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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon : La multiplicité des états de l’Être 2/2

Rene-Guenon-bis.jpgNous venons de dire que le mot « exister » ne peut pas s’appliquer proprement au non-manifesté, c’est-à-dire en somme à l’état principiel ; en effet, pris dans son sens strictement étymologique (du latin ex-stare), ce mot indique l’être dépendant à l’égard d’un principe autre que lui-même, ou, en d’autres termes, celui qui n’a pas en lui-même sa raison suffisante, c’est-à-dire l’être contingent, qui est la même chose que l’être manifesté (1). Lorsque nous parlerons de l’Existence, nous entendrons donc par là la manifestation universelle, avec tous les états ou degrés qu’elle comporte, degrés dont chacun peut être désigné également comme un « monde », et qui sont en multiplicité indéfinie ; mais ce terme ne conviendrait plus au degré de l’Être pur, principe de toute la manifestation et lui même non-manifesté, ni, à plus forte raison, à ce qui est au delà de l’Être même.

 

Nous pouvons poser en principe, avant toutes choses, que l’Existence, envisagée universellement suivant la définition que nous venons d’en donner, est unique dans sa nature intime, comme l’Être est un en soi-même, et en raison précisément de cette unité, puisque l’Existence universelle n’est rien d’autre que la manifestation intégrale de l’Être, ou, pour parler plus exactement, la réalisation, en mode manifesté, de toutes les possibilités que l’Être comporte et contient principiellement dans son unité même. 

 

D’autre part, pas plus que l’unité de l’Être sur laquelle elle est fondée, cette « unicité » de l’Existence, s’il nous est permis d’employer ici un terme qui peut paraître un néologisme (2), n’exclut la multiplicité des modes de la manifestation ou n’en est affectée, puisqu’elle comprend également tous ces modes par là même qu’ils sont également possibles, cette possibilité impliquant que chacun d’eux doit être réalisé selon les conditions qui lui sont propres. Il résulte de là que l’Existence, dans son « unicité », comporte, comme nous l’avons déjà indiqué tout à l’heure, une indéfinité de degrés, correspondant à tous les modes de la manifestation universelle ; et cette multiplicité indéfinie des degrés de l’Existence implique corrélativement, pour un être quelconque envisagé dans sa totalité, une multiplicité pareillement indéfinie d’états possibles, dont chacun doit se réaliser dans un degré déterminé de l’Existence.

 

1 — Il résulte de là que, rigoureusement parlant, l’expression vulgaire « existence de Dieu » est un non-sens, que l’on entende d’ailleurs par « Dieu », soit l’Être comme on le fait le plus souvent soit, à plus forte raison, le Principe Suprême qui est au delà de l’Être.

2 — Ce terme est celui qui nous permet de rendre le plus exactement l’expression arabe équivalente Wahdatul-wujûd. — Sur la distinction qu’il y a lieu de faire entre l’« unicité » de l’Existence, l’« unité » de l’Être et la « nondualité » du Principe Suprême, lire L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. VI.

 

Cette multiplicité des états de l’être, qui est une vérité métaphysique fondamentale, est vraie déjà lorsque nous nous bornons à considérer les états de manifestation, comme nous venons de le faire ici, et comme nous devons le faire dès lors qu’il s’agit seulement de l’Existence ; elle est donc vraie a fortiori si l’on considère à la fois les états de manifestation et les états de non-manifestation, dont tout l’ensemble constitue l’être total, envisagé alors, non plus dans le seul domaine de l’Existence, même pris dans toute l’intégralité de son extension, mais dans le domaine illimité de la Possibilité universelle. Il doit être bien compris, en effet, que l’Existence ne renferme que les possibilités de manifestation, et encore avec la restriction que ces possibilités ne sont conçues alors qu’en tant qu’elles se manifestent effectivement, puisque, tant qu’elles ne se manifestent pas, c’est-à-dire principiellement, elles sont au degré de l’Être. Par conséquent, l’Existence est loin d’être toute la Possibilité, conçue comme véritablement universelle et totale, en dehors et au delà de toutes les limitations, y compris même cette première limitation qui constitue la détermination la plus primordiale de toutes, nous voulons dire l’affirmation de l’Être pur (1).

 

1 — Il est à remarquer que les philosophes, pour édifier leurs systèmes prétendent toujours, consciemment ou non, imposer quelque limitation à la Possibilité universelle, ce qui est contradictoire, mais ce qui est exigé par la constitution même d’un système comme tel ; il pourrait même être assez curieux de faire l’histoire des différentes théories philosophiques modernes, qui sont celles qui présentent au plus haut degré ce caractère systématique, en se plaçant à ce point de vue des limitations supposées de la Possibilité universelle.

 

Quand il s’agit des états de non-manifestation d’un être, il faut encore faire une distinction entre le degré de l’Être et ce qui est au delà ; dans ce dernier cas, il est évident que le terme d’« être » lui-même ne peut plus être rigoureusement appliqué dans son sens propre ; mais nous sommes cependant obligé, en raison de la constitution même du langage, de le conserver à défaut d’un autre plus adéquat, en ne lui attribuant plus alors qu’une valeur purement analogique et symbolique, sans quoi il nous serait tout à fait impossible de parler d’une façon quelconque de ce dont il s’agit. C’est ainsi que nous pourrons continuer à parler de l’être total comme étant en même temps manifesté dans certains de ses états et non-manifesté dans d’autres états, sans que cela implique aucunement que, pour ces derniers, nous devions nous arrêter à la considération de ce qui correspond au degré qui est proprement celui de l’Être (1).

 

Les états de non-manifestation sont essentiellement extra-individuels, et, de même que le « Soi » principiel dont ils ne peuvent être séparés, ils ne sauraient en aucune façon être individualisés ; quant aux états de manifestation, certains sont individuels, tandis que d’autres sont non-individuels, différence qui correspond, suivant ce que nous avons indiqué, à la distinction de la manifestation formelle et de la manifestation informelle. Si nous considérons en particulier le cas de l’homme, son individualité actuelle, qui constitue à proprement parler l’état humain, n’est qu’un état de manifestation parmi une indéfinité d’autres, qui doivent être tous conçus comme également possibles et, par là même, comme existant au moins virtuellement, sinon comme effectivement réalisés pour l’être que nous envisageons, sous un aspect relatif et partiel, dans cet état individuel humain.

 

1 — Sur l’état qui correspond au degré de l’Être et l’état inconditionné qui est au delà de l’Être, voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XIV et XV, 3e éd.

 

(René Guénon, Le symbolisme de la croix, chap.I : La multiplicité des états de l’Être.)

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