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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon – L’artère coronale et le « rayon solaire ».

René Guénon – L’artère coronale et le « rayon solaire ».

Nous devons revenir maintenant à ce qui se produit pour l’être qui, n’étant pas « délivré » au moment même de la mort, doit parcourir une série de degrés, représentés symboliquement comme les étapes d’un voyage, et qui sont autant d’états intermédiaires, non définitifs, par lesquels il lui faut passer avant de parvenir au terme final. Il importe de remarquer, d’ailleurs, que tous ces états, étant encore relatifs et conditionnés, n’ont aucune commune mesure avec celui qui est seul absolu et inconditionné ; si élevés que puissent être certains d’entre eux quand on les compare à l’état corporel, il semble donc que leur obtention ne rapproche aucunement l’être de son but dernier, qui est la « Délivrance » ; et, au regard de l’Infini, la manifestation tout entière étant rigoureusement nulle, les différences entre les états qui la constituent doivent évidemment l’être aussi, quelque considérables qu’elles soient en elles-mêmes et tant qu’on envisage seulement les divers états conditionnés qu’elles séparent les uns des autres. Cependant, il n’en est pas moins vrai que le passage à certains états supérieurs constitue comme un acheminement vers la « Délivrance », qui est alors « graduelle » (krama-mukti), de la même façon que l’emploi de certains moyens appropriés, tels que ceux du Hatha-Yoga, est une préparation efficace, bien qu’il n’y ait assurément aucune comparaison possible entre ces moyens contingents et l’« Union » qu’il s’agit de réaliser en les prenant comme « supports » (1). Mais il doit être bien entendu que la « Délivrance », lorsqu’elle sera réalisée, impliquera toujours une discontinuité par rapport à l’état dans lequel se trouvera l’être qui l’obtiendra, et que, quel que soit cet état, cette discontinuité ne sera ni plus ni moins profonde, puisque, dans tous les cas, il n’y a, entre l’état de l’être « non-délivré » et celui de l’être « délivré », aucun rapport comme il en existe entre différents états conditionnés. Cela est vrai même pour les états qui sont tellement au-dessus de l’état humain que, envisagés de celui-ci, ils pourraient être pris pour le terme auquel l’être doit tendre finalement ; et cette illusion est possible même pour des états qui ne sont en réalité que des modalités de l’état humain, mais très éloignées à tous égards de la modalité corporelle ; nous avons pensé qu’il était nécessaire d’attirer l’attention sur ce point, afin de prévenir toute méprise et toute erreur d’interprétation, avant de reprendre notre exposé des modifications posthumes auxquelles peut être soumis l’être humain.

« L’« âme vivante » (jîvâtmâ), avec les facultés vitales résorbées en elle (et y demeurant en tant que possibilités, ainsi qu’il a été expliqué précédemment), s’étant retirée dans son propre séjour (le centre de l’individualité, désigné symboliquement comme le cœur, ainsi que nous l’avons vu au début, et où elle réside en effet en tant que, dans son essence et indépendamment de ses conditions de manifestation, elle est réellement identique à Purusha, dont elle ne se distingue qu’illusoirement), le sommet (c’est-à-dire la portion la plus sublimée) de cet organe subtil (figuré comme un lotus à huit pétales) étincelle (2) et illumine le passage par lequel l’âme doit sortir (pour atteindre les divers états dont il va être question dans la suite) : la couronne de la tête, si l’individu est un Sage (vidwân), et une autre région de l’organisme (correspondant physiologiquement au plexus solaire) (3), s’il est un ignorant (avidwân) (4). Cent une artères (nâdîs, également subtiles et lumineuses) (5) sortent du centre vital (comme les rais d’une roue sortent de son moyeu), et l’une de ces artères (subtiles) passe par la couronne de la tête (région considérée comme correspondant aux états supérieurs de l’être, quant à leurs possibilités de communication avec l’individualité humaine, comme on l’a vu dans la description des membres de Vaishwânara) ; elle est appelée sushumnâ » (6). Outre celle-ci, qui occupe une situation centrale, il y a deux autres nâdîs qui jouent un rôle particulièrement important (notamment pour la correspondance de la respiration dans l’ordre subtil, et par suite pour les pratiques du Hatha-Yoga) : l’une, située à sa droite, est appelée pingalâ ; l’autre, à sa gauche, est appelé idâ. De plus, il est dit que la pingalâ correspond au Soleil et l’idâ à la Lune ; or on a vu plus haut que le Soleil et la Lune sont désignés comme les deux yeux de Vaishwânara ; ceux-ci sont donc respectivement en relation avec les deux nâdîs dont il s’agit, tandis que la sushumnâ, étant au milieu, est en rapport avec le « troisième œil », c’est-à-dire avec l’œil frontal de Shiva (7) ; mais nous ne pouvons qu’indiquer en passant ces considérations, qui sortent du sujet que nous avons à traiter présentement.

(1) On pourra remarquer une analogie entre ce que nous disons ici et ce qui, au point de vue de la théologie catholique, pourrait être dit des sacrements : dans ceux-ci aussi, en effet, les formes extérieures sont proprement des « supports », et ces moyens éminemment contingents ont un résultat qui est d’un tout autre ordre qu’eux-mêmes. C’est en raison de sa constitution même et de ses conditions propres que l’individu humain a besoin de tels « supports » comme point de départ d’une réalisation qui le dépasse ; et la disproportion entre les moyens et la fin ne fait que correspondre à celle qui existe entre l’état individuel, pris comme base de cette réalisation, et l’état inconditionné qui en est le terme. Nous ne pouvons développer présentement une théorie générale de l’efficacité des rites ; nous dirons simplement, pour en faire comprendre le principe essentiel, que tout ce qui est contingent en tant que manifestation (à moins qu’il ne s’agisse de déterminations purement négatives) ne l’est plus si on l’envisage en tant que possibilités permanentes et immuables, que tout ce qui a quelque existence positive doit ainsi se retrouver dans le non-manifesté, et que c’est là ce qui permet une transposition de l’individuel dans l’Universel, par suppression des conditions limitatives (donc négatives) qui sont inhérentes a toute manifestation.

(2) Il est évident que ce mot est encore de ceux qui doivent être entendus symboliquement, puisqu’il ne s’agit point ici du feu sensible, mais bien d’une modification de la Lumière intelligible.

(3) Les plexus nerveux, ou plus exactement leurs correspondants dans la forme subtile (tant que celle-ci est liée à la forme corporelle), sont désignés symboliquement comme des « roues » (chakras), ou encore comme des « lotus » (padmas ou kamalas). - Pour ce qui est de la couronne de la tête, elle joue également un rôle important dans les traditions islamiques concernant les conditions posthumes de l’être humain ; et l’on pourrait sans doute trouver ailleurs encore les usages qui se réfèrent à des considérations du même ordre que ce dont il est ici question (la tonsure des prêtres catholiques, par exemple), bien que la raison profonde ait pu parfois en être oubliée.

(4) Brihad-Âranyaka Upanishad, 4ème Adhyâya, 4ème Brâhmana, shrutis 1 et 2.

(5) Nous rappelons qu’il ne s’agit pas des artères corporelles de la circulation sanguine, non plus que de canaux contenant l’air respiré ; il est bien évident, du reste, que, dans l’ordre corporel, il ne peut y avoir aucun canal passant par la couronne de la tête, puisqu’il n’y a aucune ouverture dans cette région de l’organisme. D’autre part, il faut remarquer que, bien que la précédente retraite de jîvâtmâ implique déjà l’abandon de la forme corporelle, toute relation n’a pas encore cessé entre celle-ci et la forme subtile dans la phase dont il s’agit maintenant, puisqu’on peut continuer, en décrivant celle-ci, à parler des divers organes subtils suivant la correspondance qui existait dans la vie physiologique.

(6) Katha Upanishad, 2ème Adhyâya, 6ème Vallî, shruti 16.

(7) Dans l’aspect de ce symbolisme qui se réfère à la condition temporelle, le Soleil et l’œil droit correspondent au futur, la Lune et l’œil gauche au passé ; l’œil frontal correspond au présent, qui, du point de vue du manifesté, n’est qu’un instant insaisissable, comparable à ce qu’est dans l’ordre spatial, le point géométrique sans dimensions : c’est pourquoi un regard de ce troisième œil détruit toute manifestation (ce qu’on exprime symboliquement en disant qu’il réduit tout en cendres), et c’est aussi pourquoi il n’est représenté par aucun organe corporel ; mais, lorsqu’on s’élève au-dessus de ce point de vue contingent, le présent contient toute réalité (de même que le point renferme en lui-même toutes les possibilités spatiales), et lorsque la succession est transmuée en simultanéité, toutes choses demeurent dans l’« éternel présent », de sorte que la destruction apparente est véritablement la « transformation ». Ce symbolisme est identique à celui du Janus Bifrons des Latins, qui a deux visages, l’un tourné vers le passé et l’autre vers l’avenir, mais dont le véritable visage, celui qui regarde le présent, n’est ni l’un ni l’autre de ceux que l’on peut voir. - Signalons encore que les nâdîs principales, en vertu de la même correspondance qui vient d’être indiquée, ont un rapport particulier avec ce qu’on peut appeler, en langage occidental, l’« alchimie humaine », où l’organisme est représenté comme l’athanor hermétique, et qui, à part la terminologie différente employée de part et d’autre, est très comparable au Hatha-Yoga.

« Par ce passage (la sushumnâ et la couronne de la tête où elle aboutit), en vertu de la Connaissance acquise et de la conscience de la Voie méditée (conscience qui est essentiellement d’ordre extra-temporel, puisqu’elle est, même en tant qu’on l’envisage dans l’état humain, un reflet des états supérieurs) (8), l’âme du Sage, douée (en vertu de la régénération psychique qui a fait de lui un homme « deux fois né », dwija) (9) de la Grâce spirituelle (Prasâda) de Brahma, qui réside dans ce centre vital (par rapport à l’individu humain considéré), cette âme s’échappe (s’affranchit de tout lien qui peut subsister encore avec la condition corporelle) et rencontre un rayon solaire (c’est-à-dire, symboliquement, une émanation du Soleil spirituel, qui est Brahma même, envisagé cette fois dans l’Universel : ce rayon solaire n’est autre chose qu’une particularisation, en rapport avec l’être considéré, ou, si l’on préfère, une « polarisation » du principe supra-individuel Buddhi ou Mahat, par lequel les multiples états manifestés de l’être sont reliés entre eux et mis en communication avec la personnalité transcendante, Âtmâ, qui est identique au Soleil spirituel lui-même) ; c’est par cette route (indiquée comme le trajet du « rayon solaire ») qu’elle se dirige, soit la nuit ou le jour, l’hiver ou l’été (10). Le contact d’un rayon du Soleil (spirituel) avec la sushumnâ est constant, aussi longtemps que le corps subsiste (en tant qu’organisme vivant et véhicule de l’être manifesté) (11) : les rayons de la Lumière (intelligible), émanés de ce Soleil, parviennent à cette artère (subtile), et, réciproquement (en mode réfléchi), s’étendent de l’artère au Soleil (comme un prolongement indéfini par lequel est établie la communication, soit virtuelle, soit effective, de l’individualité avec l’Universel) » (12).

Ce qui vient d’être dit est complètement indépendant des circonstances temporelles et de toutes autres contingences similaires qui accompagnent la mort ; ce n’est pas que ces circonstances soient toujours sans influence sur la condition posthume de l’être, mais elles ne sont à considérer que dans certains cas particuliers, que nous ne pouvons d’ailleurs qu’indiquer ici sans autre développement. « La préférence de l’été, dont on cite en exemple le cas de Bhîshma, qui attendit pour mourir le retour de cette saison favorable, ne concerne pas le Sage qui, dans la contemplation de Brahma, a accompli les rites (relatifs à l’« incantation ») (13) tels qu’ils sont prescrits par le Vêda, et qui a, par conséquent, acquis (au moins virtuellement) la perfection de la Connaissance Divine (14) ; mais elle concerne ceux qui ont suivi les observances enseignées par le Sânkhya ou le Yoga-Shâstra, d’après lequel le temps du jour et celui de la saison de l’année ne sont pas indifférents, mais ont (pour la libération de l’être sortant de l’état corporel après une préparation accomplie conformément aux méthodes dont il s’agit) une action effective en tant qu’éléments inhérents au rite (dans lequel ils interviennent comme des conditions dont dépendent les effets qui peuvent en être obtenus) » (15). Il va de soi que, dans ce dernier cas, la restriction envisagée s’applique seulement à des êtres qui n’ont atteint que des degrés de réalisation correspondant à des extensions de l’individualité humaine ; pour celui qui a effectivement dépassé les limites de l’individualité, la nature des moyens employés au point de départ de la réalisation ne saurait plus influer en rien sur sa condition ultérieure.

(8) C’est donc une grave erreur de parler ici de « souvenir », comme l’a fait Colebrooke dans l’exposé que nous avons déjà mentionné ; la mémoire, conditionnée par le temps au sens le plus strict de ce mot, est une faculté relative à la seule existence corporelle, et qui ne s’étend pas au delà des limites de cette modalité spéciale et restreinte de l’individualité humaine ; elle fait donc partie de ces éléments psychiques auxquels nous avons fait allusion plus haut, et dont la dissociation est une conséquence directe de la mort corporelle.

(9) La conception de la « seconde naissance », comme nous l’avons déjà fait remarquer ailleurs, est de celles qui sont communes à toutes les doctrines traditionnelles ; dans le Christianisme, en particulier, la régénération psychique est représentée très nettement par le baptême. - Cf. ce passage de l’Evangile : « Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu… En vérité, je vous le dis, si un homme ne renaît de l’eau et de l’esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu… Ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit, qu’il faut que vous naissiez de nouveau » (St Jean, III, 3 à 7). L’eau est regardée par beaucoup de traditions comme le milieu originel des êtres, et la raison en est dans son symbolisme, tel que nous l’avons expliqué plus haut, et par lequel elle représente Mûla-Prakriti ; dans un sens supérieur, et par transposition, c’est la Possibilité Universelle elle-même ; celui qui « naît de l’eau » devient « fils de la Vierge », donc frère adoptif du Christ et cohéritier du « Royaume de Dieu ». D’autre part, si l’on remarque que l’« esprit », dans le texte que nous venons de citer est le Ruahh hébraïque (associé ici à l’eau comme principe complémentaire, comme au début de la Genèse), et que celui-ci désigne en même temps l’air, on retrouvera l’idée de la purification par les éléments, telle qu’elle se rencontre dans tous les rites initiatiques aussi bien que dans les rites religieux ; et, d’ailleurs, l’initiation elle-même est toujours regardée comme une « seconde naissance », symboliquement lorsqu’elle n’est qu’un formalisme plus ou moins extérieur, mais effectivement lorsqu’elle est conférée d’une façon réelle à celui qui est dûment qualifié pour la recevoir.

(10) Chhândogya Upanishad, 8ème Prapâthaka, 6ème Khanda, shruti 5.

(11) Ceci, à défaut de toute autre considération, suffirait à montrer clairement qu’il ne peut s’agir d’un rayon solaire au sens physique (pour lequel le contact ne serait pas constamment possible), et que ce qui est désigné ainsi ne peut l’être que symboliquement. - Le rayon qui est en connexion avec l’artère coronale est appelé aussi sushumnâ.

(12) Chhândogya Upanishad, 8ème Prapâthaka, 6ème Khanda, shruti 2.

(13) Par ce mot d’« incantation » au sens ou nous l’employons ici, il faut entendre essentiellement une aspiration de l’être vers l’Universel, ayant pour but d’obtenir une illumination intérieure, quels que soient d’ailleurs les moyens extérieurs, gestes (mudrâs), paroles ou sons musicaux (mantras), figures symboliques (yantras) ou autres, qui peuvent être employés accessoirement comme support de l’acte intérieur, et dont l’effet est de déterminer des vibrations rythmiques qui ont une répercussion à travers la série indéfinie des états de l’être. Une telle « incantation » n’a donc absolument rien de commun avec les pratiques magiques auxquelles on donne parfois le même nom en Occident, non plus qu’avec un acte religieux tel que la prière ; tout ce dont il s’agit ici se rapporte exclusivement au domaine de la réalisation métaphysique.

(14) Nous disons virtuellement, parce que, si cette perfection était effective, la « Délivrance » aurait déjà été obtenue par là même ; la Connaissance peut être théoriquement parfaite, bien que la réalisation correspondante n’ait été encore que partiellement accomplie.

(15) Brahma-Sûtras, 4ème Adhyâya, 2ème Pâda, sûtras 17 à 21.

[René Guénon, L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, Chap. XX - L’artère coronale et le « rayon solaire ».]

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