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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon et la politique

René Guénon et la politique

MISES AU POINT

Voile d’Isis, avril 1933, P. S. : « – Nous prions nos correspondants de s’abstenir de nous poser des questions touchant de près ou de loin au domaine de la politique, que nous ignorons totalement et auquel nous entendons demeurer absolument étranger. »

Voile d’Isis, mars 1935, P. S. : « – Nous rappellerons encore une fois que tout ce qui touche de près ou de loin à la politique nous est absolument étranger ; et nous désavouons par avance toute conséquence de cet ordre que quiconque prétendrait tirer de nos écrits, dans quelque sens que ce soit. D’autre part, nous devons prier nos correspondants de nous excuser si nous ne pouvons leur répondre. »

Voile d’Isis, Février 1931. Compte-rendu : « Or, et tout ce que nous avons écrit le prouve surabondamment, nous n’avons que la plus parfaite indifférence pour la politique et tout ce qui s’y rattache de près ou de loin, et nous n’exagérons rien en disant que les choses qui ne relèvent pas de l’ordre spirituel ne comptent pas pour nous ; qu’on estime d’ailleurs qu’en cela nous ayons tort ou raison, peu importe, le fait incontestable est que c’est ainsi et non autrement. »

Études Traditionnelles, 1936. Compte-rendu d’un article paru dans Atlantis (févr. 1936) : « – D’autre part, revenant à la question Italie et Éthiopie, M. paul le cour, au milieu de fantaisies diverses, éprouve le besoin de nous nommer, d’une façon qui paraît vouloir sous-entendre nous ne savons trop quelles insinuations ; pour y couper court en tout état de cause, nous redirons encore une fois : 1° que « nos doctrines » n’existent pas, pour la bonne raison que nous n’avons jamais fait autre chose que d’exposer de notre mieux les doctrines traditionnelles, qui ne sauraient être la propriété de personne ; 2° que chacun est naturellement libre de citer nos écrits, à la condition de le faire « honnêtement » c’est-à-dire sans les déformer, et que cela n’implique de notre part ni approbation ni désapprobation des conceptions particulières de celui qui les cite ; 3° que le domaine de la politique nous étant absolument étranger, nous refusons formellement de nous associer à toute conséquence de cet ordre qu’on prétendrait tirer de nos écrits, dans quelque sens que ce soit, et que par conséquent, à supposer que la chose se produise, nous n’en serons assurément pas plus responsable, aux yeux de toute personne de bonne foi et de jugement sain, que nous ne le sommes de certaines phrases que nous a parfois attribuées gratuitement la trop fertile imagination de M. paul le cour lui-même ! »

Voile d’Isis, Mai 1932. Réponse à l’article de la RISS, Les « Grands Serviteurs intellectuels » occultes ou une esquisse des positions de M. René Guénon : « Ainsi, chacun sait que notre œuvre n’est nullement « philosophique », et encore moins « historico-sociale »… nous n’en aurions pas fini si nous devions attacher une importance quelconque à tous les grades ou titres dont nous gratifièrent jadis de multiples organisations, parmi lesquelles il en est qui n’existèrent probablement jamais que sur le papier… Si nous avons dû, à une certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieux, c’est pour des raisons qui ne regardent que nous seul ; et de plus, actuellement, pour d’autres raisons dont nous n’avons pas davantage à rendre compte, nous ne sommes membres d’aucune organisation occidentale, de quelque nature qu’elle soit, et nous mettons quiconque au défi d’apporter à l’assertion contraire la moindre justification. Si nous avons répondu favorablement à certaines demandes de collaboration (demandes expresses à nous adressées, et non pas « infiltrations » de notre part, ce qui serait absolument incompatible avec notre caractère), de quelque côté qu’elles soient venues, cela est encore exclusivement notre affaire ; et, quelles que soient les publications où aient paru des articles de nous, que ce soit « en même temps » ou non, nous y avons toujours exposé exactement les mêmes idées, sur lesquelles nous n’avons jamais varié… Au surplus, nous ne sommes le « serviteur » de personne ni de rien, si ce n’est de la Vérité ; nous ne demandons rien à qui que ce soit, nous ne travaillons « pour le compte » de personne, et nous nous passons de tout « appui » ; nous avons donc le droit absolu de vivre comme bon nous semble et de résider où il nous convient, sans que nul ait rien à y voir, et nous ne sommes aucunement disposé à admettre la moindre ingérence dans ce domaine. Notre œuvre est d’ailleurs rigoureusement indépendante de toute considération individuelle, et n’a par conséquent rien à faire avec ces choses qui ne peuvent véritablement intéresser personne ; et nous ajoutons même que nous ne voyons pas du tout pourquoi nous serions obligé de vivre toujours dans la peau d’un même personnage, qu’il s’appelle « René Guénon » ou autrement… Enfin, nous avons eu la stupéfaction d’apprendre que nous avions « de nombreux amis », en Allemagne ; nous étions loin de nous en douter, car ils ont toujours négligé de se faire connaître à nous, et il se trouve justement que c’est un des rares pays où nous n’ayons aucune relation ; notre policier ne pouvait plus mal tomber ! D’ailleurs, même si cela était, ce ne serait nullement là une raison pour « nous orienter vers l’Allemagne », (ce qui serait plutôt nous « occidenter », comme dit l’autre), car elle ne nous intéresse pas plus que toute autre nation européenne ; d’abord la politique n’est point notre fait, et puis, vus de l’Orient, les peuples occidentaux se ressemblent tous terriblement… »

Études Traditionnelles, 1947. Réplique au « sieur Frank-Duquesne » : « Il y a encore quelques mots qui méritent d’être reproduits : « Dire que je vous ai fait publier une phrase antisémite dans les E. T. Comme vous avez marché ! » Nous ne comprenons pas trop bien quelle intention il peut y avoir là-dessous : la phrase en question ne peut être que celle dans laquelle nous parlions des « disputes hurlantes de la synagogue » ; c’est là une simple constatation de fait qui est à la portée de chacun, et que nous aurions pu tout aussi bien, si nous en avions eu l’occasion, exprimer indépendamment de toute intervention d’un F.-D. quelconque ; il n’y a d’ailleurs là rien de spécifiquement « antisémite » (la politique ne nous intéresse en aucune façon ni à aucun degré), mais, même s’il en avait été ainsi, nous ne voyons pas en quoi cela aurait pu être particulièrement gênant pour les E. T., qui assurément n’ont pas la moindre attache judaïque. »

La France Antimaçonnique, le 7 mai 1914. Dernière réponse à M. Gustave Bord, sous pseudonyme « Le Sphinx » : « On peut être « le très humble serviteur de ce qu’on croit être la vérité » sans éprouver pour cela le besoin de se nommer et de se faire connaître, et sans faire étalage d’« opinions politiques » (1) qu’on peut fort bien se dispenser d’avoir (et qu’alors on n’a pas à « cacher », puisqu’elles n’existent pas), parce qu’elles n’ont rien de commun avec « les droits de la vérité ». » Note : « (1) Nous nous gardons bien d’ajouter : « et religieuses » ; il y a là deux domaines qui devraient toujours rester nettement et profondément séparés, comme ils le sont d’ailleurs par leur nature même ; assimiler, même indirectement, la religion à une chose aussi contingente et illusoire que la politique, nous fait presque l’effet d’une sorte de sacrilège. »

La Crise du Monde Moderne (1927), chap. VIII - L’envahissement occidental : « D’ailleurs, nous devons dire à cette occasion que nous avons eu parfois quelque peine à faire admettre par des Orientaux que les exposés de tel ou tel orientaliste procédaient d’une incompréhension pure et simple, et non d’un parti pris conscient et volontaire, tellement on y sent cette même hostilité qui est inhérente à l’esprit antitraditionnel ; et nous demanderions volontiers à M. Massis s’il croit bien habile d’attaquer la tradition chez les autres quand on voudrait la restaurer dans son propre pays. Nous parlons d’habileté, parce que, au fond, toute la discussion est portée par lui sur un terrain politique ; pour nous qui nous plaçons à un tout autre point de vue, celui de l’intellectualité pure, la seule question qui se pose est une question de vérité ; mais ce point de vue est sans doute trop élevé et trop serein pour que les polémistes y puissent trouver leur satisfaction, et nous doutons même que, en tant que polémistes, le souci de la vérité puisse tenir une grande place dans leurs préoccupations. »

Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel (1929), Avant-propos : « Nous n’avons pas l’habitude, dans nos travaux, de nous référer à l’actualité immédiate, car ce que nous avons constamment en vue, ce sont les principes, qui sont, pourrait-on dire, d’une actualité permanente, parce qu’ils sont en dehors du temps ; et, même si nous sortons du domaine de la métaphysique pure pour envisager certaines applications, nous le faisons toujours de telle façon que ces applications conservent une portée tout à fait générale. C’est ce que nous ferons encore ici ; et, cependant, nous devons convenir que les considérations que nous allons exposer dans cette étude offrent en outre un certain intérêt plus particulier au moment présent, en raison des discussions qui se sont élevées en ces derniers temps sur la question des rapports de la religion et de la politique, question qui n’est qu’une forme spéciale prise, dans certaines conditions déterminées, par celle des rapports du spirituel et du temporel. Cela est vrai, mais ce serait une erreur de croire que ces considérations nous ont été plus ou moins inspirées par les incidents auxquels nous faisons allusion, ou que nous entendons les y rattacher directement, car ce serait là accorder une importance fort exagérée à des choses qui n’ont qu’un caractère purement épisodique et qui ne sauraient influer sur des conceptions dont la nature et l’origine sont en réalité d’un tout autre ordre. Comme nous nous efforçons toujours de dissiper par avance tous les malentendus qu’il nous est possible de prévoir, nous tenons à écarter avant tout, aussi nettement et aussi explicitement qu’il se peut, cette fausse interprétation que certains pourraient donner à notre pensée, soit par passion politique ou religieuse, ou en vertu de quelques idées préconçues, soit même par simple incompréhension du point de vue où nous nous plaçons. »

Études Traditionnelles, 1947. Compte-rendu : « – Dans une étude intitulée What is Civilization ? Albert Schweitzer Festschrift, M. Coomaraswamy prend pour point de départ la signification étymologique des mots « civilisation » et « politique », dérivés respectivement du latin civitas et du grec polis, qui l’un et l’autre signifient « cité ». Les cités humaines doivent, suivant toutes les conceptions traditionnelles, être constituées et régies selon le modèle de la « Cité divine », qui est par conséquent aussi celui de toute vraie civilisation, et qui peut elle-même être envisagée au double point de vue macrocosmique et microcosmique. Ceci conduit naturellement à l’interprétation de Purusha comme le véritable « citoyen » (purushaya, équivalent de civis), résidant au centre de l’être considéré comme Brahmapura ; nous pensons d’ailleurs avoir l’occasion de revenir plus amplement sur cette question. »

LA QUESTION DE LA DÉMOCRATIE

La Crise du Monde Moderne (1927), chap. VI - Le chaos social : « Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à n’importe quelle autre ; il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus « en vue » semble n’avoir qu’une importance très relative ; mais, comme il ne s’agit pas ici de démonter les rouages de ce qu’on pourrait appeler la « machine à gouverner », nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, étant ainsi à son image, car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause. »

La Crise du Monde Moderne (1927), chap. VI - Le chaos social : « Ceci nous amène immédiatement à dire en quoi l’idée que la majorité doit faire la loi est essentiellement erronée, car, même si cette idée, par la force des choses, est surtout théorique et ne peut correspondre à une réalité effective, il reste pourtant à expliquer comment elle a pu s’implanter dans l’esprit moderne, quelles sont les tendances de celui-ci auxquelles elle correspond et qu’elle satisfait au moins en apparence. Le défaut le plus visible, c’est celui-là même que nous indiquions à l’instant : l’avis de la majorité ne peut être que l’expression de l’incompétence, que celle-ci résulte d’ailleurs du manque d’intelligence ou de l’ignorance pure et simple ; on pourrait faire intervenir à ce propos certaines observations de « psychologie collective », et rappeler notamment ce fait assez connu que, dans une foule, l’ensemble des réactions mentales qui se produisent entre les individus composants aboutit à la formation d’une sorte de résultante qui est, non pas même au niveau de la moyenne, mais à celui des éléments les plus inférieurs. Il y aurait lieu aussi de faire remarquer, d’autre part, comment certains philosophes modernes ont voulu transporter dans l’ordre intellectuel la théorie « démocratique » qui fait prévaloir l’avis de la majorité, en faisant de ce qu’ils appellent le « consentement universel » un prétendu « critérium de la vérité » : en supposant même qu’il y ait effectivement une question sur laquelle tous les hommes soient d’accord, cet accord ne prouverait rien par lui-même ; mais, en outre, si cette unanimité existait vraiment, ce qui est d’autant plus douteux qu’il y a toujours beaucoup d’hommes qui n’ont aucune opinion sur une question quelconque et qui ne se la sont même jamais posée, il serait en tout cas impossible de la constater en fait, de sorte que ce qu’on invoque en faveur d’une opinion et comme signe de sa vérité se réduit à n’être que le consentement du plus grand nombre, et encore en se bornant à un milieu forcément très limité dans l’espace et dans le temps. Dans ce domaine, il apparaît encore plus clairement que la théorie manque de base, parce qu’il est plus facile de s’y soustraire à l’influence du sentiment, qui au contraire entre en jeu presque inévitablement lorsqu’il s’agit du domaine politique ; et c’est cette influence qui est un des principaux obstacles à la compréhension de certaines choses, même chez ceux qui auraient par ailleurs une capacité intellectuelle très largement suffisante pour parvenir sans peine à cette compréhension ; les impulsions émotives empêchent la réflexion, et c’est une des plus vulgaires habiletés de la politique que celle qui consiste à tirer parti de cette incompatibilité. »

L’ERREUR DU DÉTOURNEMENT POLITIQUE

Études Traditionnelles, octobre 1936. Tradition et traditionalisme : « Dès lors que tout ce qui est d’ordre purement humain ne saurait, pour cette raison même, être légitimement qualifié de traditionnel, il ne peut y avoir, par exemple, de « tradition philosophique », ni de « tradition scientifique » au sens moderne et profane de ce mot ; et, bien entendu, il ne peut y avoir non plus de « tradition politique », là du moins où toute organisation sociale vraiment traditionnelle fait défaut, ce qui est le cas du monde occidental actuel. Ce sont pourtant là quelques-unes des expressions qui sont employées couramment aujourd’hui, et qui constituent autant de dénaturations de l’idée de la tradition ; et il va de soi que, si les esprits « traditionalistes » dont nous parlions précédemment peuvent être amenés à laisser détourner leur activité vers l’un ou l’autre de ces domaines essentiellement contingents et à y limiter tous leurs efforts, leurs aspirations se trouveront ainsi « neutralisées » et rendues parfaitement inoffensives, si même elles ne sont parfois utilisées, à leur insu, dans un sens tout opposé à leurs intentions. »

Études Traditionnelles, octobre 1936. Tradition et traditionalisme : « Entre toutes les choses plus ou moins incohérentes qui s’agitent et se heurtent présentement, entre tous les « mouvements » extérieurs de quelque genre que ce soit, il n’y a donc nullement, au point de vue traditionnel ou même simplement « traditionaliste », à « prendre parti », suivant l’expression employée communément, car ce serait être dupe, et, les mêmes influences s’exerçant en réalité derrière tout cela, ce serait proprement faire leur jeu que de se mêler aux luttes voulues et dirigées invisiblement par elles ; le seul fait de « prendre parti » dans ces conditions constituerait donc déjà en définitive, si inconsciemment que ce fût, une attitude véritablement antitraditionnelle. Nous ne voulons faire ici aucune application particulière, ce qui serait en somme assez peu utile après tout ce que nous avons déjà dit, et d’ailleurs tout à fait hors de propos ; il nous paraît seulement nécessaire, pour couper court aux prétentions de tout faux « traditionalisme », de préciser que, notamment, aucune tendance politique existant dans l’Europe actuelle ne peut valablement se          recommander de l’autorité d’idées ou de doctrines traditionnelles, les principes faisant également défaut partout, bien qu’on n’ait assurément jamais tant parlé de « principes » qu’on le fait aujourd’hui de tous les côtés, appliquant à peu près indistinctement cette désignation à tout ce qui la mérite le moins, et parfois même à ce qui implique au contraire la négation de tout véritable principe. »

Études traditionnelles, décembre 1937. Le sens des proportions : « On devrait pouvoir se contenter de sourire des prétentions de ceux qui veulent mettre des « systèmes » purement humains, produits de la simple pensée individuelle, en parallèle ou en opposition avec les doctrines traditionnelles, essentiellement supra-humaines, s’ils ne réussissaient que trop, dans bien des cas, à faire prendre ces prétentions au sérieux. Si les conséquences en sont peut-être moins graves, c’est seulement parce que la philosophie n’a, sur la mentalité générale de notre époque, qu’une influence plus restreinte que celle de la science profane ; mais pourtant, là encore, on aurait grand tort, parce que le danger n’apparaît pas aussi immédiatement, d’en conclure qu’il est inexistant ou négligeable. D’ailleurs, quand bien même il n’y aurait à cet égard d’autre résultat que de « neutraliser » les efforts de beaucoup de « traditionalistes » en les égarant dans un domaine dont il n’y a aucun profit réel à tirer en vue d’une restauration de l’esprit traditionnel, c’est toujours autant de gagné pour l’ennemi ; les réflexions que nous avons déjà faites en une autre occasion, au sujet de certaines illusions d’ordre politique ou social, trouveraient également leur application en pareil cas. »

FRANC-MAÇONNERIE

Le Voile d’Isis, Octobre 1930. Compte-rendu : « Léon de Poncins. Les Forces secrètes de la Révolution. Nouvelle édition revue et mise à jour (Éditions Bossard). – C’est un ouvrage antimaçonnique du type que nous pourrions appeler « raisonnable », en ce sens que, se tenant à peu près exclusivement sur le terrain politique, il nous épargne les diableries à la Léo Taxil. L’auteur est même assez prudent pour ne pas faire état de certains documents suspects ; mais sa thèse de l’unité de la Maçonnerie est bien peu solide, et il exagère beaucoup l’influence juive. En outre, il se fait une idée tout à fait fantaisiste des hauts grades, qu’il lui arrive même parfois de confondre avec certaines organisations non maçonniques. »

Le Voile d’Isis, Décembre 1935. Compte-rendu : « Camille Savoire. Regards sur les Temples de la Franc-Maçonnerie. (« Les Éditions Initiatiques », Paris). – …À la fin sont reproduits un certain nombre de documents destinés à donner de la Maçonnerie une idée plus juste que celle qu’on s’en fait d’ordinaire dans le monde profane ; et un appendice indique les raisons du réveil en France du « Régime Rectifié », dont l’auteur est le principal promoteur : « un foyer maçonnique soustrait à toute influence politique », comme il le dit, est assurément, dans les circonstances présentes, une chose des plus souhaitables, si l’on ne veut pas voir se perdre irrémédiablement les derniers vestiges d’initiation occidentale qui subsistent encore… »

Le Voile d’Isis, Novembre 1935. Compte-rendu : « Dans le numéro de juillet, Oswald Wirth revient sur Les méfaits du gouvernementalisme maçonnique ; il n’a certes pas tort de dénoncer tout ce qui, « constitué sur un modèle politique profane », n’a réellement rien à voir avec ce que doit être une organisation initiatique ; mais comment peut-on dire que « les Maçons ne sont pas encore adultes au point de vue initiatique » et qu’« ils ne commencent qu’à se faire une idée de l’initiation », alors que la vérité est que justement ils ont commencé à perdre cette idée (tout en conservant cependant la chose, fût-ce inconsciemment) à partir du jour où furent introduites les formes profanes en question, et que depuis lors cette dégénérescence n’a fait qu’aller généralement en s’accentuant ? »

Compte-rendu paru aux Études Traditionnelles, Mars 1938 (cf. EFMC, tome I) : « André Lebey. La Fayette ou le Militant Franc-Maçon. (Librairie Mercure, Paris). – Ces deux volumes constituent une étude fort consciencieuse, et remarquablement impartiale, non pas seulement d’un homme comme le titre pourrait le donner à penser, mais en réalité de toute une époque, et d’une époque qui fut particulièrement mouvementée et chargée d’événements. L’auteur n’est pas de ceux pour qui l’histoire n’est qu’une simple affaire de curiosité et d’érudition plus ou moins vaine ; il estime au contraire, très justement, qu’on doit y chercher des enseignements pour le présent, et il déplore que, en France notamment, on sache si peu profiter des leçons qu’il conviendrait d’en tirer : mais, au fond, n’est-il pas naturel et en quelque sorte logique qu’il en soit ainsi à une époque comme la nôtre, où une aveugle croyance au « progrès » incite bien plutôt à dédaigner le passé qu’à s’en inspirer ? Il ne dissimule aucunement les faiblesses de son héros, qui, ayant commencé sa vie en homme d’action, laissa par la suite échapper presque toutes les occasions d’agir qui s’offrirent à lui, et qui se laissa le plus souvent entraîner par les événements bien plus qu’il ne les dirigea ; s’il en fut ainsi, il semble bien que c’est surtout parce que l’action politique exige trop de compromissions inconciliables avec la fidélité à des convictions bien définies et nettement arrêtées, et aussi parce qu’il faut tenir compte des multiples contingences qui paraissent négligeables à celui qui s’en tient à une vue trop « idéale » des choses.  D’un autre côté, par son honnêteté et sa sincérité mêmes, un homme comme La Fayette risquait de n’être que trop facilement le jouet de gens moins scrupuleux ; en fait, il apparaît assez clairement qu’un Talleyrand et un Fouché le « manœuvrèrent » à peu près comme ils le voulurent ; et d’autres sans doute, en le mettant en avant, ne songèrent qu’à s’abriter derrière son nom et à profiter de la popularité qui l’entourait. On pourrait se demander s’il n’était pas arrivé à s’en rendre compte dans une certaine mesure, vers la fin de sa vie, lorsqu’il écrivait une phrase comme celle-ci : « Il a été dans ma destinée personnelle, depuis l’âge de dix-neuf ans, d’être une sorte de type de certaines doctrines, de certaine direction, qui, sans me mettre au-dessus, me tiennent néanmoins à part des autres ». Un « type », un personnage plus « représentatif » que vraiment agissant, voilà bien, en effet, ce qu’il fut pendant tout le cours de sa longue carrière… Dans la Maçonnerie même, il ne semble pas avoir jamais joué un rôle tellement important et c’est encore au « type » que s’adressaient les honneurs qui lui furent décernés ; si par contre la Charbonnerie le mit à la tête de sa Haute Vente, il s’y comporte comme partout ailleurs, « se ralliant toujours à la majorité, se persuadant qu’elle tenait compte de ses vues, qu’elle acceptait d’ailleurs d’abord, quitte ensuite à les tourner ou à les dépasser », ce qui, du reste, ne constitue peut-être pas un cas tellement exceptionnel : que de « dirigeants » apparents dont on en pourrait dire autant ! Certaines allusions aux « forces équivoques, policières et autres, qui agissent derrière les gouvernements », montrent d’ailleurs que l’auteur soupçonne l’existence de bien des « dessous », tout en reconnaissant que, malheureusement, il n’a jamais pu réussir à savoir exactement, d’une façon sûre et précise, à quoi s’en tenir à ce sujet, sur lequel, cependant, « il serait indispensable d’être renseigné avec certitude pour redresser la politique et la débarrasser de l’abjection qui la mine en menant le monde à la débâcle » ; et, ajouterons-nous, c’est même dans tous les domaines, et non pas seulement dans celui de la politique, qu’une telle opération serait aujourd’hui nécessaire… »

Études Traditionnelles, Juillet 1936. Compte-rendu : « – Les Archives de Trans-en-Provence publient, depuis 1931 (mais nous n’en avons eu connaissance que tout récemment), de très intéressantes études sur les origines de la Maçonnerie moderne, dues à leur directeur, M. J. Barles… les fondateurs de la Grande Loge, quelle qu’ait été leur origine, étaient en tout cas incontestablement des « Orangistes » ; et il y avait là une intrusion de la politique à laquelle les Maçons fidèles à l’ancien esprit initiatique de leur Ordre n’étaient pas moins opposés qu’aux diverses innovations qui s’ensuivirent. M. Barles fait remarquer très justement que les Loges qui s’unirent en 1717 étaient toutes de formation très récente, et aussi que, d’autre part, il y avait encore à cette époque beaucoup plus de Loges opératives en activité qu’on ne le dit d’ordinaire. »

Études Traditionnelles, Septembre 1937. Compte-rendu : « – Dans le Mercure de France (numéro du 1er juin), M. Gabriel Louis-Laray examine, d’après quelques ouvrages récents sur la Maçonnerie française au XVIIIe siècle, le rôle que celle-ci a pu jouer dans les rapports de la France avec l’Angleterre et les États-Unis. Tout cela se limite à un point de vue beaucoup trop exclusivement politique pour aller jusqu’au fond des choses, et n’est d’ailleurs pas exempt de certaines erreurs, parmi lesquelles il en est une que nous avons déjà rencontré ailleurs, mais qui n’en est pas moins véritablement étonnante : c’est la confusion de la Maçonnerie exclusivement « symbolique » issue de la Grande Loge d’Angleterre avec la Maçonnerie « écossaise », c’est-à-dire des hauts grades, laquelle, par surcroît, était alors résolument opposée aux tendances « orangistes » dont la première était pénétrée. Malgré cela, il y a un point qui nous paraît présenter un certain intérêt : c’est ce qui concerne le rôle étrange de Franklin, qui, tout en étant Maçon (quoique la qualification de « grand patriarche », qui lui est ici attribuée ne réponde d’ailleurs à rien de réel), était fort probablement aussi tout autre chose, et qui semble bien avoir été surtout, dans la Maçonnerie et en dehors d’elle, l’agent de certaines influences extrêmement suspectes. La Loge Les Neuf Sœurs, dont il fut membre et même Vénérable, constitue, par la mentalité spéciale qui y régnait, un cas tout à fait exceptionnel dans la Maçonnerie de cette époque ; elle y fut sans doute l’unique centre où les influences dont il s’agit trouvèrent alors la possibilité d’exercer effectivement leur action destructrice et antitraditionnelle, et, suivant ce que nous disions plus haut, ce n’est certes pas à la Maçonnerie elle-même qu’on doit imputer l’initiative et la responsabilité d’une telle action. »

Études Traditionnelles, Avril 1938. Compte-rendu : « – Dans le journal France-Amérique du Nord (numéro du 30 janvier), M. Gabriel Louis-Jaray, reproduisant les réflexions que nous avons consacrées il y a quelque temps à un article publié par lui dans le Mercure de France, les fait suivre de quelques commentaires qui semblent indiquer qu’il ne les a pas entièrement comprises : nous n’avons pas dit que Franklin « était probablement Maçon », car il est tout à fait certain qu’il l’était, ni que « la Maçonnerie symbolique issue de la Grande Loge d’Angleterre perdit son influence » à l’époque dont il s’agit, car la Loge Les Neuf Sœurs elle-même ne relevait assurément de rien d’autre que de cette Maçonnerie symbolique ; seulement, en fait, il y avait alors bien longtemps déjà que la Maçonnerie française était devenue complètement indépendante de la Grande Loge d’Angleterre qui lui avait donné naissance un demi-siècle plus tôt. M. Gabriel Louis-Jaray demande aussi aux Études Traditionnelles (notre compte rendu n’était pourtant pas anonyme !) de « préciser comment elle voit (sic) le rôle « étrange » de Franklin » ; la réponse est bien facile : dès lors que nous disions que ce personnage semble bien avoir été surtout « l’agent de certaines influences extrêmement suspectes », il ne pouvait qu’être parfaitement évident, pour tous nos lecteurs, que les influences en question étaient celles de la « contre-initiation ». Il va de soi que c’est là quelque chose qui dépasse de beaucoup le point de vue de « politique extérieure » auquel l’auteur de l’article déclare avoir voulu se borner ; cette expression implique d’ailleurs, en elle-même, une conception « particulariste » dans le cadre de laquelle rien de ce qui fait l’objet de nos études ne saurait rentrer. Du reste, si nous ajoutons que Cromwell nous paraît bien aussi avoir joué antérieurement un rôle tout à fait du même genre que celui de Franklin, M. Gabriel Louis-Jaray comprendra peut-être qu’il ne s’agit pas là simplement de politique « anglaise » ou « anti-anglaise », mais de quelque chose où, en réalité, l’Angleterre, l’Amérique ou d’autres nations peuvent être « utilisées » tour à tour, suivant les circonstances, pour des fins qui n’ont sans doute pas grand’chose à voir avec leurs intérêts particuliers ; se servir de quelqu’un, homme ou peuple, n’est pas du tout la même chose que le servir, même s’il se trouve que les effets extérieurs coïncident accidentellement. »

La Gnose, mai 1910, Les hauts grades maçonniques  (signé « Palingenius ») : « Nous avons simplement voulu dire ici ce que nous pensons de l’institution des hauts grades et de leur raison d’être ; nous les considérons comme ayant une utilité pratique incontestable, mais à la condition, malheureusement trop peu souvent réalisée, surtout aujourd’hui, qu’ils remplissent vraiment le but pour lequel ils ont été créés. Pour cela, il faudrait que les Ateliers de ces hauts grades fussent réservés aux études philosophiques et métaphysiques, trop négligées dans les Loges symboliques ; on ne devrait jamais oublier le caractère initiatique de la Maçonnerie, qui n’est et ne peut être, quoi qu’en en ait dit, ni un club politique ni une association de secours mutuels. Sans doute, on ne peut pas communiquer ce qui est inexprimable par essence, et c’est pourquoi les véritables arcanes se défendent d’eux-mêmes contre toute indiscrétion ; mais on peut du moins donner les clefs qui permettront à chacun d’obtenir l’initiation réelle par ses propres efforts et sa méditation personnelle, et l’on peut aussi, suivant la tradition et la pratique constantes des Temples et Collèges initiatiques de tous les temps et de tous les pays, placer celui qui aspire à l’initiation dans les conditions les plus favorables de réalisation, et lui fournir l’aide sans laquelle il lui serait presque impossible de parfaire cette réalisation. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet, pensant en avoir dit assez pour faire entrevoir ce que pourraient être les hauts grades maçonniques, si, au lieu de vouloir les supprimer purement et simplement, on en faisait des centres initiatiques véritables, chargés de transmettre la science ésotérique et de conserver intégralement le dépôt sacré de la Tradition orthodoxe, une et universelle. »

DANTE

L’Ésotérisme de Dante, chapitre IV - Dante et le rosicrucianisme : « Le même reproche d’insuffisance que nous avons formulé à l’égard de Rossetti et d’Aroux peut être adressé aussi à Éliphas Levi, qui, tout en affirmant un rapport avec les mystères antiques, a vu surtout une application politique, ou politico-religieuse, n’ayant à nos yeux qu’une importance secondaire, et qui a toujours le tort de supposer que les organisations proprement initiatiques sont directement engagées dans les luttes extérieures. »

L’Ésotérisme de Dante, chapitre IV - Dante et le rosicrucianisme : « En réalité, la volonté de « révéler les mystères », à supposer que la chose soit possible (et elle ne l’est pas, parce qu’il n’est de véritable mystère que l’inexprimable), et le parti de « prendre le contre-pied du dogme », ou de renverser consciemment le sens et la valeur des symboles, ne seraient pas les marques d’une très haute initiation. Heureusement, nous ne voyons, pour notre part, rien de tel chez Dante, dont l’ésotérisme s’enveloppe au contraire d’un voile assez difficilement pénétrable, en même temps qu’il s’appuie sur des bases strictement traditionnelles ; faire de lui un précurseur du protestantisme, et peut-être aussi de la Révolution, simplement parce qu’il fut un adversaire de la Papauté sur le terrain politique, c’est méconnaître entièrement sa pensée et ne rien comprendre à l’esprit de son époque. »

LE CARACTÈRE QUANTITATIF DE LA CIVILISATION MODERNE

La Crise du Monde Moderne (1927), chap. VII - Une civilisation matérielle : « En effet, il s’agit uniquement de produire le plus possible ; on se soucie peu de la qualité, c’est la quantité seule qui importe ; nous revenons une fois de plus à la même constatation que nous avons déjà faite en d’autres domaines : la civilisation moderne est vraiment ce qu’on peut appeler une civilisation quantitative, ce qui n’est qu’une autre façon de dire qu’elle est une civilisation matérielle. Si l’on veut se convaincre encore davantage de cette vérité, on n’a qu’à voir le rôle immense que jouent aujourd’hui, dans l’existence des peuples comme dans celle des individus, les éléments d’ordre économique : industrie, commerce, finances, il semble qu’il n’y ait que cela qui compte, ce qui s’accorde avec le fait déjà signalé que la seule distinction sociale qui ait subsisté est celle qui se fonde sur la richesse matérielle. Il semble que le pouvoir financier domine toute politique, que la concurrence commerciale exerce une influence prépondérante sur les relations entre les peuples ; peut-être n’est-ce là qu’une apparence, et ces choses sont-elles ici moins de véritables causes que de simples moyens d’action ; mais le choix de tels moyens indique bien le caractère de l’époque à laquelle ils conviennent. D’ailleurs, nos contemporains sont persuadés que les circonstances économiques sont à peu près les uniques facteurs des événements historiques, et ils s’imaginent même qu’il en a toujours été ainsi ; on est allé en ce sens jusqu’à inventer une théorie qui veut tout expliquer par là exclusivement, et qui a reçu l’appellation significative de « matérialisme historique ». On peut voir là encore l’effet d’une de ces suggestions auxquelles nous faisions allusion plus haut, suggestions qui agissent d’autant mieux qu’elles correspondent aux tendances de la mentalité générale ; et l’effet de cette suggestion est que les moyens économiques finissent par déterminer réellement presque tout ce qui se produit dans le domaine social. Sans doute, la masse a toujours été menée d’une façon ou d’une autre, et l’on pourrait dire que son rôle historique consiste surtout à se laisser mener, parce qu’elle ne représente qu’un élément passif, une « matière » au sens aristotélicien ; mais aujourd’hui il suffit, pour la mener, de disposer de moyens purement matériels, cette fois au sens ordinaire du mot, ce qui montre bien le degré d’abaissement de notre époque ; et, en même temps, on fait croire à cette masse qu’elle n’est pas menée, qu’elle agit spontanément et qu’elle se gouverne elle-même, et le fait qu’elle le croit permet d’entrevoir jusqu’où peut aller son inintelligence. »

La Crise du Monde Moderne (1927), chap. VII - Une civilisation matérielle : « C’est là encore un exemple frappant de la confusion moderne, et il est véritablement prodigieux, pour qui veut y réfléchir, qu’on en soit arrivé à considérer comme toute naturelle une « levée en masse » ou une « mobilisation générale », que l’idée d’une « nation armée » ait pu s’imposer à tous les esprits, à de bien rares exceptions près. On peut aussi voir là un effet de la croyance à la seule force du nombre : il est conforme au caractère quantitatif de la civilisation moderne de mettre en mouvement des masses énormes de combattants ; et, en même temps, l’« égalitarisme » y trouve son compte, aussi bien que dans des institutions comme celles de l’« instruction obligatoire » et du « suffrage universel ». Ajoutons encore que ces guerres généralisées n’ont été rendues possibles que par un autre phénomène spécifiquement moderne, qui est la constitution des « nationalités », conséquence de la destruction du régime féodal, d’une part, et, d’autre part, de la rupture simultanée de l’unité supérieure de la « Chrétienté » du moyen âge ; et, sans nous attarder à des considérations qui nous entraîneraient trop loin, notons aussi, comme circonstance aggravante, la méconnaissance d’une autorité spirituelle pouvant seule exercer normalement un arbitrage efficace, parce qu’elle est, par sa nature même, au-dessus de tous les conflits d’ordre politique. La négation de l’autorité spirituelle, c’est encore du matérialisme pratique ; et ceux mêmes qui prétendent reconnaître une telle autorité en principe lui dénient en fait toute influence réelle et tout pouvoir d’intervenir dans le domaine social, exactement de la même façon qu’ils établissent une cloison étanche entre la religion et les préoccupations ordinaires de leur existence ; qu’il s’agisse de la vie publique ou de la vie privée, c’est bien le même état d’esprit qui s’affirme dans les deux cas. »

ORGANISATIONS INITIATIQUES ET SOCIÉTÉS SECRÈTES 

Aperçus sur l’Initiation (1946), chap. XII - Organisations initiatiques et sociétés secrètes : « Une autre conséquence à laquelle nous sommes logiquement amené par ces considérations est celle-ci : une société, même secrète, peut toujours être en butte à des atteintes venant de l’extérieur, parce qu’il y a dans sa constitution des éléments qui se situent, si l’on peut dire, au même niveau que celles-ci ; elle pourra ainsi, notamment, être dissoute par l’action d’un pouvoir politique. Par contre, l’organisation initiatique, par sa nature même, échappe à de telles contingences, et aucune force extérieure ne peut la supprimer ; en ce sens-là aussi, elle est véritablement « insaisissable ». En effet, puisque la qualité de ses membres ne peut jamais se perdre ni leur être enlevée, elle conserve une existence effective tant qu’un seul d’entre eux demeure vivant, et seule la mort du dernier entraînera sa disparition ; mais cette éventualité même suppose que ses représentants autorisés auront, pour des raisons dont ils sont seuls juges, renoncé à assurer la continuation de la transmission de ce dont ils sont les dépositaires ; et ainsi la seule cause possible de sa suppression, ou plutôt de son extinction, se trouve nécessairement à son intérieur même. »

Aperçus sur l’Initiation (1946), chap. XII - Organisations initiatiques et sociétés secrètes : « Ouvrons encore une parenthèse à propos de cette dernière remarque ; s’il arrive que des idées « philosophiques » et plus ou moins « rationalistes » s’infiltrent dans une organisation initiatique, il ne faut voir là que l’effet d’une erreur individuelle (ou collective) de ses membres, due à leur incapacité de comprendre sa véritable nature, et par conséquent de se garantir de toute « contamination » profane ; cette erreur, bien entendu, n’affecte aucunement le principe même de l’organisation, mais elle est un des symptômes de cette dégénérescence de fait dont nous avons parlé, que celle-ci ait d’ailleurs atteint un degré plus ou moins avancé. Nous en dirons autant du « sentimentalisme » et du « moralisme » sous toutes leurs formes, choses non moins profanes par leur nature même ; le tout est du reste, en général, lié plus ou moins étroitement à une prédominance des préoccupations sociales ; mais c’est surtout quand celles-ci en viennent à prendre une forme spécifiquement « politique », au sens le plus étroit du mot, que la dégénérescence risque de devenir à peu près irrémédiable. Un des phénomènes les plus étranges en ce genre, c’est la pénétration des idées « démocratiques » dans les organisations initiatiques occidentales (et naturellement, nous pensons surtout ici à la Maçonnerie, ou tout au moins à certaines de ses fractions), sans que leurs membres paraissent s’apercevoir qu’il y a là une contradiction pure et simple, et même sous un double rapport : en effet, par définition même, toute organisation initiatique est en opposition formelle avec la conception « démocratique » et « égalitaire », d’abord par rapport au monde profane, vis-à-vis duquel elle constitue, dans l’acception la plus exacte du terme, une « élite » séparée et fermée, et ensuite en elle-même, par la hiérarchie de grades et de fonctions qu’elle établit nécessairement entre ses propres membres. Ce phénomène n’est d’ailleurs qu’une des manifestations de la déviation de l’esprit occidental moderne qui s’étend et pénètre partout, même là où elle devrait rencontrer la résistance la plus irréductible ; et ceci, du reste, ne s’applique pas uniquement au point de vue initiatique, mais tout aussi bien au point de vue religieux, c’est-à-dire en somme à tout ce qui possède un caractère véritablement traditionnel. »

Aperçus sur l’Initiation (1946), chap. XII - Organisations initiatiques et sociétés secrètes : « Toutes les catégories d’organisations que nous avons envisagées n’ont guère en commun que le seul fait d’avoir un secret, quelle qu’en soit d’ailleurs la nature ; et il va de soi que, de l’une à l’autre, celle-ci peut être extrêmement différente : entre le véritable secret initiatique et un dessein politique qu’on tient caché, ou encore la dissimulation de l’existence d’une association ou des noms de ses membres pour des raisons de simple prudence, il n’y a évidemment aucune comparaison possible. Encore ne parlons-nous pas de ces groupements fantaisistes, comme il en existe tant de nos jours et notamment dans les pays anglo-saxons, qui, pour « singer » les organisations initiatiques, adoptent des formes qui ne recouvrent absolument rien, qui sont réellement dépourvues de toute portée et même de toute signification, et sur lesquelles elles prétendent garder un secret qui ne se justifie par aucune raison sérieuse. »

Orient et Occident, chap. III - Constitution et rôle de l’Élite : « Pas plus que la métaphysique vraie ne peut s’enfermer dans les formules d’un système ou d’une théorie particulière, l’élite intellectuelle ne saurait s’accommoder des formes d’une « société » constituée avec des statuts, des règlements, des réunions, et toutes les autres manifestations extérieures que ce mot implique nécessairement ; il s’agit de bien autre chose que de semblables contingences. Qu’on ne dise pas que, pour commencer, pour former en quelque sorte un premier noyau, il pourrait y avoir lieu d’envisager une organisation de ce genre ; ce serait là un fort mauvais point de départ, et qui ne pourrait guère conduire qu’à un échec. En effet, non seulement cette forme de « société » est inutile en pareil cas, mais elle serait extrêmement dangereuse, en raison des déviations qui ne manqueraient pas de se produire : si rigoureuse que soit la sélection, il serait bien difficile d’empêcher, surtout au début et dans un milieu si peu préparé, qu’il ne s’y introduise quelques unités dont l’incompréhension suffirait pour tout compromettre ; et il est à prévoir que de tels groupements risqueraient fort de se laisser séduire par la perspective d’une action sociale immédiate, peut-être même politique au sens le plus étroit de ce mot, ce qui serait bien la plus fâcheuse de toutes les éventualités, et la plus contraire au but proposé. On n’a que trop d’exemples de semblables déviations : combien d’associations, qui auraient pu remplir un rôle très élevé (sinon purement intellectuel, du moins confinant à l’intellectualité) si elles avaient suivi la ligne qui leur avait été tracée à l’origine, n’ont guère tardé à dégénérer ainsi, jusqu’à agir à l’opposé de la direction première dont elles continuent pourtant à porter les marques, fort visibles encore pour qui sait les comprendre ! C’est ainsi que s’est perdu totalement, depuis le XVIe siècle, ce qui aurait pu être sauvé de l’héritage laissé par le moyen âge ; et nous ne parlons pas de tous les inconvénients accessoires : ambitions mesquines, rivalités personnelles et autres causes de dispensions qui surgissent fatalement dans les groupements ainsi constitués, surtout si l’on tient compte, comme il le faut bien, de l’individualisme occidental. »

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M
merci pour ce florilège de citations qui permettent de bien comprendre le positionnement a-politique de Rene Guenon .Notre époque très perméable a l'envahissement d'analyses qui s'appuient quasi exclusivement sur des données sentimentales aurait beaucoup à gagner en se référant à ces écrits ,mais en même temps si tel était le cas le monde moderne ne serait plus le monde moderne ....
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