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La tradition islamique est, en tant que « sceau de la Prophétie », la forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle humain actuel. Les formes traditionnelles qui ont précédé la forme islamique (Hindouisme, Taoïsme, Judaïsme, Christianisme,…) sont, dans leurs formulations régulières et orthodoxes, des reflets de la Lumière totale de l’Esprit-universel qui désigne Er-Rûh el-mohammediyah, le principe de la prophétie, salawâtu-Llâh wa salâmu-Hu ‘alayh.

La langue des Oiseaux 2/2

resonance_ii_580.jpgEnfin, dans le troisième verset, on voit les anges récitant le dhikr, ce qui, dans l’interprétation la plus habituelle, est considéré comme devant s’entendre de la récitation du Qorân, non pas, bien entendu, du Qorân exprimé en langage humain, mais de son prototype éternel inscrit sur la « table gardée » (el-lawhul mahfûz), qui s’étend des cieux à la terre comme l’échelle de Jacob, donc à travers tous les degrés de l’Existence universelle (7). De même, dans la tradition hindoue, il est dit que les Dêvas, dans leur lutte contre les Asuras, se protégèrent (achhan dayan) par la récitation des hymnes du Vêda, et que c’est pour cette raison que les hymnes reçurent le nom de chhandas, mot qui désigne proprement le « rythme ». La même idée est d’ailleurs contenue dans le mot dhikr, qui, dans l’ésotérisme islamique, s’applique à des formules rythmées correspondant exactement aux mantras hindous, formules dont la répétition a pour but de produire une harmonisation des divers éléments de l’être, et de déterminer des vibrations susceptibles, par leur répercussion à travers la série des états, en hiérarchie indéfinie, d’ouvrir une communication avec les états supérieurs, ce qui est d’ailleurs, d’une façon générale, la raison d’être essentielle et primordiale de tous les rites.

 

Nous sommes ainsi ramené directement, comme on le voit, à ce que nous disions au début sur la « langue des oiseaux » que nous pouvons appeler aussi « langue angélique », et dont l’image dans le monde humain est le langage rythmé, car c’est sur la « science du rythme », qui comporte d’ailleurs de multiples applications, que se basent en définitive tous les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour entrer en communication avec les états supérieurs. C’est pourquoi une tradition islamique dit qu’Adam, dans le Paradis terrestre, parlait en vers, c’est-à-dire en langage rythmé ; il s’agit ici de cette « langue syriaque » (lughah sûryâniyah) dont nous avons parlé dans notre précédente étude sur la « science des lettres » (8) et qui doit être regardée comme traduisant directement 1’« illumination solaire » et « angélique » telle qu’elle se manifeste au centre de l’état humain.

 

C’est aussi pourquoi les Livres sacrés sont écrits en langage rythmé, ce qui, on le voit, en fait tout autre chose que les simples « poèmes » au sens purement profane que veut y voir le parti pris antitraditionnel des « critiques » modernes ; et d’ailleurs la poésie, originairement, n’était point cette vaine « littérature » qu’elle est devenue par une dégénérescence qu’explique la marche descendante du cycle humain, et elle avait un véritable caractère sacré (9). On peut en retrouver les traces jusqu’à l’antiquité occidentale classique, où la poésie était encore appelée « langue des Dieux », expression équivalente à celles que nous avons indiquées puisque les « Dieux », c’est-à-dire les Dēvas, (10) sont, comme les anges, la représentation des états supérieurs.

 

En latin, les vers étaient appelés carmina, désignation qui se rapportait à leur usage dans l’accomplissement des rites, car le mot carmen est identique au sanscrit Karma, qui doit être pris ici dans son sens spécial d’« action rituelle » (11) ; et le poète lui-même, interprète de la « langue sacrée » à travers laquelle transparaît Le Verbe divin, était vates, mot qui le caractérisait comme doué d’une inspiration en quelque sorte prophétique. Plus tard, par une autre dégénérescence, le vates ne fut plus qu’un vulgaire « devin » (12) et le carmen (d’où le mot français « charme ») un « enchantement », c’est-à-dire une opération de basse magie ; c’est là encore un exemple du fait que la magie, voire même la sorcellerie, est ce qui subsiste comme dernier vestige des traditions disparues (13).

 

Ces quelques indications suffiront, pensons-nous, à montrer combien ont tort ceux qui se moquent des récits où il est question de la « langue des oiseaux » ; il est vraiment trop facile et trop simple de traiter dédaigneusement de « superstitions » tout ce qu’on ne comprend pas ; mais les anciens, eux, savaient fort bien ce qu’ils disaient quand ils employaient le langage symbolique. La véritable « superstition », au sens strictement étymologique (quod superstat), c’est ce qui se survit à soi-même, c’est-à-dire, en un mot, la « lettre morte » ; mais cette conservation même, si peu digne d’intérêt qu’elle puisse sembler, n’est pourtant pas chose si méprisable, car l’esprit, qui « souffle où il veut » et quand il veut, peut toujours venir revivifier les symboles et les rites, et leur restituer, avec leur sens perdu, la plénitude de leur vertu originelle.

 

(7) Sur le symbolisme du Livre, auquel ceci se rapporte directement, voir Le Symbolisme de la Croix, ch. XIV.

(8) [Voir Symboles de la Science sacrée, ch. VI.]

(9) On peut dire d’ailleurs, d’une façon générale, que les arts et les sciences ne sont devenus profanes que par une telle dégénérescence, qui les a dépouillés de leur caractère traditionnel et, par suite, de toute signification d’ordre supérieur ; nous nous sommes expliqué sur ce sujet dans L’Ésotérisme de Dante, ch. II, et La Crise du monde moderne, ch. IV (voir également Le Règne de la quantité et les signes des temps, ch. VIII).

(10) Le sanscrit Dêva et le latin Deus ne sont qu’un seul et même mot.

(11) Le mot « poésie » dérive aussi du verbe grec poiein, qui a la même signification que la racine sanscrite Kri, d’où vient Karma, et qui se retrouve dans le verbe latin creare entendu dans son acception primitive ; à l’origine, il s’agissait de tout autre chose que de la simple production d’une œuvre artistique ou littéraire, au sens profane qu’Aristote semble avoir uniquement en vue en parlant de ce qu’il a appelé « sciences poétiques ».

(12) Le mot « devin » lui-même n’est pas moins dévié de son sens, car étymologiquement, il n’est pas autre chose que divinus, signifiant ici « interprète des dieux ». Les « auspices » (de aves spicere, « observer les oiseaux »), présages tirés du vol et du chant des oiseaux, sont plus spécialement à rapprocher de la « langue des oiseaux»‚ entendue alors au sens le plus matériel, mais pourtant identifiée encore à la « langue des dieux » puisque ceux-ci étaient regardés comme manifestant leur volonté par ces présages et les oiseaux jouaient ainsi un rôle de « messagers » analogue à celui qui est généralement attribué aux anges (d’où leur nom même, puisque c’est là précisément le sens propre du mot grec angelos), bien que pris sous un aspect très inférieur.

[13] (Sur cette question des origines de la magie et de la sorcellerie, voir Symboles de la Science sacrée, ch. XIX : Sheth, l’alinéa final.)

(René Guénon, Symboles de la Science sacrée, coll. « Tradition », Éditions Gallimard, 1962, ch. VII. p.55-59)
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