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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

René Guénon - La triple enceinte druidique

Illustration : La pierre de Suèvres. Vue de A. de Mortillet, publiée par M. E.-C. Florance en 1909 et reprise par Paul Le Cour dans « Atlantis » en 1928.

Illustration : La pierre de Suèvres. Vue de A. de Mortillet, publiée par M. E.-C. Florance en 1909 et reprise par Paul Le Cour dans « Atlantis » en 1928.

Symboles fondamentaux 
de la Science sacrée,
Chapitre X : 
La triple enceinte druidique (1)

M. Paul Le Cour a signalé, dans Atlantis, (juillet-août 1928), un curieux symbole tracé sur une pierre druidique découverte vers 1800 à Suèvres (Loir-et-Cher), et qui avait été étudiée précédemment par M. E.-C. Florance, président de la Société d’Histoire naturelle et d’Anthropologie du Loir-et-Cher. Celui-ci pense même que la localité où fut trouvée cette pierre pourrait avoir été le lieu de la réunion annuelle des druides, situé, d’après César, aux confins du pays des Carnutes (2). Son attention fut attirée par le fait que le même signe se rencontre sur un cachet d’oculiste gallo-romain, trouvé vers 1870 à Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher) ; et il émit l’idée que ce qu’il représentait pouvait être une triple enceinte sacrée. Ce symbole est en effet formé de trois carrés concentriques, reliés entre eux par quatre lignes à angle droit (fig. 1).

Fig. 1

Au moment même où paraissait l’article d’Atlantis, on signalait à M. Florance le même symbole gravé sur une grosse pierre de soubassement d’un contrefort de l’église de Sainte-Gemme (Loir-et-Cher), pierre qui paraît d’ailleurs avoir une provenance antérieure à la construction de cette église, et qui pourrait même remonter également au druidisme. Il est certain, du reste, que, comme beaucoup d’autres symboles celtiques, et notamment celui de la roue, cette figure est demeurée en usage jusqu’au moyen âge, puisque M. Charbonneau-Lassay l’a relevée parmi les « graffiti » du donjon de Chinon (3), conjointement avec une autre non moins ancienne, formée de huit rayons et circonscrite par un carré (fig. 2), qui se trouve sur le « bétyle » de Kermaria étudié par M. J. Loth (4) et auquel nous avons eu déjà l’occasion de faire allusion ailleurs (5). M. Le Cour indique que le symbole du triple carré se trouve aussi à Rome, dans le cloître de San-Paolo, datant du XIIIe siècle, et que, d’autre part, il était connu dans l’antiquité ailleurs que chez les Celtes, puisque lui-même l’a relevé plusieurs fois à l’Acropole d’Athènes, sur les dalles du Parthénon et sur celles de l’Erechthéion.

Fig. 2

L’interprétation du symbole en question comme figurant une triple enceinte nous paraît fort juste ; et M. Le Cour, à ce propos, établit un rapprochement avec ce que dit Platon, qui, parlant de la métropole des Atlantes, décrit le palais de Poséidon comme édifié au centre de trois enceintes concentriques reliées entre elles par des canaux, ce qui forme en effet une figure analogue à celle dont il s’agit, mais circulaire au lieu d’être carrée.

Maintenant, quelle peut être la signification de ces trois enceintes ? Nous avons tout de suite pensé qu’il devait s’agir de trois degrés d’initiation, de telle sorte que leur ensemble aurait été en quelque sorte la figure de la hiérarchie druidique ; et le fait que cette même figure se retrouve ailleurs que chez les Celtes indiquerait qu’il y avait, dans d’autres formes traditionnelles, des hiérarchies constituées sur le même modèle, ce qui est parfaitement normal. La division de l’initiation en trois grades est d’ailleurs la plus fréquente et, pourrions-nous dire, la plus fondamentale ; toutes les autres ne représentent en somme, par rapport à celle-là, que des subdivisions ou des développements plus ou moins compliqués. Ce qui nous a donné cette idée, c’est que nous avons eu autrefois connaissance de documents qui, dans certains systèmes maçonniques de hauts grades, décrivent précisément ces grades comme autant d’enceintes successives tracées autour d’un point central (6) ; assurément, ces documents sont incomparablement moins anciens que les monuments dont il est ici question, mais on peut néanmoins y trouver un écho de traditions qui leur sont fort antérieures, et en tout cas, ils nous fournissaient en la circonstance un point de départ pour d’intéressants rapprochements.

Il faut bien remarquer que l’explication que nous proposons ainsi n’est nullement incompatible avec certaines autres, comme celle qu’envisage M. Le Cour, et qui rapporterait les trois enceintes aux trois cercles de l’existence reconnus par la tradition celtique ; ces trois cercles, qui se retrouvent sous une autre forme dans le christianisme, sont d’ailleurs la même chose que les « trois mondes » de la tradition hindoue. Dans celle-ci, d’autre part, les cercles célestes sont parfois représentés comme autant d’enceintes concentriques entourant le Mêru, c’est-à-dire la Montagne sacrée qui symbolise le « Pôle » ou l’« Axe du Monde », et c’est là encore une concordance des plus remarquables. Loin de s’exclure, les deux explications s’harmonisent parfaitement, et l’on pourrait même dire qu’elles coïncident en un certain sens, car, s’il s’agit d’initiation réelle, ses degrés correspondent à autant d’états de l’être, et ce sont ces états qui, dans toutes les traditions, sont décrits comme autant de mondes différents, car il doit être bien entendu que la « localisation » n’a qu’un caractère purement symbolique. Nous avons déjà expliqué, à propos de Dante, que les cieux sont proprement des « hiérarchies spirituelles », c’est-à-dire des degrés d’initiation (7) ; et il va de soi qu’ils se rapportent en même temps aux degrés de l’existence universelle, car, comme nous le disions alors (8), en vertu de l’analogie constitutive du Macrocosme et du Microcosme, le processus initiatique reproduit rigoureusement le processus cosmogonique. Nous ajouterons que, d’une façon générale, le propre de toute interprétation vraiment initiatique est de n’être jamais exclusive, mais, au contraire, de comprendre synthétiquement en elle-même toutes les autres interprétations possibles ; c’est d’ailleurs pourquoi le symbolisme, avec ses sens multiples et superposés, est le moyen d’expression normal de tout véritable enseignement initiatique.

Avec cette même explication, le sens des quatre lignes disposées en forme de croix et reliant les trois enceintes devient immédiatement fort clair : ce sont bien des canaux, par lesquels l’enseignement de la doctrine traditionnelle se communique de haut en bas, à partir du grade suprême qui en est le dépositaire, et se répartit hiérarchiquement aux autres degrés. La partie centrale de la figure correspond donc à la « fontaine d’enseignement » dont parlent Dante et les « Fidèles d’Amour (9) », et la disposition cruciale des quatre canaux qui en partent identifie ceux-ci aux quatre fleuves du Pardes.

À ce propos, il convient de noter qu’il y a, entre les deux formes circulaire et carrée de la figure des trois enceintes, une nuance importante à observer : elles se rapportent respectivement au symbolisme du Paradis terrestre et à celui de la Jérusalem céleste, suivant ce que nous avons expliqué dans un de nos ouvrages (10). En effet, il y a toujours analogie et correspondance entre le commencement et la fin d’un cycle quelconque, mais, à la fin, le cercle est remplacé par le carré, et ceci indique la réalisation de ce que les hermétistes désignaient symboliquement comme la « quadrature du cercle » (11) : la sphère, qui représente le développement des possibilités par l’expansion du point primordial et central, se transforme en un cube lorsque ce développement est achevé et que l’équilibre final est atteint pour le cycle considéré (12). Pour appliquer plus spécialement ces considérations à la question qui nous occupe présentement, nous dirons que la forme circulaire doit représenter le point de départ d’une tradition, ce qui est bien le cas en ce qui concerne l’Atlantide (13), et la forme carrée son point d’aboutissement, correspondant à la constitution d’une forme traditionnelle dérivée. Dans le premier cas, le centre de la figure serait alors la source de la doctrine, tandis que, dans le second, il en serait plus proprement le réservoir, l’autorité spirituelle ayant surtout ici un rôle de conservation ; mais, naturellement, le symbolisme de la « fontaine d’enseignement » s’applique à l’un et l’autre cas (14).

Fig. 3

Au point de vue du symbolisme numérique, il faut encore remarquer que l’ensemble des trois carrés forme le duodénaire. Disposés autrement (fig. 3), ces trois carrés, auxquels s’adjoignent encore quatre lignes en croix, constituent la figure suivant laquelle les anciens astrologues inscrivaient le zodiaque (15) ; cette figure était d’ailleurs regardée comme celle de la Jérusalem céleste avec ses douze portes, trois sur chacun des côtés, et il y a là un rapport évident avec la signification que nous venons d’indiquer pour la forme carrée. Sans doute y aurait-il encore bien d’autres rapprochements à envisager, mais nous pensons que ces quelques notes, si incomplètes soient-elles, contribueront déjà à apporter quelque lumière sur la mystérieuse question de la triple enceinte druidique.

[En complément à cet article, nous ajoutons ici le compte rendu suivant publié par René Guenon dans V.I., juill. 1929 : « Dans Atlantis (numéro du 21 avril), M. Paul Le Cour poursuit ses recherches sur le symbole des trois enceintes ; il reproduit un curieux document figurant malheureusement sans indication de provenance, dans l'ouvrage du chanoine Edme Thomas sur la cathédrale d'Autun, et qui est donné comme représentant la cité gauloise des Eduens. Dans le même article sont citées quelques réflexions de M. Charbonneau-Lassay, qui dit notamment qu'il ne serait pas surpris que les Chrétiens aient fait de ce symbole une image de la Jérusalem céleste. Or, dans l'article que nous avons consacré ici à cette question le mois dernier, nous indiquions précisément de notre côté quelques rapprochements dans le même sens, et nous rappelions qu'une autre disposition des trois carrés constitue une des figures les plus habituelles de la Jérusalem céleste. Nous sommes heureux de signaler cette rencontre, qui d'ailleurs ne nous surprend pas, car il est déjà arrivé bien souvent que M. Charbonneau-Lassay et nous-même ayons abouti, indépendamment et par des voies différentes, aux mêmes conclusions sur beaucoup de points concernant le symbolisme. »]

(1) [Publié dans le Voile d’Isis, juin 1929.
(2) César dit : in finibus Carnutum ; l’interprétation nous semble prêter à quelque doute, car fines ne signifie pas toujours « confins », mais désigne souvent le pays lui-même. D’autre part, il ne semble pas qu’on ait trouvé à Suèvres rien qui rappelle l’Omphalos, qui, dans le Mediolanon ou Medionemeton de la Gaule, devait, suivant l’usage des peuples celtiques, être figuré par un menhir.
(3) Le Cœur rayonnant du donjon de Chinon.
(4) L’« Omphalos » chez les Celtes, dans la Revue des Études anciennes, juillet-août-septembre 1915.
(5) Le Roi du Monde, ch. IX ; L’« Omphalos », symbole du Centre, dans Regnabit, juin 1926. [L'article cité ici a été repris par l'auteur dans Le Roi du Monde au chapitre mentionné, mais sans certaines précisions concernant la pierre en question et c'est pourquoi il est rappelé encore ici. Voici le passage qu'il est opportun de connaître : « Un exemple remarquable de figuration de l'Omphalos est le bétyle de Kermaria, près Pont-l'Abbé (Finistère), dont la forme générale est celle d'un cône régulier, arrondi au sommet [...] A la partie inférieure est une ligne sinueuse, qui paraît n'être autre chose qu'une forme stylisée du serpent [...] ; le sommet est entouré d'une grecque. Sur une des faces est un swastika [...] ; et la présence de ce signe (dont la grecque est d'ailleurs un dérivé) suffirait à confirmer, d'une façon aussi nette que possible, la signification de ce curieux monument. Sur une autre face est encore un symbole qui n'est pas moins intéressant : c'est une figure à huit rayons, circonscrite par un carré, au lieu de l'être par un cercle comme la roue ; cette figure est donc tout à fait comparable à ce qu'est, dans le type à six rayons, celle qui occupe l'angle supérieur du pavillon britannique [...] et qui doit être pareillement d'origine celtique. Ce qui est plus étrange, c'est que ce signe du bétyle de Kermaria se trouve exactement reproduit, à plusieurs exemplaires, dans le graffite du donjon de Chinon [...] ; et, dans le même graffite, on voit encore la figure à huit rayons tracée sur le bouclier ovale que tient un personnage agenouillé*. Ce signe doit avoir joué un assez grand rôle dans le symbolisme des Templiers**, car « il se trouve aussi en d'anciennes commanderies du Temple ; il se voit également, comme signe héraldique, sur un grand écusson à la tête de la statue funéraire d'un Templier, du XIIIème siècle, de la commanderie de la Roche-en-Cloué (Vienne), et sur une pierre sculptée, en la commanderie de Mauléon près de Châtillon-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) »***. Cette dernière figuration est d'ailleurs celle d'une roue proprement dite [...] ; et ce n'est là qu'un exemple, entre beaucoup d'autres, de la continuation des traditions celtiques à travers le moyen âge. Nous avons omis de signaler précédemment, à propos de ce symbole, qu'une des significations principales du nombre 8 est celle de « justice » et d' « équilibre », idées qui, comme nous l'avons montré, se rattachent directement à celle du Centre ****.


Fig. 4 : Bétyle de Kermania et Graffite du Donjon de Chinon

*. Ce bouclier rappelle nettement la roue à huit rayons, comme celui de la figure allégorique d'Albion, qui a la même forme, rappelle la roue à six rayons, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer.
**. La même figure a d'ailleurs été conservée jusque dans la Maçonnerie moderne ; mais on l'y considère seulement comme la « clé des chiffres », et on montre qu'il est en effet possible de la décomposer de manière à obtenir tous les chiffres arabes sous une forme plus ou moins schématisée.
***. Charbonneau-Lassay, « Le Cœur Rayonnant du donjon de Chinon », p. 16 [...].
****. On sait aussi quelle était l'importance de l’Ogdoade pour les Pythagoriciens [pp. 48-49].]
(6) M Le Cour note que le point central est marqué sur la plupart des figures qu’il a vues à l’Acropole d’Athènes.
(7) L’Ésotérisme de Dante, ch. II.
(8) Ibid., ch. VI.
(9) Voir notre article dans le Voile d’Isis, février 1929.
(10) Le Roi du Monde, ch. XI ; sur les rapports du Paradis terrestre et de la Jérusalem céleste, voir aussi L’Ésotérisme de Dante, ch. VIII.
(11) Cette quadrature ne peut être obtenue dans le « devenir » ou dans le mouvement même du cycle, puisqu’elle exprime la fixation résultant du « passage à la limite » ; et, tout mouvement cyclique étant proprement indéfini, la limite ne peut être atteinte en parcourant successivement et analytiquement tous les points correspondant à chaque moment du développement de la manifestation.
(12) Il serait facile de faire ici un rapprochement avec le symbole maçonnique de la « pierre cubique », qui se rapporte également à l’idée d’achèvement et de perfection, c’est-à-dire à la réalisation de la plénitude des possibilités impliquées dans un certain état. [cf. chap. XLVIII : « Pierre noire et pierre cubique ».]
(13) Il faut d’ailleurs bien préciser que la tradition atlantéenne n’est cependant pas la tradition primordiale pour le présent Manvantara, et qu’elle n’est elle-même que secondaire par rapport à la tradition hyperboréenne ; ce n’est que relativement qu’on peut la prendre comme point de départ, en ce qui concerne une certaine période qui n’est qu’une des subdivisions du Manvantara.
(14) L’autre figure que nous avons reproduite plus haut (fig. 2) se présente souvent aussi sous la forme circulaire : c’est alors une des variétés les plus habituelles de la roue, et cette roue à huit rayons est à certains égards un équivalent du lotus à huit pétales, plus particulier aux traditions orientales, de même que la roue à six rayons équivaut au lis qui a six pétales (voir nos articles sur Le Chrisme et le Cœur dans les anciennes marques corporatives [cf. ici chap. L : « Les symboles de l'analogie »] et sur L’idée du Centre dans les traditions antiques, dans Regnabit, novembre 1925 et mai 1926).
(15) Les quatre lignes en croix sont alors placées diagonalement par rapport aux deux carrés extrêmes, et l’espace compris entre ceux-ci se trouve divisé en douze triangles rectangles égaux.

[René Guénon, La triple enceinte druidique, article publié au départ dans le Voile d’Isis, juin 1929. Repris dans les Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. X. Les notes entre crochets sont de Michel Vâlsan qui avait réalisé ce recueil posthume avec des articles de René Guénon, notes très utiles qui disparaitront malheureusement dans les éditions ultérieures sous le titre Symboles de la Science sacrée. L'illustration et la fig. 4 sont rajoutées par ce blog.]

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