. Il est profondément ridicule de prétendre opposer à l’esprit occidental la mentalité allemande ou même russe, et nous ne savons quel sens les mots peuvent avoir pour ceux qui soutiennent une telle forme d’opinion, non plus que pour ceux qui qualifient le bolchevisme d’ « asiatique » ; en fait, l’Allemagne est au contraire un des pays où l’esprit occidental est porté à son degré le plus extrême ; et, quant aux Russes, même s’ils ont quelques traits extérieurs des Orientaux, ils en sont aussi éloignés intellectuellement qu’il est possible.

 

(René Guénon, Orient et occident, 1924, Ed. Vega 1976-2006, chap.IV : Terreurs chimériques et dangers réels, p.97-117)

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