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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon – Providence, Volonté, Destin.

René Guénon – Providence, Volonté, Destin.

Pour compléter ce que nous avons dit du ternaire Deus, Homo, Natura, nous parlerons quelque peu d’un autre ternaire qui lui correspond manifestement terme à terme : c’est celui qui est formé par la Providence, la Volonté et le Destin, considérés comme les trois puissances qui régissent l’Univers manifesté. Les considérations relatives à ce ternaire ont été développées surtout, dans les temps modernes, par Fabre d’Olivet (1), sur des données d’origine pythagoricienne ; il se réfère d’ailleurs aussi secondairement, à diverses reprises, à la tradition chinoise (2), d’une façon qui implique qu’il en a reconnu l’équivalence avec la Grande Triade. « L’homme, dit-il, n’est ni un animal ni une intelligence pure ; c’est un être mitoyen, placé entre la matière et l’esprit, entre le Ciel et la Terre, pour en être le lien » ; et l’on peut reconnaître nettement ici la place et le rôle du terme médian de la Triade extrême-orientale. « Que l’Homme universel (3) soit une puissance, c’est ce qui est constaté par tous les codes sacrés des nations, c’est ce qui est senti par tous les sages, c’est ce qui est même avoué par les vrais savants… Les deux autres puissances, au milieu desquelles il se trouve placé, sont le Destin et la Providence. Au-dessous de lui est le Destin, nature nécessitée et naturée ; au-dessus de lui est la Providence, nature libre et naturante. Il est, lui, comme règne hominal, la Volonté médiatrice, efficiente, placée entre ces deux natures pour leur servir de lien, de moyen de communication, et réunir deux actions, deux mouvements qui seraient incompatibles sans lui. » Il est intéressant de noter que les deux termes extrêmes du ternaire sont désignés expressément comme Natura naturans et Natura naturata, conformément à ce que nous avons dit plus haut ; et les deux actions ou les deux mouvements dont il est question ne sont pas autre chose au fond que l’action et la réaction du Ciel et de la Terre, le mouvement alterné du yang et du yin. « Ces trois puissances, la Providence, l’Homme considéré comme règne hominal, et le Destin, constituent le ternaire universel. Rien n’échappe à leur action, tout leur est soumis dans l’Univers, tout, excepté Dieu lui-même qui, les enveloppant de son insondable unité, forme avec elles cette tétrade des anciens, cet immense quaternaire, qui est tout dans tous, et hors duquel il n’est rien. » C’est là une allusion au quaternaire fondamental des Pythagoriciens, symbolisé par la Tetraktys, et ce que nous en avons dit précédemment, à propos du ternaire Spiritus, Anima, Corpus, permet de comprendre suffisamment ce qu’il en est pour qu’il ne soit pas besoin d’y revenir. D’autre part, il faut encore remarquer, car cela est particulièrement important au point de vue des concordances, que « Dieu » est envisagé ici comme le Principe en lui-même, à la différence du premier terme du ternaire Deus, Homo, Natura, de sorte que, dans ces deux cas, le même mot n’est pas pris dans la même acception ; et, ici, la Providence est seulement l’instrument de Dieu dans le gouvernement de l’Univers, exactement de même que le Ciel est l’instrument du Principe selon la tradition extrême-orientale.

Maintenant, pour comprendre pourquoi le terme médian est identifié, non pas seulement à l’Homme, mais plus précisément à la Volonté humaine, il faut savoir que, pour Fabre d’Olivet, la volonté est, dans l’être humain, l’élément intérieur et central qui unifie et enveloppe (4) les trois sphères intellectuelle, animique et instinctive, auxquelles correspondent respectivement l’esprit, l’âme et le corps. Comme on doit d’ailleurs retrouver dans le « microcosme » la correspondance du « macrocosme », ces trois sphères y représentent l’analogue des trois puissances universelles qui sont la Providence, la Volonté et le Destin (5) ; et la volonté joue, par rapport à elles, un rôle qui en fait comme l’image du Principe même. Cette façon d’envisager la volonté (qui d’ailleurs, il faut le dire, est insuffisamment justifiée par des considérations d’ordre plus psychologique que vraiment métaphysique) doit être rapprochée de ce que nous avons dit précédemment au sujet du Soufre alchimique, car c’est exactement de cela qu’il s’agit en réalité. Au surplus, il y a là comme une sorte de parallélisme entre les trois puissances, car, d’une part, la Providence peut évidemment être conçue comme l’expression de la Volonté divine, et, d’autre part, le Destin lui-même apparaît comme une sorte de volonté obscure de la Nature. « Le Destin est la partie inférieure et instinctive de la Nature universelle (6), que j’ai appelée nature naturée ; on nomme son action propre fatalité ; la forme par laquelle il se manifeste à nous se nomme nécessité… La Providence est la partie supérieure et intelligente de la Nature universelle, que j’ai appelée nature naturante ; c’est une loi vivante émanée de la Divinité, au moyen de laquelle toutes choses se déterminent en puissance d’être (7)… C’est la Volonté de l’homme qui, comme puissance médiane (correspondant à la partie animique de la Nature universelle), réunit le Destin à la Providence ; sans elle, ces deux puissances extrêmes non seulement ne se réuniraient jamais, mais elles ne se connaîtraient même pas (8) ».

Un autre point qui est encore très digne de remarque, c’est celui-ci : la Volonté humaine, en s’unissant à la Providence et en collaborant consciemment avec elle (9), peut faire équilibre au Destin et arriver à le neutraliser (10). Fabre d’Olivet dit que « l’accord de la Volonté et de la Providence constitue le Bien ; le Mal naît de leur opposition (11)… L’homme se perfectionne ou se déprave selon qu’il tend à se confondre avec l’Unité universelle ou à s’en distinguer (12) », c’est-à-dire selon que, tendant vers l’un ou l’autre des deux pôles de la manifestation (13), qui correspondent en effet à l’unité et à la multiplicité, il allie sa volonté à la Providence ou au Destin et se dirige ainsi, soit du côté de la « liberté », soit du côté de la « nécessité ». Il dit aussi que « la loi providentielle est la loi de l’homme divin, qui vit principalement de la vie intellectuelle, dont elle est la régulatrice » ; il ne précise d’ailleurs pas davantage la façon dont il comprend cet « homme divin », qui peut sans doute, suivant les cas, être assimilé à l’« homme transcendant » ou seulement à l’« homme véritable ». Selon la doctrine pythagoricienne, suivie d’ailleurs sur ce point comme sur tant d’autres par Platon, « la Volonté évertuée par la foi (donc associée par là même à la Providence) pouvait subjuguer la Nécessité elle-même, commander à la Nature, et opérer des miracles ». L’équilibre entre la Volonté et la Providence d’une part et le Destin de l’autre était symbolisé géométriquement par le triangle rectangle dont les côtés sont respectivement proportionnels aux nombres 3, 4 et 5, triangle auquel le Pythagorisme donnait une grande importance (14), et qui, par une coïncidence très remarquable encore, n’en a pas une moindre dans la tradition extrême-orientale. Si la Providence est représentée (15) par 3, la Volonté humaine par 4 et le Destin par 5, on a dans ce triangle : 3² + 4² = 5² ; l’élévation des nombres à la seconde puissance indique que ceci se rapporte au domaine des forces universelles, c’est-à-dire proprement au domaine animique (16), celui qui correspond à l’Homme dans le « macrocosme », et au centre duquel, en tant que terme médian, se situe la volonté dans le « microcosme (17) ».

[René Guénon, La Grande Triade, Chapitre XXI – Providence, Volonté, Destin]

(1) Notamment dans son Histoire philosophique du Genre humain ; c’est de la dissertation introductive de cet ouvrage (publié d’abord sous le titre De l’État social de l’Homme) que sont tirées, sauf indication contraire, les citations qui suivent. – Dans les Examens des Vers dorés de Pythagore, parus antérieurement, on trouve aussi des vues sur ce sujet, mais exposées d’une façon moins nette : Fabre d’Olivet semble parfois y regarder le Destin et la Volonté comme corrélatifs, la Providence dominant à la fois l’un et l’autre, ce qui ne s’accorde pas avec la correspondance que nous avons en vue présentement. – Signalons incidemment que c’est sur une application de la conception de ces trois puissances universelles à l’ordre social que Saint-Yves d’Alveydre a construit sa théorie de la « synarchie ».
(2) Il semble du reste n’en avoir guère connu que le côté confucianiste, bien que, dans les Examens des Vers dorés de Pythagore, il lui arrive une fois de citer Lao-tseu.
(3) Cette expression doit être entendue ici en un sens restreint, car il ne semble pas que la conception en soit étendue au delà de l’état proprement humain ; il est évident en effet que, lorsqu’elle est transposée à la totalité des états de l’être, on ne saurait plus parler de « règne hominal », ce qui n’a réellement de sens que dans notre monde.
(4) Il faut se souvenir, ici encore, que c’est le centre qui contient tout en réalité.
(5) On se rappellera ce que nous avons dit, à propos des « trois mondes », de la correspondance plus particulière de l’Homme avec le domaine animique ou psychique.
(6) Celle-ci est entendue ici au sens le plus général, et elle comprend alors, comme « trois natures dans une seule Nature », l’ensemble des trois termes du « ternaire universel », c’est-à-dire en somme tout ce qui n’est pas le Principe même.
(7) Ce terme est impropre, puisque la potentialité appartient au contraire à l’autre pôle de la manifestation ; il faudrait dire « principiellement » ou « en essence ».
(8) Ailleurs, Fabre d’Olivet désigne, comme les agents respectifs des trois puissances universelles, les êtres que les Pythagoriciens appelaient les « Dieux immortels », les « Héros glorifiés » et les « Démons terrestres », « relativement à leur élévation respective et à la position harmonique des trois mondes qu’ils habitaient » (Examens des Vers dorés de Pythagore, 3ème Examen).
(9) Collaborer ainsi avec la Providence, c’est ce qui s’appelle proprement, dans la terminologie maçonnique, travailler à la réalisation du « plan du Grand Architecte de l’Univers » (cf. Aperçus sur l’Initiation, ch. XXXI).
(10) C’est ce que les Rosicruciens exprimaient par l’adage Sapiens dominabitur astris, les « influences astrales » représentant, comme nous l’avons expliqué plus haut, l’ensemble de toutes les influences émanant du milieu cosmique et agissant sur l’individu pour le déterminer extérieurement.
(11) Ceci identifie au fond le bien et le mal aux deux tendances contraires que nous allons indiquer, avec toutes leurs conséquences respectives.
(12) Examens des Vers dorés de Pythagore, 12ème Examen.
(13) Ce sont les deux tendances contraires, l’une ascendante et l’autre descendante, qui sont désignées comme sattwa et tamas dans la tradition hindoue.
(14) Ce triangle se retrouve dans le symbolisme maçonnique, et nous y avons fait allusion à propos de l’équerre du Vénérable ; le triangle complet apparaît lui-même dans les insignes du Past Master. Disons à cette occasion qu’une partie notable du symbolisme maçonnique est dérivée directement du Pythagorisme, par une « chaîne » ininterrompue, à travers les Collegia fabrorum romains et les corporations de constructeurs du moyen âge ; le triangle dont il s’agit ici en est un exemple, et nous en avons un autre dans l’Étoile flamboyante, identique au Pentalpha qui servait de « moyen de reconnaissance » aux Pythagoriciens (cf. Aperçus sur l’Initiation, ch. XVI).
(15) Nous retrouvons ici 3 comme nombre « céleste » et 5 comme nombre « terrestre », comme dans la tradition extrême-orientale, bien que celle-ci ne les envisage pas ainsi comme corrélatifs, puisque 3 s’y associe à 2 et 5 à 6, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut ; quant à 4, il correspond à la croix comme symbole de l’« Homme Universel ».
(16) Ce domaine est en effet le second des « trois mondes », qu’on les envisage d’ailleurs dans le sens ascendant ou dans le sens descendant ; l’élévation aux puissances successives, représentant des degrés d’universalisation croissante, correspond au sens ascendant (cf. Le Symbolisme de la Croix, ch. XII, et Les Principes du Calcul infinitésimal, ch. XX).
(17) D’après le schéma donné par Fabre d’Olivet, ce centre de la sphère animique est en même temps le point de tangence des deux autres sphères intellectuelle et instinctive, dont les centres sont situés en deux points diamétralement opposés de la circonférence de cette même sphère médiane : « Ce centre, en déployant sa circonférence, atteint les autres centres, et réunit sur lui-même les points opposés des deux circonférences qu’ils déploient (c’est-à-dire le point le plus bas de l’une et le point le plus haut de l’autre), en sorte que les trois sphères vitales, en se mouvant l’une dans l’autre, se communiquent leurs natures diverses, et portent de l’une à l’autre leur influence réciproque. » – Les circonférences représentatives de deux sphères consécutives (intellectuelle et animique, animique et instinctive) présentent donc la disposition dont nous avons signalé les propriétés à propos de la figure 3, chacune d’elles passant par le centre de l’autre.

[Schéma de Fabre d’Olivet (origine La Gnose)]

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